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Exposition personnelle de Laurent Marissal.
Connu également sous le pseudonyme de Painterman, l’artiste, né en 1970 à Paris, se définit comme peintre. Si Laurent Marissal est peintre, il est cependant un peintre sans peinture. Il convient ainsi de distinguer le peintre Laurent Marissal qui relate ses actions ; de Painterman, le peintre qui fait l’action.
Dès sa sortie de l’école des Beaux Arts, le peintre Laurent Marissal commence son œuvre au Musée Gustave Moreau, dans lequel il est engagé comme gardien de musée. C’est là qu’il entreprend de « peindre au bleu ». Selon l’artiste, « peindre au bleu » désigne l’ensemble des actions clandestines réalisées avec art par un salarié durant son travail, à l’insu de son employeur. La peinture au
bleu s’apparente à la reprise individuelle (vol, perruque), à la résistance (sabotage, activisme), à l’art. C’est ainsi qu’il tourne le dos au public pour lire, dessine des croquis, regarde les peintures, retourne les chaises des gardiens, déplace les objets, met le doigt dans la peinture fraîche du musée en rénovation… Autant d’actions qui se déploient jusqu’à la création d’une section syndicale, détournée au profit de ses actions picturales : il met en cause les conditions de travail, provoque la première grève du musée, organise une manifestation et fait rétablir la commission administrative paritaire. Il obtient la réduction du temps de travail et l’agrandissement de l’espace de repos des
gardiens, puis démissionne après les travaux. Le récit de ces actions picturales clandestines donne lieu au premier opus de la série Pinxit, 1997-2003, paru aux Éditions Incertain Sens en 2006.
De 2005 à 2010, il poursuit sa « peinture au bleu » en tant que professeur d’histoire de l’art, mettant en acte ses propos durant les cours qu’il détourne de leur mission initiale. Laurent Marissal confirme sa position d’artiste critique en utilisant son temps de travail au profit de ses actions. C’est ainsi qu’il note ses élèves aux dès, ou brise une table durant son exposé sur une performance de Fluxus.
En 2010, il rend visible sa métamorphose en publiant : Laurent Marissal alias Painterman, Pinxit (II) – Où va la peinture, aux Éditions Incertain Sens :
« Peindre sans peinture ? Oui, le peintre est un singe s’il se borne à recouvrir des surfaces limitées sans peindre l’espace même qui le sépare de la toile, du monde. Je recouvre le temps dit libre et transforme la vie subie en vie composée. Oui, la vie est mélangée à la peinture, la chose est éprouvée. J’ai la formule. Je crains maintenant de peindre assis comme un ours en cage. »
Laurent Marissal fonde en parallèle la revue NADA, revue des actions non visibles – non cachées, à la suite d’un séjour au Canada, qu’il conçoit comme un atelier lui permettant d’expérimenter différents aspects de son œuvre ; NADA se définit comme « revue épisodique, {qui} dépeint les actions picturales, non visibles – non cachées, réalisées par Painterman alias Laurent Marissal en
milieu hostile comme en Arcadie. »
Sa première exposition à la galerie mfc-michèle didier révèle le premier chapitre du prochain numéro Pinxit, qui revisitera les grandes figures à partir du mythe de Caïn. Ce mythe inaugure une nouvelle période dans la peinture de Laurent Marissal. Caïn, ou plus précisément l’histoire de Caïn et Abel, est un des premiers mythes fondateurs de la Bible, mais également une « œuvre fondatrice de l’imaginaire occidental » qui renvoie « au temps primordial » et « fabuleux des commencements », selon l’historien des religions, Mircea Eliade(1). L’exposition de Laurent Marissal part de cette contradiction : Caïn commet le premier crime, en tuant son frère Abel, mais est également le père fondateur de l’Art grâce à la création de la première ville, Hénok, donnant naissance ainsi à la civilisation. Et grâce également à une descendance qui
déclinera les arts et les métiers, il devient alors le père de tous les arts.
Le mythe de Caïn peut ainsi être considéré comme un modèle du processus créatif : néantiser le néant… Et nous laisser entrevoir, que de la transformation de l’odieux nait l’art, la cité, la civilisation… L’artiste s’interroge : la mission de l’art n’est-elle pas de s’affranchir des lois et d’assurer sa liberté ? Et comment l’artiste peut-il construire sa propre souveraineté ?
Au sein de la galerie mfc-michèle didier, ce portrait de Caïn prendra la forme d’un poème visuel, donnant lieu à une traduction en arabe et en hébreu gravée sur un vinyle, accompagné d’un journal. Sera également montré la revue NADA, sous forme de journal mais également sous forme de panneaux présentant le récit d’actions picturales ; y seront aussi présenté des dessins ; ainsi que des actions non-alignées. Les actions non-alignées (ana), que l’artiste
développe depuis 2016, sont conçues comme une forme collective de ses actions picturales.
L’ana se fédère autour de paroles et d’actions d’artistes, de militants, d’ouvriers, ou de scientifiques. Une vitrine picturale associée aux actions non alignées changera chaque semaine avec et selon les invités.
L’artiste mettra ainsi en place, dans le cadre de cette exposition, un programme ana dédié au portrait de Caïn: tous les vendredis, 18 minutes après Jumu’ah, 18 minutes avant vêpres et shabbat, seront organisés des cercles de parole, pour évoquer la loi, la violence, la révolte, l’amitié, l’utopie. Un programme invitant à repenser à la fois l’autonomie de l’artiste, mais
également la construction de nos personnalités au delà des frontières juridiques ou géographiques.
L’événement sera également l’occasion de lancer le label Caïn et de proposer quelques protocoles de vente : le hasard, la règle des tiers, la suite Fibonacci, la suite Conway, le sursalaire, le prix coûtant seront quelques-unes des alternatives.
(1.) Véronique Léonard-Roques, Caïn et Abel, Rivalité et responsabilité, Éditions du Rocher, 2007, p. 12