S'inspirer, respirer : "La colère"
Nouveau rendez-vous, le 12 octobre 2022, dédié aux débats de société, le cycle « S’inspirer, respirer » conçu par le journaliste et auteur Jean-Marie Durand.
On ne peut qu’être frappé aujourd’hui par l’expression croissante des colères, du ressentiment, de la haine, de toutes ces passions tristes qui ont envahi la vie des sociétés démocratiques, alors que les thèmes de l’utopie, de l’espérance, des « lendemains qui chantent » sont, eux, en berne. La colère est une émotion qui traverse jour après jour notre actualité. Elle est un affect dont le philosophe Peter Sloterdjik dit qu’il « le plus inquiétant et le plus humain de tous”. Toute l’histoire de la philosophie condamne pourtant cette émotion, en lui opposant, d’un point de vue moral, les vertus supposées de la raison, du calme, de la lucidité, de la tempérance, de l’écoute.
La colère généralisée reste en partie liée à une nouvelle forme de mélancolie de l’histoire : ce sentiment d’impuissance qui nous dépossède du désir de rester les acteurs de notre propre vie. Tous les mouvements sociaux de ces dernières années en témoignent à l’envi. La multiplication des inégalités, des signes de mépris ou d’indifférence, nourrit le champ (le chant, aussi) des colères. Puisqu’on n’est pas reconnu pour sa propre valeur, on se met en colère. Il n’est pas étonnant que le respect soit l’exigence morale la plus fortement revendiquée aujourd’hui.
Ces colères posent la question de la tentation de la violence et de ses fastes : une dérive inquiétante qui laisse croire que c’est par des violences, individuelles et collectives qu’on se réappropriera son existence. La peur de l’avenir est forcément propice à l’irruption de forces politiques désastreuses, vouées à l’exploitation partisane de nos passions négatives et à la culture de la haine.
Pour autant, la colère reste aussi une vraie vertu politique et individuelle, tant qu’elle ne dérive pas vers l’insulte ou l’outrage. Il y a de très bonnes raisons d’être en colère. La colère contribue à donner aux citoyens le sentiment d’exister. Elle est ce que la philosophe Sophie Galabru appelle « un art de vivre en commun sans rien perdre de soi ». Elle est à sa façon ouverture au monde. D’ailleurs, Euripide l’écrivait déjà en son temps : “Celui dont la colère éclate est moins dangereux que celui qui la cache sous un air modéré.”La colère ne nous menace pas, mais elle régule nos liens. Elle est une ressource de la vitalité, reliée au sens de la vie digne, juste, équitable, égale.
Alors, comment saisir tous les visage de ces colères répétées ? La colère est-elle toujours une émotion destructrice, ou peut-elle contribuer à créer un avenir plus juste ? Nous met-elle hors de nous ou face à nous-même ? Doit-elle nous inquiéter ou nous conforter dans notre être ?
On en débat avec nos invité-e-s : Sophie Galabru, autrice de Le visage de nos colères (Flammarion) ; et Marc Crépon, auteur de Le désir de résister (Odile Jacob)