Des coupes et découpes
Exposition personnelle de Philippe Apeloig.
Des coupes
D’une part, il y a une série de cinquante aquarelles montrant une coupe isolée au centre d’une page, comme abandonnée. Aucun autre élément ou indice n’indique dans quel espace l’objet a été placé. Il semble flotter, être en lévitation. Le dessin schématique confère à ce pot rouge et orange un aspect de pictogramme, de silhouette. À travers la géométrisation de ses formes, la coupe devient le terrain d’expérimentations visuelles aux couleurs saturées, qui mettent en avant la conceptualisation de l’objet plutôt que sa reproduction.
Les couleurs sont denses, au point que certaines fibres du papier imbibé de pigments ont été arrachées par les multiples passages du pinceau. L’objet est vu de face dans son évasement profilé, de dessus en un cercle parfait, parfois par dessous ou via un détail si rapproché que la matière de l’objet est un dégradé qui envahit l’espace entier de la page. Le dessin de la coupe se détache sur le fond blanc du papier, dont la texture granuleuse invite au toucher. Autrement, il n’en reste que le contour, qui disparaît presque et se fond dans des aplats.
D’où vient cette coupe ? Que contient-elle ? Le vide tient une place aussi importante que le plein. Énigmatique et modeste, lumineuse ou plongée dans l’obscurité, le dessin de la coupe, répété, fait naître un rythme poétique, qui révèle une potentielle histoire personnelle.?Celle d’un objet offert par quelqu’un qui aurait disparu, laissant cette seule trace dans l’existence de celui qui l’observe et la dessine, soucieux d’en conserver?un souvenir intact. Cette série d’aquarelles offre au spectateur un ensemble?de variations subtiles et multidirectionnelles d’un objet personnifié, chargé d’une réflexion sur l’essence de la présence et de l’absence.
Découpes
D’autre part, il y a une série d’aquarelles monochromes où émergent des lignes, des motifs, parfois des lettres. Tous sont issus d’incisions comme taillées au scalpel dans des aplats bleus aux subtiles nuances : indigo, de Prusse, céruléum, de Phtalo. Ces fentes laissent entrevoir le blanc du papier, et dessinent des lettres en négatif : c’est la réserve qui devient lumière.
À l’inverse de l’image traditionnelle de l’aquarelle, les couleurs ici sont denses, intenses, saturées, car fruit de multiples passages sur le papier.
Ces fines ouvertures se retrouvent aussi dans des formes plus organiques, noires et fragmentaires, qui s’agrègent comme des tessons rassemblés sur la feuille. Leur fragile agglomération, entre tension et magnétisme, donne à percevoir les continuités de lettres embryonnaires : ni typographiques, ni calligraphiques, elles sont des commencements. Apparaît alors de ces variations de noir de fumée, d’ivoire ou de gris de Payne, un abécédaire éclaté.