S'inspirer, respirer : "L'abondance"
Dans le cadre de "S'inspirer, respirer", cycle de rendez-vous dédiés aux débats sociétaux.
L’abondance, c’est fini
De quoi la fin de l’abondance est-elle la promesse ?
La fin de l’abondance sera-t-elle la condition de notre liberté ?
La crise énergétique de cet automne nous a rattrapé pour nous rappeler à une évidence que seuls les sceptiques et les adeptes d’un productivisme infini voulaient occulter : la fin de « l’abondance », comme le soulignait le président Macron lui-même le 14 juillet dernier. La fin de l’abondance est donc devenu un nouveau programme politique, soucieux de réduire nos consommations d’énergie. C’est à dire avec une surconsommation générale, qui dépasse le seul cadre de l’aisance matérielle de certains. L’abondance est ainsi un mot utilisé pour décrire l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Pourtant, la nécessité d’en finir avec une certaine abondance, de s’orienter vers une forme de sobriété dans nos modes de production et de consommation, est documentée début le début des années 1970 et le club de Rome, jusqu’au récent livre de Pierre Charbonnier, Abondance et liberté.
Ce retour du désir de sobriété, qui serait le contre-feu de l’abondance, est-il possible ? Renvoie-t-il à une ascèse ou une continence ? Ou à une sobriété heureuse, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Pierre Rabhi Vers la sobriété heureuse (2014). Chez le penseur paysan, la sobriété devient « une politique de civilisation » qui part de chacun d’entre nous et consiste à satisfaire « nos besoins vitaux avec les moyens les plus simples et les plus sains ». Vue comme une « forme de résistance déclarée à la consommation outrancière », la sobriété est à la fois un « art de vivre » et l’ingrédient d’une nouvelle spiritualité faite de « dépouillement intérieur » et débouchant sur « un espace de liberté, affranchi des tourments dont nous accable la pesanteur de notre mode d’existence ».
Pouvons-nous être à la hauteur de la fin de l’abondance, qui a été l’horizon implicite des sociétés modernes depuis le 18ème siècle ? En effet, nous nous sommes pensés, nous autres Modernes, comme des êtres voués au dépassement des limites ; « la mesure nous est étrangère ; notre démangeaison, c’est justement la démangeaison de l’infini, de l’immense », écrivait Nietzsche. Retrouver la mesure implique donc de forger une nouvelle idée du bonheur, sinon de l’humanité elle-même. A quoi sommes nous prêts à renoncer ? Que faire de nos désirs et de nos excès ? Une certaine abondance est-elle encore possible, notamment celle dont parlait Rousseau : « L’abondance du seul nécessaire ne peut dégénérer en abus, les vrais besoins n’ont jamais d’excès » ?
Nathanaël Wallenhorst est maître de conférences à l’Université catholique de l’Ouest (UCO). Ses recherches portent sur les incidences éducatives et politiques de l’entrée dans l’Anthropocène, sciences de l'éducation, anthropologie politique, sciences de l'environnement.