Giulio Paolini
Exposition personnelle.
« Ni ce soir-là ni le suivant ne mourut l’illustre Giambattista Marini […], mais l’événement immobile et silencieux qui lui arriva à ce moment fut en réalité le dernier de sa vie. Comblé d’ans et de gloire, l’homme mourait dans un vaste lit espagnol à colonnes sculptées. […] Une femme a mis dans une coupe une rose jaune. […] Alors se produisit la révélation. Marini vit la rose comme Adam put la voir dans le jardin d’Éden et il comprit qu’elle existait dans son éternité et non dans ses phrases, et que nous pouvons mentionner ou évoquer, mais jamais exprimer, et que les hauts et superbes volumes qui formaient dans l’ombre de la pièce une pénombre dorée n’étaient pas (comme sa vanité le rêva) un miroir du monde, mais une chose de plus ajoutée au monde. […]»
Jorge Luis Borges « Una rosa amarilla » (Une rose jaune), texte original publié in El Hacedor, Emecé, (Buenos Aires, 1960), traduit en français par Roger Caillois et publié dans L’Auteur et autres textes aux Editions Gallimard (Paris, 1965).
La Galerie Marian Goodman a le plaisir d’exposer à Paris les nouveaux travaux de Giulio Paolini. Conçue comme une miseen-scène minutieuse, l’exposition réunit un ensemble d’œuvres murales, installations en trois dimensions ainsi que des éditions, traduisant son esthétique et sa pensée sur l’art et sa représentation, la figure de l’artiste et le regard du spectateur. Pour Giulio Paolini, si l’art est « un itinéraire secret, dénué de destination, de lieu, de date », « l’acte d’exposition » est ce moment où les œuvres en présence constituent une narration visuelle, que sont invités à suivre les visiteurs au même titre
que l’artiste lui-même. Composées de matériaux variés et quasi invariables (photographie, moulage en plâtre, papier à dessin, plexiglas, objets), ses œuvres dialoguent avec le Temps et l’Histoire. Chacune possède une structure complexe, incluant des références à l’histoire de l’art ou à la littérature, formant un ensemble cohérent et polysémique construit à partir d’une somme de fragments. L’observation attentive de chaque détail, signifié ou signifiant, donne les clés de lecture à toute la composition, au-delà de ce que l’on peut voir au premier regard.
Dans le synopsis de l’exposition Paolini note : Une même figure, en costume, assume trois rôles différents. Tout d’abord elle est occupée à observer le dos d’un tableau, qui lui révèle la « vérité » de ce qui est hors de sa vue : une rose jaune prend possession de son champ de vision et exclut toutes les autres visions éventuelles. Le même personnage se retrouve ensuite à exposer un « jeu » de surfaces qui lui permettent de cacher sa propre image grâce à la simulation de motifs géométriques et linéaires. Enfin il se précipite dans le vide, jusqu’à l’intersection des diagonales qui déterminent le Disegno geometrico de sa « chute libre. L’homme en queue-de-pie qui occupe les espaces structurés de trois grands polyptiques présentés au rez-de chaussée de la galerie est une personnification de la figure de l’artiste.
Retroscena (Una rosa amarilla) décrit un instant figé dans le temps où, assis dans un fauteuil et vu de dos, le personnage contemple un tableau accroché à l’envers. Surgit alors chez lui une révélation représentée par la rose jaune au premier plan. La fleur, métonymie d’un court texte de Jorge Luis Borges cher à Paolini, symbolise la « vérité » manifestée soudainement au créateur, à l’instar de celle qu’a connu le poète et protagoniste de Borges à l’article de sa mort. Cette révélation, liée à la vision d’une chose déjà observée mais perçue comme pour la première fois, est concomitante avec la prise de conscience
qu’aucune œuvre ne pourra jamais être le reflet fidèle du réel. Dans L’arte di non esserci, celui qui nous fait face, le visage dissimulé par un arceau de feuilles volantes, symbolise l’artiste anonyme, « sujet irremplaçable mais pourtant invisible », qui disparaît derrière ses œuvres. Enfin dans Caduta libera (Suicida felice), l’artiste devient acrobate, se jetant dans le vide sous nos yeux et sous ceux de ses doublures immobiles postés de part et d’autre. L’espace scénique dessiné en perspective est une référence directe à Disegno geometrico, la première œuvre réalisée par Paolini en 1960, des lignes tracées à l’encre sur une toile blanche recouverte de tempéra.
Au centre de la pièce s’élève In cielo (2018), une colonne translucide au sommet de laquelle on aperçoit un carré de ciel, qui semble en lévitation. En équilibre fragile sur l’image du ciel, une paire de souliers masculins manifeste la présence/absence d’un personnage invisible, comme évaporé dans l’éther.
Au niveau inférieur de la galerie, l’artiste poursuit : Deux autres figures habitent l’espace d’exposition. Deux corps nus, l’un précipité au sol, l’autre projeté vers le haut, tous deux suspendus dans le vertige du vol (du vide), sont les acteurs destinés à interpréter les destins parallèles de deux personnages : Icare et Ganymède, la fin et le début d’une idée de Beauté, de la même figure sans nom. In volo (Icaro e Ganimede) (2019) se compose de multiples éléments, parmi lesquels une copie en plâtre du Ganymède de Benvenuto Cellini, ici privé de ses attributs traditionnels (l’aigle et la grappe de raisin) mais tenant dans une main deux ailes en papier doré. Au sol, une reproduction parcellaire de l’Icare peint par le flamand Jacob Peter Gowy côtoie une cartographie morcelée du ciel, un globe céleste et une lampe de Wood. Les figures de la mythologie grecque, Ganymède, icône de beauté élu de Zeus et enlevé au sommet du Mont Olympe, et Icare, dont les célèbres ailes de cire
fondirent au soleil provoquant sa chute fatale, sont deux allégories de l’idéal de beauté, inexorablement insaisissable. Jeu d’homonyme, Ganymède est aussi le nom d’une des planètes en orbite autour de Jupiter, le plus grand satellite naturel du Système solaire.
L’écriture et la lecture accompagnent depuis toujours la pratique de Giulio Paolini, et la Librairie Marian Goodman est le lieu idéal pour exposer deux de ses nouvelles œuvres imprimées. Raymond Queneau Cinque esercizi di stile, un livre d’artiste en tirage limité et signé, rend hommage à Exercices de style paru en 1947. Promemoria se compose de neuf planches illustrées accompagnées de textes écrits par Paolini. Chaque image représente une vue intérieure du Château de Rivoli (Castello di Rivoli) dans laquelle Paolini, grâce à des collages photographiques, transpose librement neuf personnalités (Fernando Pessoa, Italo Calvino, Salvador Dalì, Marcel Duchamp etc.), telles neuf apparitions imaginaires venant visiter l’ancienne résidence de la cour de Savoie transformée en musée depuis 1984.
Giulio Paolini, né en 1940 à Gênes, vit et travaille à Turin. Il réalise sa première « peinture », Disegno geometrico en 1960 et sa première exposition personnelle en 1964 en Italie. Au milieu des années 1960 il est associé aux artistes italiens de l’Arte Povera et participe à de nombreuses expositions collectives. Son travail personnel est exposé dans les plus grandes institutions internationales telles que le Museo Poldi Pezzoli à Milan (2016), le Center for Italian Modern Art (CIMA) à New York (2016), la Whitechapel Gallery à Londres (2014), le MACRO Museo d’Arte Contemporanea à Rome (2013), le Kunstmuseum de
Winterthur (2005), le MAMCO à Genève (1999), la Fundação C. Gulbenkian à Lisbonne (1995), le Stedelijk Museum d’Amsterdam (1980). En France il est invité par Le Nouveau Musée de Villeurbanne en 1984. Une grande exposition
personnelle Del bello ideale. Giulio Paolini vient de s’achever à la Fondazione Carriero à Milan (26 octobre 2018 – 10 février 2019). La Collection Lambert présente du 2 mars au 10 juin 2019, Le Lacrime Dei Poeti, une exposition de sculptures de Francesco Vezzoli en dialogue avec des œuvres de Paolini, Louise Lawler et Cy Twombly.
Paolini participe aux Documenta V (1972), VI (1977), VII (1982) et IX (1992) et à la Biennale de Venise à de multiples reprises (1970, 1976, 1978, 1980, 1984, 1986, 1995, 1997 et 2013). Paolini conçoit également des décors de théâtre depuis 1969, parmi lesquels celui de l’opéra La Walkyrie de Richard Wagner, au Théâtre San Carlo de Naples en 2005. Il reçoit le Premio Fontana en 1975, le DAAD Fellowship en 1981 et est nommé Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres en 1995.