Évènement

Jean-Luc Vilmouth

Mercredi 9 mai 2001 à 19h

La question des échanges entre êtres humains vivant dans des contextes parfois très éloignés est omniprésente dans le travail de Jean-Luc Vilmouth.

C’est la raison pour laquelle il installe dans ses expositions des espaces de convivialité qui évoquent les bars ou les cybercafés.

Dans une série d’oeuvres récentes, il s’est intéressé au rapport que les personnes entretiennent avec la maison où ils habitent.

En plusieurs lieux du monde (du cercle pôlaire au Brésil en passant par Paris et la Corse), il a voulu emprunter -le temps d’une photographie- l’identité de ces personnes. Il a ainsi posé devant leur maison, vêtu de leurs vêtements et cherchant à se fondre de manière naturelle dans les différents contextes.

C.Francblin : Je suis heureuse de recevoir un artiste tel que Jean-Luc Vilmouth, qui a une vingtaine d’années de carrière derrière lui, et Olivier Zahm qui a fourni un très important travail avec la revue Purple.
Le travail de JL.Vilmouth est concerné à plusieurs niveaux pas notre thématique : en effet :
– JL.Vilmouth a beaucoup voyagé (notamment en Amérique du Sud)
– Le respect pour les autres formes d’art et pour la diversité est au coeur de son travail et il défend l’idée d’une diversité des cultures.
La relation de JL.Vilmouth et O. Zahm remonte aux années 92, puisque Purple a associé, à sa création des artistes en leur confiant une rubrique. JL Vilmouth, dans cette revue, a fait une interview de l’ éléphant Siam, et a ainsi voulu établir un parallèle entre l’éléphant et l’homme : comme s’ils étaient tous deux en voie de disparition. JL.Vilmouth croit en la nécessité d’une collaboration entre les humains et les animaux pour le développement de la culture.
La collaboration de JL.Vilmouth et O.Zahm a pris d’autres voies : les expositions « June » et « L’hiver de l’amour », cette dernière étant dans le prolongement de «June ». Puis en 2000, au centre Pompidou, l’exposition « Elysean Fields ». Dans « L’hiver de l’amour » Vilmouth avait mis à disposition du public des masques d’animaux : le spectateur portant un masque pouvait donc changer de point de vue et de comportement. Il y a dans l’oeuvre de JLVilmouth une utopie, un idéalisme, qui rappelle le slogan de Mai 68 « Changer la vie ».

JL.Vilmouth :
Tout d’abord je voudrais dire que ce qui m’intéresse le plus c’est d’observer les choses autour de moi et d’étudier le relation de l’homme à son environnement. J’ai exprimé cela dans plusieurs travaux.
Une des étapes importantes dans mon travail a été l’exposition « Chambres d’amis », à Gand en 1986, qui m’a permis de me poser la question de la cohabitation de l’homme et de l’oeuvre d’art, ainsi que de réfléchir sur les rapports entre les objets. J’aime mettre les objets dans leur environnement.
Pour favoriser les échanges de points de vue et d’expériences, j’ai créé de nombreux espaces de convivialité tels que les bars : Bar des Acariens (grande photo d’acariens sur les tables), Café l’Olivier (à Jérusalem, transformation d’une galerie Palestinienne en café), Bar de la Chance : j’aime toucher aux choses politiques mais de façon subtile.
Enfin, le Bar Séduire propose une fiction de séduction : nous sommes toujours confrontés à la question de la séduction.

CF : O.Zahm, quand vous avez commencé à travailler avec JL.Vilmouth, connaissiez-vous déjà son travail ?

O.Zahm : Vilmouth et moi nous sommes rencontrés avant 92. La fin des années 80 a été une période de crise pour nous, due à la domination du courant de la peinture, courant qui faisait de l’oeuvre d’art un objet fétiche. Nous ne nous reconnaissions plus dans ce courant, nous cherchions des attitudes hors de la peinture, des attitudes plus néo-conceptuelles. Vilmouth, en tant que professeur à Grenoble a eu beaucoup d’influence sur notre travail.

CF : Dans le 1er numéro de Purple, vous avez critiqué l’écologie : qu’est-ce qui vous a amené à cela ?

OZ : Nous avons suivi les idées de Félix Guattari : pour ce dernier l’écologie telle qu’elle est pensée, est un mensonge : l’idée que l’écologie puisse préserver et restaurer un équilibre perdu est fausse. Guattari ne sépare pas la crise écologique de la crise sociale : pour lui c’est un tout.
Il pense que la nature périt, qu’elle est discontinue et disparaît même parfois. Ainsi notre rapport à la nature est également fait de discontinuité. L’idée de la nature qu’ont les écologistes est mensongère et empreinte de l’idéologie capitaliste : elle a une finalité destructive.
Pour Guattari, « nous sommes tous des enfants de la catastrophe », qui vivons dans un monde synthétique : l’idée que nous puissions préserver la nature est donc fausse. Ainsi, ces réflexions rejoignent le travail de Vilmouth : comment habiter le monde ?
Il faut penser la sphère de l’écologie dans la complexité de tous les flux existants (flux d’énergie, flux économiques, flux d’informations etc …) : c’est dans cette voie que l’écologie peut innover.

CF : Il n’y aurait donc pas d’état de nature qu’on puisse retrouver, de contrées virginales ? Pourtant, dans une interview récente, quand on lui pose cette question, JL.Vilmouth vous répond : « j’achèterai un morceau de la forêt amazonienne pour qu’elle reste vierge ».

JLV : J’ai effectivement l’utopie de penser qu’il y a encore des endroits vierges sur la terre.
Mais quand je vais en Amazonie, je ne suis pas nostalgique d’un état de nature, je préfère simplement poser des questions.

CF : C’est par la fiction que vous mettez ces questions en relief : vos propos sont politiques mais ils utilisent à la fois le mode de la fiction.

JLV : J’aime quand le public est en situation d’être actif : c’est cela l’aspect politique. Je veux qu’il découvre lui-même ce qui est possible ou non.

OZ : Aujourd’hui il y a une dichotomie entre les gens « sensibles » et ceux qui ont une responsabilité politique. Ainsi l’art médiatisé est très « esthétique », et pas du tout politique : pour moi, c’est de la sous-culture.
Vilmouth, lui, quand il s’intéresse à un objet c’est de façon paradoxale et critique, comme dans la sculpture du palmier (un escalier enroulé autour d’un palmier) : là, grâce à l’escalier on découvre le palmier, mais celui-ci est aussi emprisonné par cet escalier. Travailler avec Vilmouth, c’est travailler sur le complexe, sur la question du comment ouvrir une conscience aigue de l’environnement.

Nous sommes dans un état de panique : le système actuel pousse à la croissance sans fin, on est dans la mobilisation infinie, dans la production généralisée et on ne reviendra pas à d’anciens mécanismes, il n’y a pas de raisons pour que ça change : alors que faire ?
La question d’une prise de conscience est au coeur du travail de JLVilmouth : il crée des résonnances entre pratiques hétérogènes, et des décalages qui poussent au questionnement : les choses sont à repenser.
JLVilmouth, contrairement à beaucoup d’artistes, n’essaie pas d’arrêter les choses ou de les détruire, il ne se place pas « contre » le champ symbolique (pour en créer un nouveau), mais va dans son sens pour l’infléchir, et faire modifier sa direction, son objectif.

CF : La singularité du travail de JLVilmouth ne tient pas seulement au thème de l’écozoophie, elle tient également à l’unité formelle de son travail. Il y a toujours une sorte de foyer central, dans vos travaux : le monde, vous le faites rond, vous pensez votre oeuvre comme un objet rond, quelquechose comme la terre.

OZ : Le rond effectivement revient toujours dans le travail de Vilmouth, le temps est circulaire, et le rond fonctionne chez lui comme une structure formelle qui enfante tout son travail.

CF : Quelle a été l’évolution entre l’exposition L’Hiver de l’amour et l’Elysean Fields ?

OZ : L’Hiver de l’Amour, c’était une fuite, une alternative paradisiaque à la situation de l’époque : l’exposition devait être un espace complètement décalé du monde ; la fin des 80’s c’est le retour de l’argent, de la croissance, c’est la destruction écologique, la fin du politique. On a voulu présenter un monde refabriqué, comme on construit un espace de loisirs.
L’expo Elysean Fields, a été une réaction instinctive et immédiate à la situation des 90 : années sombres de crise, années Sida, années de désenchantement.

CF : L’écologie, les verts n’ont-il pas changé durant ces années 90 ?

OZ : L’écologie n’est pas le problème de l’eau, de l’air,…, c’est ça et tout le reste : on ne peut séparer les problèmes de l’écologie de ceux de l’économie, de la vie quotidienne. Le discours actuel est réducteur : il n’y a pas eu de nouveau parti écologiste comme le rêvait Guattari, pas de nouvelle Gauche.
Les années 90 étaient excitantes car tout s’écroulait et nous pensions pouvoir tout refaire. Mais, aujourd’hui nous constatons que tout continue dans le même sens : la politique n’intéresse plus, l’argent domine, et le sur-productivisme est toujours de mise.

Intervenants

Jean-Luc Vilmouth,
Olivier Zahm

Date
Horaire
19h00
Adresse
Fondation Pernod Ricard
1 cours Paul Ricard
75008 Paris
Entrée libre