SAUVAGE VAGUE À L'ÂME
Caroline Le Méhauté, Charlotte Gunsett
H Gallery vous invite à découvrir deux artistes, Charlotte Gunsett et Caroline Le Méhauté lors de leurs premières expositions personnelles à H Gallery. Ces deux expositions se rejoignent dans leur objectif d’interroger notre rapport complexe à la nature à travers des matériaux organiques.
Caroline Le Méhauté, artiste franco-belge reconnue, présente une exposition intitulée Sauvages. Son travail réunit différents médiums tels que l’installation, la photographie (cyanotypes), la sculpture (tourbe d’Irlande, fibre de coco, cire d’abeille, métal) ainsi que des gaufrages sur papier.
Selon Alexis Rastel, «l’artiste abolit la domination du percevoir sur le sentir, de l’optique sur l’haptique et empêche la distance entre l’homme et le monde de se creuser.»
Pour Charlotte Gunsett, il s’agit de sa première exposition personnelle en galerie. Explorant des matériaux comme le sable et le verre à travers des techniques aussi recherchées que poétiques, l’artiste interroge nos souvenirs faussement insouciants de vacances.
Charlotte Gunsett – Vague à l’âme
Charlotte Gunsett est une jeune artiste diplômée des Arts décoratifs de Paris. Pour sa première exposition personnelle en galerie elle a choisi d’utiliser des éléments qui cohabitent sans cohabiter véritablement, tels l’eau et le sable. Elle se les approprie et les marie pour les rendre complices et non plus adversaires, pour construire, édifier et non plus détruire ou effacer. La dernière vague de la journée ne vient plus engloutir les châteaux de sable si durement bâtis mais cristallise au contraire ces fragiles édifices. Même si l’idée de la plage et de l’été sont au départ de cette exposition, à l’instar de Caroline le Méhauté, Charlotte crée des sculptures qui témoignent de l’irréductible force du temps dans les œuvres d’art, entre éphémère, instabilité, longévité et création. Ses sabliers, qui contiennent de la glycérine, permettent au sable magique de l’artiste d’utiliser la gravité et le hasard pour bâtir de petites sculptures, des paysages toujours nouveaux, enfermés dans des écrins de verre. Ses Vagues sont constituées plaques rectangulaires de sable solidifié et enchaînent les paradoxes : la multiplication des vaguelettes figées crée une dynamique qui donne une impression de mouvement ; au lieu d’être présentées horizontalement, les œuvres recouvrent le mur et deviennent architecture ; leur durabilité s’oppose à leur aspect éphémère ; des traces de pas, de mains donnent une impression d’instantanéité, et leur aspect fortuit s’oppose alors à la maîtrise de leur réalisation. Une fois de plus, l’humain tente de contrôler les éléments, de capturer le fugace, le fragile, de retenir ce qui, inexorablement, cherche à échapper…
Caroline le Méhauté – Sauvages
Le titre de l’exposition a été inspiré à Caroline Le Méhauté par le livre La Part sauvage du monde, penser la nature dans l’Anthropocène de Virginie Maris qui rejoint tout à fait les questionnements de cette artiste française, installée depuis quelque temps en Belgique et qui s’interroge en permanence sur la place de l’humain dans la nature et vice-versa. La nature a été tellement contrôlée, anthropomorphisée, redessinée par l’homme que nous ne savons plus bien ce qui est naturel ou ce qui ne l’est pas. L’artiste aurait envie de prôner une forme de retour à la part instinctive, sauvage, animale de nous-même et du monde. Le paradoxe est que, pour réfléchir sur les conditions humaines et naturelles, il faut « com-prendre » les choses, les concepts ce qui signifie les prendre avec soi donc, d’une certaine façon, se les approprier, les absorber pour les transformer, tenter de les contrôler une fois de plus. Le véritable lâcher-prise semble quasi-impossible et un gouffre s’ouvre sous nos pieds. Comment envisager la part sauvage de l’humain et celle du non-humain, comment se souvenir que nous sommes un élément de la nature, même éloigné ? Comment avoir une vision positive plus que négative de notre animalité ? L’exposition rassemble des installations, des cyanotypes, des sculptures, des dessins qui tous, évoquent ces interrogations. Porter surface, l’installation principale de l’exposition est un tamis dans un châssis de bois comme celui d’une peinture, recouvert de fibres de coco et suspendu au plafond. Les vibrations du bâtiment font tomber la matière qui recrée sans cesse un nouveau paysage au sol. La disparition progressive du premier paysage situé sur le tamis participe de la création toujours renouvelée du second. L’œuvre est un poétique témoin de l’invisible, du temps et de la transformation de ce dernier dans l’espace. Une pièce lente et vivante qui évolue dans le temps. Les pièces de Caroline Le Méhauté sont d’ailleurs rarement figées ou arrêtées mais leur mouvement est toujours infiniment subtil. La Tactique des obliques est une boule de fibres de coco traversée d’une tige de métal. Elle évoque un gouvernail, un mécanisme. On a envie de la saisir avec les mains, de la faire tourner, de l’actionner mais avons-nous vraiment encore le pouvoir de changer de direction ?
Les titres de ses œuvres commencent presque tous par le mot « négociation » comme si elle avait dû faire face à des résistances, faire des échanges, des transactions, avoir des pourparlers diplomatiques avec les éléments, les matériaux et ses propres idées. Les matériaux qu’elle utilise sont souvent organiques, parfois industriels, toujours mystérieux. L’artiste aime la tourbe d’Irlande collante, lourde, humide très rare mais également la fibre de coco sèche, légère, claire, très peu utilisée. Négociations 66, Extended Fields, son cube sonore qui évoque les sons des entrailles de la terre est constitué de plus de 300 strates de tourbe d’Irlande datée de 15 000 ans… Lorsqu’elle tient ce
cube qui porte une force et un magnétisme indicibles, elle a l’impression d’avoir l’histoire du monde dans sa main, une histoire non écrite, plus profonde, plus instinctive. Fraîche, son parfum évoque la lave, la chair de la terre. Cette pièce résume presque à elle seule, le travail de l’artiste. D’autres œuvres complètent l’exposition : des bâtons qui évoquent des symboles de pouvoir autant religieux que tribaux mêlent des tubes manufacturés avec de la cire d’abeille en reprenant les rayures des caryotypes. Ces œuvres sont comme une synthèse, une conjugaison réussie entre notre civilisation industrielle et la nature, un nouvel ADN respectueux et équilibré créé par la puissance de l’art. Des cyanotypes (un procédé photographique monochrome négatif du XIXe siècle) réalisés sur des papiers aquarelle mêlent paradoxalement technique photographique en chambre noire et liquide photosensible séché au soleil, le contrôle absolu et le hasard. Dans des nuances de bleu hypnotisantes, ils sont des portraits des actions de l’être humain sur le paysage. En effet, Caroline Le Méhauté a choisi de représenter des champs circulaires d’agriculture intensive vus du ciel en Arabie saoudite, au Nouveau Mexique et en France. Ces techniques d’irrigations sont plus respectueuses de l’environnement mais elles sont aussi des scarifications humaines qui laissent des traces profondes et anti-naturelles dans la terre; elles redessinent des paysages inédits, aussi esthétiques que mystiques. Enfin, des dessins presque invisibles complètent l’exposition : des gaufrages de papier révèlent des mots par un jeu de lumière et d’ombre, dans un mouvement intime et silencieux. Ils disent « Je suis là », « Ici et maintenant »… Loin de rappeler la part égocentrique de l’artiste, ces mots évoquent l’idée d’immanence, d’être au monde, ils nous interrogent sur l’impact que nous avons sur les choses, sur ce et ceux qui nous entourent. Ils nous invitent à prendre position, en agissant ou en restant spectateurs. Ils sont également les mots qui consolent, qui soutiennent, ils sont la main rassurante posée sur une épaule : « ne crains rien, je suis là »…