Typhoon no.9
Exposition personnelle de Trevor Yeung.
En 2018, le typhon Mangkhut a frappé la ville. Le 14 septembre, le gouvernement de la région de Hong Kong a tenu une conférence de presse interdépartementale exceptionnelle sur les préparatifs face au « Super Typhon » imminent, pour rappeler à ses citoyens de « se préparer au pire ». Devant des vents allant jusqu’à 205 km/h, l’Observatoire de Hong Kong a émis une alerte cyclonique de niveau 10. Trevor Yeung s’en souvient : « Beaucoup d’arbres tombaient, on vendait du gaffeur partout, cette fois-là beaucoup de fenêtres ont été brisées. De l’eau s’infiltrait par les fissures des appartements. Les grands bâtiments se balançaient sous la force du vent.»
Hong Kong est située dans le bassin cyclonique tropical le plus actif de la planète. Chaque été, plusieurs typhons frappent la ville. À Hong Kong, les niveaux d’alerte aux cyclones tropicaux vont de 1 à 8. Un signal d’alerte au typhon de niveau 9 correspond à une catégorie « seuil », le niveau 10 étant la catégorie la plus élevée de l’échelle. Un signal de catégorie 9 informe la population que la tempête qui s’annonce va s’intensifier et atteindre le niveau 10. Le niveau 9 est un avertissement conseillant à chacun de rester à l’intérieur et de barrer chaque fenêtre d’une croix formée de deux bandes de ruban adhésif. Cet avertissement annonce une période de stase intermédiaire – une sorte de limbe.
Reconnaissant l’intensité de cette expérience, Yeung rappelle que cette exposition ne se concentre pas sur la férocité des éléments et la destruction, ou encore sur la reconstruction et la prévention, mais qu’elle s’attache plus précisément à la relation de l’individu à l’enfermement : « La période que nous passons à la maison, à attendre, à attendre que tout redevienne normal, tout en sachant qu’actuellement nous sommes à l’abri. Il n’en existe pas moins un état d’incertitude et d’insatisfaction par rapport à ce qui est en train de se dérouler à l’extérieur, vis-à-vis de notre refuge et de l’avenir. Nous ressentons le besoin de sortir de cet abri. »
Aimant à utiliser le monde naturel comme un médium artistique, Yeung s’est fait connaître grâce à de nombreuses oeuvres vivantes, et parmi elles, de véritables micro-écosystèmes autour de plantes ou d’animaux exposés dans des institutions comme le Centre d’art contemporain Witte de With, à Rotterdam, lors de la 10e Biennale de Shanghai et au Para Site, à Hong Kong. La nouvelle exposition de Yeung présente une sélection de plantes vivantes, endommagées à divers degrés après avoir été soumises à des conditions visant à simuler l’impact météorologique d’un phénomène de l’ampleur d’un typhon.
Fidèle à ce sentiment d’intimité qui caractérise l’oeuvre de Yeung, sans chercher à représenter la pensée collective, l’artiste souligne une fois de plus le manque de moyen de l’individu face à cette temporalité dictée par la nature. L’exposition de Yeung explore le sentiment de faiblesse et d’impuissance que l’on retrouve en ayant à décider de son propre avenir. L’oeuvre traduit une forme de deuil, une complainte dédiée à quelque chose que l’on est sur le point de perdre.
Trevor Yeung est né en 1988 à Dongguan, en Chine. Il vit et travaille à Hong Kong, il a étudié à l’Académie des arts visuels de l’université baptiste de Hong Kong. Il se sert de formes de vie et de processus naturels comme d’un prétexte pour arriver à décrire les processus et les relations humaines. Loin d’utiliser les phénomènes naturels comme des métaphores, dans le fil d’une tradition romantique, il projette des scénarios émotionnels et intellectuels sur des substituts d’ordre biologique qu’il manipule et modifie en ayant tout à fait conscience de l’artificialité de la nature. Il crée des mondes dotés de leur propre logique, une logique qui ne laisse que de manière secondaire les objets, les plantes et les animaux qu’il utilise persister dans leur mode de fonctionnement, en leur imposant ses propres règles, ses paramètres, en les mettant en scène au sein de ses propres drames, intimement reliés à des expériences proprement humaines. Les limitations sociales ou émotionnelles de l’artiste prennent ainsi la forme de contes élaborés, où, plutôt que de chercher une résolution satisfaisante, l’artiste reproduit de manière perverse les échecs et les défauts qui constituent son principal moteur.
– Cosmin Costinas est directeur exécutif/conservateur de Para Site, le principal centre d’art contemporain de Hong Kong.
Yeung a participé à des biennales et à des expositions, notamment « Cruising Pavilion » à la 16e Biennale internationale d’Architecture, Venise, Italie, 2018 ; à la 38e Biennale internationale EVA, Limerick, Irlande, 2018 ; au 4e Dhaka Art Summit, Dhaka, Bangladesh, 2018 ; Soil and Stones, Souls and Songs, Para Site, Hong Kong, Chine, 2017 ; « The Other Face of the Moon », Asia Culture Center, Gwangju, Corée du Sud, 2017 ; Sea Pearl White Cloud , 4A Centre for Contemporary Asian Art, Australie, 2016 ; Adrift, OCAT Shenzhen, Chine, 2016 ; CHINA 8 – Paradigms of Art : Installation and Object Art, Osthaus Museum Hagen, Allemagne, 2015 ; et à la 10e Biennale de Shanghai, Chine, 2014.
Son travail fait partie des collections de la Kadist Art Foundation, à Paris et San Francisco et du M+ Museum, à Hong Kong.