Eva Jospin
Exposition personnelle.
Depuis sa première exposition personnelle à la Galerie Suzanne Tarasieve en 2015, les invitations se succèdent pour Éva Jospin, sources souvent de créations monumentales. Cour carrée du Louvre, Domaine de Trévarez puis de Chaumont-sur-Loire, Beaupassage à Paris ou cette année Biennale dʼArchitecture et du Paysage à Versailles et Voyage à Nantes : chaque réalisation, pérenne ou non, transporte, marque les esprits. Panoramas de forêts denses et mystérieuses, Folies ou Nymphées alliant végétaux et rocailles incrustées dʼéléments hétéroclites forment des univers en soi hors du temps dans lesquels lʼartiste se plaît à « jouer de la matérialité, de la représentation et de lʼillusion », dit-elle. On retrouve cet imaginaire foisonnant, captivant dans son deuxième solo show chez Suzanne Tarasieve.
Un ensemble dʼîlots réunis se fait terre dʼancrage dʼarchitectures composites et dʼéléments architecturaux liés intimement au paysage, à la terre et à la nature, à lʼépoque aussi qui les a vus naître et sʼériger dans ce bout de monde où les ponts enjambent on ne sait quelle coulée dʼeau ou crevasse. Il porte les rêveries dʼÉva Jospin. À la fois sculpture et maquette, chaque site télescope des éléments réels dʼune architecture et une vision réinventée, fictionnelle du palais, du temple, du jardin et de ses différentes composantes (grotte, gloriette, promontoire, rocaille ou Folie) conçues juste pour lʼagrément, le plaisir. Un monde en soi porteur de récits, de contes, de mythes et dʼépopées se cristallise. « Jʼai beaucoup regardé les jardins de la Renaissance maniériste et les peinture de vedute », rappelle Éva Jospin. Dans cet espace de représentation et de réinterprétation de la nature idéalisée, elle nʼen reconfigure pas moins les motifs, les décors. Elle en revendique les artifices, les trompes lʼoeil indissociables dʼhabilités et de virtuosités techniques, de jeux de plans et de perspectives.
Support et matériau de prédilection de ses imaginaires, le carton se fait sol, roche, pierre, végétal, convoque le minéral, la taille, la construction, lʼérosion, la ruine, la nature souveraine. Des strates de cartons découpés, superposés, juxtaposés et poncés se profilent aujourdʼhui des veines de couleurs ténues, inédites dans son travail, strates de de sédiments des temps géologiques. Ils marquent une évolution discrète dans le travail de lʼartiste. Le changement sʼinfuse doucement, sans heurts.
Lʼintroduction de la couleur se veut parcimonieuse. Éva Jospin aime prendre son temps. Et puis il y a le temps de lʼouvrage. « Chaque sculpture, installation ou dessin à lʼencre en prend beaucoup », souligne-telle. « Dʼoù le peu de pièces produites à chaque fois ».
Les usages métaphoriques du carton eux-mêmes évoluent et élèvent de hautes parois rocheuses dʼune clarté pure, troublante et impressionnante de matérialité et de présence. Elles allient simplicité et force souveraine. La magie de lʼillusion, du décor, du trompe-lʼœil une nouvelle fois opère. La découpe franche dans un flanc de montagne apparaît palpable et réfléchit une luminosité variable selon lʼheure de la journée ou de la nuit. Le temps géologique de la sédimentation ouvre à des projections et des figurations narratives à fleur de roche, hypnotiques et sereines.
Le minéral se fait plus présent dans lʼoeuvre dʼÉva Jospin et entrouvre à dʼautres sculptures, dʼautres
explorations et matériaux (bronze ou plâtre), à dʼautres atmosphères également. Lʼunivers imaginaire de lʼartiste sʼétend. Le questionnement entre lʼart, lʼarchitecture et sa représentation élargit le champ des investigations. On retrouve les forêts, les grottes, les temples, les constructions décoratives, pièces familières de rêveries émancipatrices et fécondes en mystères ou secrets. Les nouvelles créations de lʼartiste, quʼelles soient sculptures ou dessins à lʼencre, engagent toutefois à dʼautres histoires ou mythes contés que lʼon regarde, ressent, écoute pour les raconter à notre tour.
Christine Coste