Anne Creissels / Clara Vidal-Rosset et Léa Perret
Anne Creissels / La soutenance : une performance universitaire
Pour être habilitée à diriger des recherches à l’université, je dois en passer par une soutenance, dos au public, face au jury. À quoi mon corps sert-il à ce moment-là ? Ma parole seule peut-elle porter mes idées ? Dans ces conditions, un enregistrement ne ferait-il pas aussi bien l’affaire ? Je veux bien me prêter au jeu de la soutenance mais à condition d’en révéler le caractère performatif et de ne pas prendre la parole. Je serai la petite main qui actionne le PowerPoint, le corps détaché de sa voix, le geste emprunté. Ce sera le contre-spectacle de la performance universitaire : une tentative paradoxale d’incorporation du savoir.
La soutenance a eu lieu il y a un an à Mains d’œuvres à Saint-Ouen. La mise en scène du « temps de parole de la candidate » se voulait une réflexion plus large sur les dispositifs de pouvoir présidant à la légitimation de savoirs et sur les motivations souterraines, personnelles et affectives, d’une recherche scientifique. Hors contexte originel, hors enjeu universitaire, hors fonction utilitaire, le re-enactment de ce rituel pour l’obtention d’un diplôme renforce la possibilité de projection de chacun·e dans cette situation, somme toute commune, d’avoir à « faire ses preuves ». Avec en toile de fond cette question : par quelles voies un corps contraint (par son sexe, son histoire et l’institution) peut-il délivrer une subjectivité dissidente ?
Clara Vidal-Rosset et Léa Perret / Votre temps d’attente est réestimé
En s’emparant d’éléments textuels considérés comme non littéraires et purement fonctionnels (paperasse administrative, lettre de motivation, formulaire de santé, déclaration pôle-emploi etc.), Clara Vidal-Rosset et Léa Perret évoquent le caractère absurde et aliénant du système administratif en faisant de ces documents de véritables « poèmes ready-made » riches de potentialités.
Biographies
Anne Creissels est enseignante chercheure à l’université de Lille et artiste dans le champ de la performance. Docteure de l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) en histoire et théorie des arts et agrégée d’arts plastiques, ses recherches, à la fois théoriques et artistiques, portent sur la survivance de mythes dans l’art contemporain et la mémoire inconsciente des images ; les représentations et constructions identitaires en jeu dans l’art ; le geste dansé dans sa dimension performative et son lien aux arts visuels ; les pratiques d’incorporation du savoir et du langage. Après un premier essai sur l’art, intitulé Prêter son corps au mythe : le féminin et l’art contemporain (Le Félin, 2009), elle s’apprête à publier Le Geste emprunté (Le Félin, janvier 2019). Les formes performatives et scéniques qu’elle déploie, seule ou au sein du Laboratoire de la contre-performance(collectif d’artistes et chercheur·e·s) bénéficient régulièrement du soutien de la Ménagerie de verre à Paris. Elles ont été présentées dans différents lieux, notamment : Micadanses, Musée de la chasse et de la nature, Musée Picasso, Point éphémère et Musée Cognacq-Jay à Paris, Générateur à Gentilly, Musée des Beaux-arts d’Arras, Anis Gras à Arcueil.
Clara Vidal-Rosset développe un travail qui s’articule autour des mots et de la parole. Elle produit des textes écrits le plus souvent « par les oreilles », tentant de rendre visible la langue ordinaire, et mettant en partition le flux des mots quotidien, les conversations, l’abondance et le vertige de la parole. La voix devient ainsi une matière pour l’écriture, puis la lecture, une seconde écriture. Comment se faire le passeur du texte en rendant la parole inédite et jubilatoire ? Comment travailler la langue comme un matériau plastique ? Comment conférer une dignité poétique aux paroles pauvres qui sont – comme dit Kantor à propos des objets pauvres – « entre la poubelle et l’ éternité ». Diplômée de l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Dijon, elle a exposé à la galerie Interface (Attention les voilà ! curator Philippe Bazin) puis a présenté sa première exposition personnelle Deux maux à vous dire à l’ABC (Dijon). Ses performances ont aussi été présentées lors de différentes manifestations (Venez qu’on papote– les nouveaux commanditaires Olivier Mosset, Xavier Douroux ; Le Lab Oratoire des lectures aléatoires – journée de la performance à Bourges avec Claudia Triozzi ; Tour de table sans table à Korçe en Albanie etc.) Elle collabore aussi en tant que scénographe vidéaste avec des metteurs en scène tels que Aline Reviriaud ou encore Guy Martinez.
Léa Perret est comédienne, autrice et metteuse en scène. Formée au Conservatoire du XXème arrondissement de Paris et au Studio-Théâtre d’Asnières avant d’intégrer l’ERAC (École Régionale d’Acteurs de Cannes), où elle a travaillé avec Catherine Marnas, Marcial Di Fonzo Bo, Laurent Gutmann, Nadia Vonderheyden, Cyril Teste et Giorgio Barberio Corsetti, avec qui elle jouera La Famille Schroffenstein de Kleist au Festival d’Avignon IN. Elle a monté la compagnie des Naines Blanches, écrit et mis en scène son premier spectacle La Fin du Monde – Récréation, en 2015 au Théâtre de la Loge. Elle a travaillé comme commédienne avec Yan Allégret, Louise Dudek, Urszula Mikos, IDEM Collectif dirigé par Aline Reviriaud et joue dans des performances avec le collectif transdisciplinaire Aubjectif. Au cinéma, elle a joué dans Imago, long-métrage de Cyril Teste, et dans les court- métrages Parade nuptiale d’Emma Perret, L’homme nu de Chérifa Tsouri et Fin de Règne de Théo Comby-Lemaître. En 2017, elle écrit une fable d’anticipation, Flatastic, court-métrage d’animation réalisé par Alice Saey et produit par Miyu Production. En 2018, elle joue dans La Rage de Fanchon Tortech, mise en scène par Louise Dudek, et dans Yaacobi et Leidental d’Hanokh Levin, mise en scène par Aline Reviriaud. Elle actuellement à la mise en scène de L’Horizon des Évènements, sa prochaine création, et jouera dans une adaptation de Masculin Féminin, de Jean-Luc Godard mise en scène par Aline Reviriaud.