« MOTIVUS » ON TOUCHE AVEC LES YEUX

Natalie Elemento - Espace de l’Art Concret 2019
Natalie Elemento - Espace de l’Art Concret 2019
du 7 septembre au 20 octobre 2019

Une exposition personnelle de Nathalie Elemento

Entretien entre Nathalie Elemento et Fabienne Grasser-Fulchéri,
directrice de l’Espace de l’Art Concret à Mouans-Sartoux, 2019.

Au quotidien, entre présence et absence, les conceptualisations
du langage s’invitent naturellement à la réflexion pour construire
une pensée. Au-delà d’une opposition de langage qui pourrait
être perçue comme dualiste, l’écriture braille propose une aire
intermédiaire d’expérience, il s’agit de réfléchir sur les modes et
les modalités de perception. La superposition de la construction

du langage et l’utilisation du braille parlent de silence et de tra-
duction de ce silence tout en empruntant la musicalité de portées

musicales afin d’y introduire une certaine sonorité du « regard »,
proche du rythme.
F.G-F : Tu as choisi de matérialiser ce texte à travers différents

médiums comme le dessin ou la sculpture. Comment envi-
sages-tu ces propositions et leurs relations avec le spectateur

sachant que certaines de tes oeuvres peuvent être touchées et
d’autres non ?
N.E : Tous les dessins sont issus d’une série nommée si

quelqu’un parle il fait clair / on touche avec les yeux. Nous di-
sons aux enfants « on touche avec les yeux… » de peur qu’ils ne

fassent tomber ou qu’ils cassent un objet.

Si seulement une fois adulte, nous avions cette capacité de tou-
cher avec les yeux… Voir pour moi n’est pas ne pas toucher, c’est

au contraire toucher du regard intensément, s’approcher plus en-
core, essayer de comprendre, envisager les possibilités. A bien y

réfléchir la distance est nécessaire pour s’approcher sinon cela
signifie qu’on y est, tout est dit, et que d’une certaine manière
nous sommes condamnés à un angle de vue.
Un dessin nécessite et, peut être, mérite plus de distance. Un
dessin est un schéma de pensée, et une pensée est mouvante.
Avec les projets de dessins en braille, même si l’expérience du
ressenti ne peut être tactile, la construction du langage donne un
autre sens et indique une lecture au travers de la composition.
Ainsi le « vouloir dire » détermine ici les dimensions des dessins
en fonction de la longueur du phrasé.

Mes sculptures sont des « sculptures d’usage » à l’opposé du de-
sign, praticables mais pas pratiques du tout. Elles sont des objets

de pensée à partager et certaines questions nécessitent d’être
abordées du bout des doigts si l’on peut dire, jusqu’au toucher ou

« jusqu’au moins » cette envie de toucher. C’est une autre ma-
nière de percevoir. Je demande aux adultes de toucher avec les

yeux les dessins mais de ne pas avoir peur de casser les objets.
C’est de cela dont je parle lorsque je dis « sculpture d’usage » :
c’est à la fois l’utilisation visuelle mais aussi une anticipation sur
la manière dont le spectateur va s’en emparer dans sa gestuelle,
sa position physique ou mentale, son positionnement en relation
avec la position de l’objet dans l’espace ou de sa pensée.
Le socle est né pour adorer la statuaire or, je ne veux pas qu’on
adore, je veux qu’on aime. L’idée que ces sculptures en braille
puissent être visibles et lisibles me plait beaucoup. Tout est une
question de lecture que l’on fait de ce que l’on voit : la position
dans l’espace qui peut s’apparenter à des objets d’architecture
d’intérieur ou proche du décorum. Ainsi, un tableau peut devenir
une main courante, un tapis peut recouvrir les bords de la salle et
non plus son centre, un carton de déménagement peut arrêter sa
course et devenir sculpture…

F.G-F : Tu viens de réaliser une œuvre qui s’apparente à un bâ-
ton de transmission que tu exposes accompagné de son déplié,

à la manière d’une partition. C’est la première fois que tu crées un
objet qui présente une telle densité. Pourrais-tu nous parler plus
précisément de la genèse de cette pièce ?

N.E : L’espace entre le bâton et le tableau reste-t-il un espace in-
termédiaire ? Est-ce juste un mouvement ? Ce travail a été conçu

à l’intérieur du projet Motivus en 4 temps, soutenu par la Fonda-
tion des Artistes. Motivus en 4 temps, c’est a la fois le motif et

l’idée. « Motivation » vient de « motivus », le motif et « movere »
le mouvoir.

La sculpture est un paradoxe concernant le mouvement. Le pro-
cessus est un mouvement mais à quel moment décide-t-on de

dire stop là c’est dit : c’est juste ? Très présent à atelier ou à l’esprit

le mouvement disparait au profit d’un temps de pause et d’exposi-
tion pour ne laisser paraitre que l’objet.

F.G-F : Pour poursuivre sur cette idée de mouvement, tu envi-
sages même de créer de véritables chorégraphies en lien avec

tes sculptures. D’où vient ce lien avec la danse ?
N.E : La danse a toujours été présente dans ma vie. Toutes les

danses sans exception : du petit bal perdu à la danse contempo-
raine. C’est un langage riche, dont les codes, les structures et les

langages qui m’intéressent sont immensément présents.
La danse est un magnifique dessin à 10 000 dimensions dans
l’espace, une sculpture dont on ne peut que deviner les schémas,

jouer de ses structures et parler sans bavarder. La danse a la ca-
pacité de pouvoir passer de l’architecture à la peinture en insistant

sur un corps qui tout à coup devient typographie. Sa richesse est
extrême mais sa relation au vivant m’a jusqu’ici un peu effrayée.
Motivation c’est le nom du projet qui s’inscrit dans la suite et la
logique du travail Sans motif apparent où le motif dessiné sur un
tapis disparait au profit du motif que notre trajet et notre corps
redessinent en déambulant. En passant de la marche à la pause,

puis le saut et enfin le(s) pas dansé(s), il s’agit d’inviter aux mou-
vements.

Motivation développe l’idée du socle idéal, sculptural certes
mais qui, dans ma démarche et ma perspective de « sculpture

d’usage », reste résolument tourné vers et à la rencontre de l’hu-
main. Du lieu de passage au lieu d’exposition, il s’agit de donner à

voir mais aussi à vivre des situations humaines et artistiques com-
munes : le jeu, la déambulation. Et si la sculpture reste pour moi

une pratique dessinée et un geste, j’aimerais effectivement colla-
borer avec des chorégraphes. Cela serait formidable de réussir à

faire des objets à penser pour danser.
D’autres silences m’intéressent dont seule, je ne veux ou ne peux
parler : les arrêts sur images, les pauses, les hésitations, les
blancs, les regards évités, les dos tournés, les yeux baissés, les
abandons… D’autres silences qui ne peuvent exister que dans la
rencontre et que j’aimerais inviter à partager et à danser.

Dates
7 septembre - 20 octobre 2019
Horaires
Du mardi au samedi, de 11h à 19h
Lundi sur rendez-vous
Entrée libre
Visites
Visites commentées gratuites
mercredi 12h, samedi 12h et 16h
Natalie Elemento - Espace de l’Art Concret 2019
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