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Un laboratoire des luttes : récits alternatifs, stratégies d’émancipation et production de savoirs dans la scène artistique contemporaine en France

Anysia Troin-Guis
Le Chemin des Fous (Refuge Migrants Lgbt accompagné par Arthur Eskenazi et Liam Warren), vue d'exposition, Coco Velten, Marseille, France, 2022. Photo : Kevin Seisdedos
Le Chemin des Fous (Refuge Migrants Lgbt accompagné par Arthur Eskenazi et Liam Warren), vue d'exposition, Coco Velten, Marseille, France, 2022. Photo : Kevin Seisdedos

Anysia Troin-Guis est lauréate de la première Bourse d'écriture TextWork.

Comprendre la scène artistique française d’aujourd’hui implique de penser les enjeux conceptuels regroupant une constellation d’artistes et de collectifs dont les pratiques et les stratégies oscillent entre création, théorie et transmission. Force est de constater qu’un renouvellement de la pensée critique s’opère dans l’art contemporain, hérité de l’histoire des luttes des années 1960-1970, des pédagogies radicales et alternatives et de la critique institutionnelle, notamment à travers les notions de désidentification1 et d’intersectionnalité2. Cette pensée critique est d’autant plus urgente à être interrogée, analysée et investie dans un contexte français pluriel, tant sur le plan académique que politique ou médiatique, qui la condamne vivement : le travail des artistes, croisant théorie, pratique et témoignage, apparaît alors comme une autre porte d’entrée vers un terrain de luttes.


Les différentes modalités d’énonciation et les stratégies de lutte dans la scène artistique contemporaine peuvent être interrogées depuis leurs divers lieux d’intervention, selon plusieurs échelles d’implication, depuis l’intérieur de l’institution jusqu’à des pratiques plus marginales ou alternatives. Il peut s’agir d’initiatives individuelles ou d’actions collectives, où sont mis en avant des savoirs traditionnels transmis ou communautaires. À travers elles, les artistes pensent en actes une histoire des luttes, proposant une critique de l’ultralibéralisme et son corollaire, le capitalisme patriarcal. Ce faisant, iels produisent des savoirs antiracistes, antisexistes, intersectionnels et queer. L’articulation entre art et engagement peut se traduire sous des formes qui floutent les limites entre art, recherche, sciences sociales et pédagogie : des pratiques individuelles d’artistes qui ont explicitement recours dans leurs œuvres et leurs expositions à des textes critiques et théoriques ; des gestes d’intervention collectifs qui remettent en question les cadres normatifs des institutions artistiques qui les accueillent (lieux d’exposition ou écoles d’art) ; et, enfin, des initiatives qui opèrent à l’intersection de ces mêmes institutions et de champs extérieurs à l’art, dans une perspective politique.


La constellation d’artistes dessinée dans ce texte est forcément partielle, parfois subjective ; elle pourrait être complétée par une étude des œuvres d’artistes tel·les que Minia Biabiany, Julien Creuzet, Tarek Lakhrissi, Paul Maheke, Tabita Rezaire, Seumboy Vrainom :€, Samir Laghouati-Rashwan ou Mawena Yehouessi. Elle résulte néanmoins d’une observation méticuleuse de scènes plurielles qui se rencontrent et se fondent sur des affinités artistiques, théoriques, éthiques et parfois amicales. Par ailleurs, la fluidité des espaces liés aux luttes, leur constante évolution et leur nécessaire réflexivité rendent impossible toute tentative d’exhaustivité. Les choix opérés à travers ce texte permettent d’analyser plus finement des projets particuliers, ancrés dans des contextes géographiques pluriels et décentralisés.

Des stratégies artistiques de lutte : Josèfa Ntjam et Gaëlle Choisne

Josèfa Ntjam : la figure de l’artiste en historienne afrofuturiste

 

Certain·es artistes développent une démarche qui renouvelle des narrations historiques afin de critiquer un passé colonial et revisiter la mémoire officielle. C’est le cas de Josèfa Ntjam, dont la démarche afrofuturiste3 dessine un protocole de création où le récit spéculatif croise une documentation riche et sourcée qui revalorise des références propres au continent africain et à ses diasporas. L’artiste fait siens les outils de la recherche et de l’anthropologie, pour étudier des objets, les relier et créer de nouveaux mondes. Elle (re)modèle aussi la figure de l’historien·ne et met en tension récit dominant et contre-récit, comblant les ellipses et les effacements d’une Histoire hégémonique occidentale. En ce sens, elle se réfère notamment à Cheikh Anta Diop et son ouvrage, Nations nègres et cultures (1954), qui retrace l’origine subsaharienne de la civilisation égyptienne. Dans un entretien, Josèfa Ntjam explique :

« Beaucoup d’idées doivent être remises en question dans l’ouvrage et c’est le propre de l’Histoire d’être retravaillée avec de nouvelles informations. […] La Blackness est devenue un symbole repris plus tard par les penseur·euse·s francophones de la négritude : Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran Damas, etc. J’ai créé une iconographie intitulée People in Egypt avec tou·te·s les artistes qui se sont référé·e·s à l’Égypte, beaucoup issu·e·s de la diaspora africaine : Mohamed Ali, Malcolm X, Alice Coltrane, Nina Simone, Beyoncé ou encore Barack Obama que je fais apparaître sur une tête de Toutânkhamon. Je trouve que ce rapprochement a une puissance incroyable et donne à voir un pan de ce qui s’est passé avant la traite négrière. Il y a vraiment eu un trou historique pour cette communauté et pour moi le lien c’est l’Atlantique. Et par l’Atlantique, on revient aux nombreux morts-vivants présents dans l’océan. Cette histoire ressurgit du fond des abysses. De Mami Wata, la sirène des côtes africaines de l’Ouest à Drexciya4. »

L’exposition monographique « Unknown Aquazone » (Nicoletti, Art-O-Rama, 2021) – titre faisant suite à une pièce présentée au Palais de Tokyo lors de la manifestation collective Anticorps (2020) –, synthétisait cette volonté de démultiplier les récits, entremêlant les temporalités, la fiction, la mythologie et l’histoire. Certains photomontages présentent des superpositions de  figures de la lutte pour l’indépendance camerounaise (comme Ruben Um Nyobè ou Marthe Ekemeyong Moumié) ; des sculptures en céramique déploient différentes créatures hybrides et divinités aquatiques, notamment la déesse vaudou Mami Wata. Les titres des œuvres, ainsi que leur imaginaire, font aussi référence à l’univers plus contemporain de la techno, via le groupe de Détroit Drexciya. Au début des années 1990, ce duo d’artistes afro-américains tente de garder l’anonymat, manifestant ainsi le refus de se mettre en avant en tant qu’individu pour tendre vers l’idéal militant du collectif et du commun. Il crée une œuvre au message politique fort, autour d’une uchronie aquatique construite sur le mythe des Drexciyans, peuple constitué par les enfants des esclaves jetées à la mer parce qu’enceintes, entre l’Afrique et les Amériques, durant la traite négrière. Les abysses ouvrent la voie à une Atlandide noire, version science-fictionnelle de l’Atlantique noir de Paul Gilroy5. Elles seraient, selon Kodwo Eshun, écrivain, théoricien et cinéaste anglo-ghanéen et fondateur de The Otolith Group, une allégorie afrofuturiste des peuples de la diaspora africaine et une restauration, voire une réparation, de leur histoire6. Au-delà du divertissement, cette musique techno qui résonne dans Détroit serait la fable du marron qui a échappé à l’esclavage : les Drexciyan·es, à l’instar des esclaves fugitifs et fugitives qui s’établissaient dans des lieux inaccessibles pour échapper à leurs maîtres et créer des communautés clandestines et résistantes, ont réussi à survivre aux personnes qui les opprimaient en se réfugiant dans un empire aquatique futuriste où iels ont prospéré.

Sillonnant un monde fluide, Josèfa Ntjam crée des créatures biomorphiques, des monstres aux couleurs intenses qui réapparaissent au gré de ses œuvres. La performance I am Nameless, présentée en 2021 au festival Parallèle à Marseille, se déroule comme un rituel où l’artiste opère entre une table de mixage et un fond incrusté d’un bestiaire organique et aquatique. La poésie puissante de Josèfa Ntjam, sa narration plurielle, tantôt désenchantée, tantôt pleine d’espoir, s’extrait du fin fond des mers et se place aux confins d’un espace-temps technologique. Dans son discours, les pronoms personnels fusionnent ou, tout simplement, disparaissent, faisant de l'énonciation collective une sorte de constellation éthique et politique. On y entend le refus, la colère malgré l’espoir – « je crache en folie les fantasmes auxquels je suis assignée » – qui rappellent les confiscations historiques au centre du travail de Ntjam ainsi qu’une volonté de désidentification. Dans l’univers de l’artiste, un autre monde apparaît possible, une alternative pensante et horizontale qui permettrait de réécrire l’histoire des dominations et d’élaborer une esthétique de la révolte. Le liquide sublime alors les existences hybrides qui peuplent ce monde en partage, réévalue les histoires et permet de modeler le concept d’identité. Il n’est alors plus question d’un pessimisme bien justifié à la Zygmunt Bauman7 et ses sociétés liquides, mais d’un dispositif d’émancipation, une manière de naviguer vers un ailleurs initiatique, une métacivilisation océanique ou technologique. Pour reprendre les mots d’Achille Mbembe dans son court ouvrage “Black Panther” ou le retournement du signe africain (AOC, 2020), il s’agit d’une sorte de réconciliation entre toutes les formes du vivant, l’humain, l’animal, le végétal, le minéral et l’organique. Les technorécits réenchantent l’univers en ayant recours à la fiction spéculative, et contrent un humanisme occidental qui préfère oublier les traumas de l’Afrique, de l’esclavage à la colonisation. Histoire contrefactuelle, histoire des possibles, il s’agit bien ici d’une « esquisse historique apocryphe du développement de la civilisation européenne tel qu’il n’a pas été, tel qu’il aurait pu être8 » que les outils de l’art permettent de réaliser, au-delà de la « simple » démarche historique traditionnelle. Le recours à la fiction, la mise en avant de discours minorisés, la revalorisation de penseurs et penseuses hors du champ occidental hégémonique viennent alors modéliser une autre histoire. La performance Aquatic Invasion, avec la participation de divers·es artistes invité·es9 par Ntjam en 2020 au Palais de Tokyo, affirme cette fluidité historique et politique que rend possible la création artistique : « Ici, nos révoltes seront les chants qui nous porteront demain. Nos corps en forme de goutte viennent s’infiltrer dans l’Histoire linéaire maintenant désaxée. »

 

Gaëlle Choisne : poétique et politique de la relation 

 

La démarche de Gaëlle Choisne s’affilie elle aussi à une histoire des luttes et à une archéologie de l’histoire à travers ses vestiges coloniaux10. Le travail de cette artiste est irrigué par une méticuleuse expérimentation des liens sous-jacents au colonialisme et aux systèmes de domination. Elle fait de la relation entre objets, matériaux, références, création et public le paradigme de son œuvre, entre intime et politique, réflexion scientifique et émotion. La dimension politique du travail de Gaëlle Choisne semble liée, entre autres, à ses origines : franco-haïtienne, elle articule une pensée croisant les enjeux politiques, sociaux, économiques et écologiques avec les traditions vernaculaires du pays caribéen, ses mythes et ses manières de vivre dans le contexte postcolonial. Un tel héritage, qui superpose traditions et processus d’exotisation de celles-ci, capitalisme et effets néfastes de la colonisation, appelle à réfléchir à une posture : proprement décoloniale, elle est alors intégrée à l’histoire des Amériques et ses élans de refus de la domination. Cette perspective s’affilie dès lors à la notion d’anthropophagie culturelle inaugurée par Oswald de Andrade dans son Manifeste anthropophage (1928), qui participe à la modernité brésilienne et signe l’importance d’un cannibalisme symbolique : ingérer et absorber la violence du colonisateur via la dévoration de la culture dominante. Rationalité, classification, stabilité se voient remplacées par les notions de fluidité et de réappropriation11, dans l’optique de proposer de nouvelles subjectivités alternatives12. Expérience critique de la connaissance et de la création qui reconnaît la porosité des frontières, des références et des matières, la démarche de Gaëlle Choisne actualise cette pensée fondatrice, esthétique et politique d’une modernité en contexte postcolonial. L’artiste affirme ainsi que, dans son œuvre comme dans « notre société, rien ne provient d’un espace isolé mais tout se mélange, se combine, s’hybride, se dévore et se recrache, s’absorbe et s’imprègne13 ».

À partir d’images trouvées sur Internet, sa trilogie filmique Cric Crac, créée entre Haïti, la France et le Canada, illustre d’ailleurs parfaitement les survivances du mythe dans la société haïtienne et ses empreintes sur le contexte contemporain. L’expression « cric crac » vient d’une ancienne tradition haïtienne du conte oral : le conteur dit « cric » à son public et si celui-ci accepte d’écouter, il répond « crac ». Les histoires que raconte Gaëlle Choisne sont ici exploitées sous le genre du cinéma expérimental, à base de surimpression, boucle et found footage, afin d’élaborer de nouvelles formes de documentaire et une historiographie alternative. Elle évoque aussi les figures du loup-garou et du zombie dans les croyances haïtiennes. Le zombie, pour ne citer que cet exemple, joue un rôle prépondérant dans la culture vaudou et, parallèlement, dans la stigmatisation qui en est faite par les Occidentaux14. Fantasme de l’esclavage en tant que « production d’un pur corps, d’un corps absolument docile, d’un “organe” de production (…), le zombie, c’est le spectre de la traite et de l’esclavage, le souvenir du grand sorcier blanc transformant les Noirs en bétail de plantation15 ». C’est aussi une allégorie du vaudou, historique et politique, que l’artiste étudie au-delà de ses dimensions mythologiques et superstitieuses. Elle analyse sa double perception, selon le côté de l’Histoire où l’on se trouve : moyen de résistance et menace du prolétariat afro-descendant envers l’impérialisme et le colonialisme occidental ou stigmatisation des croyances considérées comme archaïques. Cric Crac insiste ainsi sur le mélange de références culturelles, passant du poète René Depestre, que Gaëlle Choisne cite dans la vidéo, à des entretiens avec des spécialistes de la culture haïtienne16, des images d’archives et des extraits de scènes de films états-uniens17. Le mélange des subjectivités, du populaire, du politique, du bien culturel et de la production industrielle atteste bien d’un cannibalisme culturel engagé, qui fait du référent historique une fiction, et vice-versa. Il s’agit de faire d’une mémoire traumatique un matériel d’empuissancement afin de « décoloniser et désaliéner l’esprit de l’Améridien-afroeuropéen18 ». Une double réception est donc à l’œuvre dans le travail de Gaëlle Choisne : le public est amené à réfléchir sur les structures de domination des traditions patriarcales et colonialistes et sur la capacité d’agir de l’individu opprimé19.

Une piste apparaît en filigrane et se développe dans toute l’œuvre de Gaëlle Choisne : l’importance du collectif, de recourir à de multiples voix et d’inviter d’autres personnes à s’exprimer. Dans nombre de ses travaux, fractionner l’énonciation apparaît comme une pratique de solidarité et de partage. C’est le cas de Temple of Love - Affirmation, qui a lieu au musée d’Art moderne de Paris en 2020 dans le cadre de la Nuit Blanche. Projet au long cours, Temple of Love se pense comme un espace protéiforme de soin pour réévaluer notre rapport au monde à travers la notion d’amour. Dans le chapitre Affirmation au MAM, il s’agit d’une performance imprégnée de la culture du voguing et de la ballroom, née dans les années 1970 parmi les communautés LGBT latinas et noires aux États-Unis20. Dans un musée aux portes closes, conditions sanitaires obligent, les artistes de House of Ninja invité·es par Choisne dansent et déambulent autour de sculptures et d’installations. Dehors, le public qui regarde à travers la vitre n’entend aucune musique, seulement des mantras aux perspectives décoloniales. La performance offre alors une forme de résistance politique, qui fait de l’amour, de l’acceptation de soi et de l’altérité les enjeux principaux : « Le refrain d’un accomplissement racisé de soi-même, réalisé dans l’adversité générale21 ». Dans ces projets apparaissent deux catégories de l’afrodescendance : celle en lien avec les États-Unis, ou plus largement l’Occident, marquée par une culture populaire et contemporaine, avec le voguing ; et celle plus particulière à la Caraïbe, dont l’héritage traditionnel a été préservé et actualisé. Toutes deux cependant sont confrontées à la réappropriation ou à l’effacement. En ce sens, Gaëlle Choisne formule une poétique de la survie à travers la place du corps et son interaction au vivant. Elle imagine des lieux de soin collectifs et pose l’idée paradoxale que le musée, institution nationale, lors de cette Nuit Blanche serait un safe space

La réflexion décoloniale et politique de l’artiste se reflète également dans son rapport à l’institution : selon certain·es, accepter de l’argent de l’État, c’est se laisser acheter par le système et sa violence — son racisme institutionnel, ses lois discriminantes et son absence de politique culturelle forte. Ce serait, en substance, se faire avoir ou, pire, collaborer. Néanmoins, les financements donnés par l’État, issus des taxes publiques, peuvent être utilisés pour opérer une redistribution financière ou symbolique de ces moyens, les détournant alors peut-être de leurs intentions premières. Dans cette perspective, l’initiative de Gaëlle Choisne illustre la complémentarité de son approche collective de l’art et sa volonté de développer une pensée issue de l’histoire des luttes : à l’occasion de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions, l’artiste a invité la chorale afroféministe Maré Mananga, ainsi que des musicien·nes et artistes22,  à présenter au Palais de la Porte Dorée, le 10 mai 2022, une performance collective intitulée le Monument aux Vivant·e·s - CHOC. Produit par le programme Mondes nouveaux du ministère de la Culture, et loin de l’opération de communication gouvernementale annonçant les lauréat·es l’automne précédent, le premier volet de ce projet artistique se confronte au trauma que sont la traite et l’esclavage, à travers une cérémonie chorale en mémoire de ces crimes contre l’humanité et leur abolition. Chant, musique, performance, litanie et psalmodie accompagnent une sorte de communion solidaire et sobre dans l’ancien Palais des colonies, lieu qui incarne la problématique d’une histoire conflictuelle et traumatique23. Si le contexte actuel des politiques culturelles semble difficilement acceptable, des « poches de résistance », pour reprendre les mots de Gaëlle Choisne, peuvent être disséminées afin d’offrir des espaces de parole et de représentation qui dénotent avec les discours officiels ou l’absence d’un véritable dispositif commémoratif de l’esclavage24.

Stratégies d’émancipation et institutions

L’exposition comme lieu de subversion ? 

 

La pensée critique qui s’opère dans des pratiques artistiques en France se retrouve parfois dans des propositions émises par les institutions elles-mêmes, dans une tentative d’inverser les rapports de pouvoir et de subvertir les formats traditionnels de l’exposition. L’exposition « À Plusieurs » au FRAC Lorraine en 2021 proposait ainsi une réflexion sur les diasporas africaines et les structures dominantes de pensée héritées du colonialisme. La directrice Fanny Gonella et la commissaire Agnès Violeau ont eu pour principe curatorial de ne pas se substituer au point de vue de celles et ceux issu·es de cette diaspora, de ne pas parler à la place des concerné·es mais au contraire d’inviter des artistes à tenir le rôle de commissaire. La chercheuse, curatrice et artiste Mawena Yehouessi évoquait dans le texte d’exposition une pluralité d’« autorités, identités, communautés, médiums, personnes et personnalités » qui invitait à découvrir l’espace comme « une plateforme, un complot, un lieu commun25 ». Différentes communautés artistiques avaient ainsi été élaborées autour des artistes Tarek Lakhrissi, Josèfa Ntjam et Tabita Rezaire. Le premier avait invité Inès Di Folco et Ibrahim Meïté Sikely. Josèfa Ntjam exposait la vidéo réalisée avec Sean Hart, Mélas de Saturne, ouvrant ainsi un dialogue entre singularité, culture ancestrale et recherches technologiques26. Tabita Rezaire rassemblait les travaux de nombreuses et nombreux artistes dans une cérémonie autour de la Lune et déployait une œuvre mêlant spiritualités et outils numériques, à travers différents écrans diffusant des images de l’astre et des témoignages27.

Portée par la notion d’hybridité et la mixité des pratiques représentées (installation, peinture, vidéo, sculpture…), l’exposition se voulait une plateforme multipliant les points de vue pour déconstruire les rapports de domination. Elle tentait ainsi de proposer des rapports plus horizontaux et de décloisonner les rôles, pour questionner les conditions d’existence de la création artistique : « Comment celle-ci se fait-elle le reflet d’une réalité démographique faite de déplacements et d’agrégations – par nature décentrée et plurielle » (site web du FRAC Lorraine). Elle ouvrait ainsi des pistes sur les questions de représentation et d’énonciation. Le lieu se voyait abordé comme un espace de dialogue, d’affiliations précaires et solidaires. Tout cela appelle alors, idéalement, à une reconfiguration des mécanismes de domination dans un lieu culturel institutionnel. Idéalement, car l’un des artistes-commissaires invités, Kengné Téguia, s’est finalement désolidarisé du projet, ce qu’il a expliqué dans un long billet de blog hébergé par Le Club de Mediapart et intitulé « À Plusieurs, Frac Lorraine ou d’un enfer pavé de bonnes intentions28 ». Il s’y présente comme un « artiste Noir Sourd cyborg séropositif » et sa démarche illustre les impasses d’un projet conçu comme inclusif et désireux de faire communauté, lorsqu’il est finalement impossible de se saisir de la complexité des rapports de classe, de race et du validisme. Selon l’artiste, les problématiques intersectionnelles se superposaient sans être vraiment articulées entre elles, et n’étaient pas assez prises en compte, que cela soit dans l’institution ou dans des collectifs d’émancipation. D’après lui, les bonnes intentions et l’engagement de l’institution ne doivent pas masquer un problème systémique relatif aux formes multiples de domination envers les différentes catégories sociales. L’exposition aurait participé finalement d’une culture hégémonique qui se serait complu à récupérer des luttes intersectionnelles sans pour autant renoncer aux privilèges et aux violences envers les minorités (en ce sens, on peut par exemple se demander pourquoi les artistes ne sont pas crédité·es officiellement comme commissaires). Le sujet et la structure de l’exposition seraient ainsi apparus comme un cache-misère qui soit se déresponsabilisait d’un environnement nocif et discriminant, soit jouait sur un effet de mode conduit par la libération de la parole des personnes concernées. C’est un pan de réflexion que développe la philosophe Sara Ahmed lorsqu’elle réfléchit au terme « diversité » et à sa relation ambiguë avec l’histoire des luttes : lié aux questions d’antiracisme, de multiculturalisme et d’égalité des chances, il tend à être utilisé comme une zone de confort pour les privilégié·es, qui le vident de son sens dans un double mouvement de récupération et d’invisibilisation. Pour la chercheuse, « le confort de la diversité est […] explicitement défini comme une façon de se cacher, comme un moyen d’éviter d’avoir à réfléchir vraiment sérieusement » qui « peut servir de rembourrage pour adoucir les angles de la critique et permettre aux institutions d’être réhabitées comme des espaces plus moelleux29 ». De fait, cela traduirait aussi un besoin d’afficher une culpabilité se substituant à toute forme de réparation ou même de réflexion, ce qui amène Sara Ahmed à affirmer :

« Nous avons besoin de mettre des bâtons dans les roues du système, pour stopper son fonctionnement. […] Faire des remarques féministes, des remarques antiracistes, des remarques pénibles, consiste à faire remarquer l’existence de structures que beaucoup s’emploient à ne pas reconnaître. Voilà ce qu’est un mur de briques institutionnel : une structure que beaucoup s’emploient à ne pas reconnaître. Ce n’est pas simplement que beaucoup de personnes ne sont pas abîmées par cette structure. C’est aussi qu’elles progressent par la reproduction de ce qui n’est pas rendu tangible. Quand nous parlons de sexisme, comme de racisme, nous parlons de systèmes qui soutiennent et facilitent la progression de certains corps30. »

 

Réévaluer les pédagogies en école d’art : les pensées critiques au service de l’enseignement

 

L’écueil de la récupération des pensées critiques est un enjeu non négligeable dans cet essai et conduit à s’interroger sur la formation même des artistes, dans la généalogie critique qui les imprègne, les contenus pédagogiques des cours qu’ils suivent en école d’art et les paradigmes historiques, philosophiques, curatoriaux qui, d’une certaine manière, vont participer à modeler leur pratique, si ce n’est l’influencer complètement. Penser l’histoire des luttes en lien avec la pédagogie, laquelle est loin d’être homogénéisée entre différentes écoles d’art, peut alors constituer une sorte de noyautage de l’institution, ou au moins y ouvrir un espace de réflexion. Initié à la Villa Arson par Sophie Orlando, professeure de théorie de l’art; Céline Chazalviel, responsable des éditions; Christelle Alin, responsable du service des publics et Flo*Souad Benaddi, artiste diplômé de la Villa Arson en 2021, le programme La Surface démange, illustre ce que l’école peut être comme lieu de transformation possible31. Grâce à une réflexion sur l’articulation entre théorie et pratique qui se développe en trois volets – enseignement, édition et médiation –, cette démarche participative tente de rompre avec une certaine verticalité de l’enseignement où seul·es les professeur·es détiendraient des savoirs. Suite à une journée d'étude sur les pédagogies en école d’art, organisée en 2020 avec des personnalités de l’école et de l’extérieur, une plateforme numérique sera diffusée à l’automne 2022, suivie de rencontres et de la publication d’une collection d’ouvrages en 2023. Elle consiste en une « unité regroupant différentes fonctions et positions dans et hors de la Villa Arson qui s’est donné pour objectif de recueillir, partager et développer les pratiques critiques en art ».32 Espace de collecte, d’expérimentation, de rencontre et de témoignage, elle accueillera des contenus multiples (paroles, œuvres, textes théoriques) issus d’artistes, d’enseignant·es ou de militant·es. Ce faisant, il s’agit de réfléchir à la formation des artistes et aux différentes pratiques pédagogiques mises en place, qui mêlent des références aux pédagogies critiques de bell hooks, Paolo Freire ou Henri Giroux, aux savoirs situés de Donna Haraway ou encore à l’éthique du care. Basé sur une épistémologie du point de vue, le projet vise à comprendre la construction des modalités de création sous le prisme d’un angle critique, ancré dans une histoire sociale et politique qui évolue au fil des décennies. Si l’initiative est issue d’une institution, elle s’élabore cependant hors d’une structure figée, en déconstruisant les hiérarchies formelles, en refusant « l’élitisme de classe » des productions intellectuelles académiques33 ou les « briques universitaires34 » de Sara Ahmed, en excluant d’imposer une bibliographie toute faite. Elle participe aussi d’une valorisation des recherches féministes, décoloniales et antivalidistes qui peinent à être légitimées dans le monde académique français, tributaire d’un universalisme et d’une tradition républicaine rétive à la reconnaissance des différences.

Projet en cours, il faudra penser sur un temps long l’impact et les bénéfices d’une telle entreprise dans l’école d’art française et dans les modalités d’enseignement qui, aujourd’hui encore, reposent sur une approche critique principalement conservatrice et occidentale, n’intégrant pas assez l’histoire des féminismes ou les pensées décoloniales. Mettre au jour les revendications des étudiant·es ou militant·es, faire circuler la parole quant aux discriminations, rappeler les privilèges liés à la blanchité seraient ainsi les objectifs de La Surface démange. D’autres initiatives émanent des étudiant·es elleux-mêmes, au sein de collectifs ou syndicats comme le Massicot ou la revue Show et les différentes campagnes en ligne intitulées #balancetonecoledart35. À l’institution alors de se saisir de tels enjeux sans les instrumentaliser ou les récupérer pour produire de véritables changements. Participant au projet niçois, l’artiste Flo*Souad Benaddi faisait déjà de cette démarche sa méthodologie de travail dans son mémoire de cinquième année, intitulé Sit on my Face (Villa Arson, 2021). Tout à la fois objet design qui s’inscrit dans l’histoire du livre d’artiste et de l’édition alternative, support d’histoires personnelles et politiques et somme historique regroupant sources et témoignages liés aux débats intersectionnels et aux luttes LGBTQIA+, le document préfigure les principes que l’on retrouve dans La Surface démange :

« Partir en enquête à partir de brides, déconstruites, mais liées par une résilience des corps et des désirs. Ainsi une banque de données se dessine propre à mes rencontres théoriques, militantes, personnelles et pratiques... Elles ne suivent pas forcément une suite logique mais plus un intérêt pour des spécificités dans des luttes. […] Récolter ces histoires et prendre le temps de sauvegarder ces saviors/savoirs que j’ai ou que d’autres ont vécus de manière informelle. Essayer d’établir une ossature pour des connaissances qui n’ont jamais été que constellaires. Chaque bout de météorite pour livrer une carte où nous pouvons nous situer et nous orienter. »

Déjà abordées dans ce texte, les problématiques liées à l’institution et au contexte de création et diffusion montrent qu’il est nécessaire de réfléchir à d’autres formats alternatifs comme l’édition, l’organisation de workshops, à d’autres manière d’exposer et de s’approprier divers lieux pour mettre en avant les productions artistiques politiques sans que celles-ci soient assimilées à un apparat ou un moyen de spéculation. La violence symbolique de la récupération par une élite bourgeoise des questions décoloniales, intersectionnelles et queer et la confrontation entre un contexte d’exposition intégré dans un système dominant et oppressif et des œuvres affiliées à des luttes interrogent quant à la finalité de démarches artistiques urgentes et nécessaires. S’il est difficilement possible, pour un·e artiste, de se passer totalement des interactions avec les institutions, d’autres dynamiques peuvent être envisagées dans les marges du système – lorsque celles-ci sont conçues comme « un site de radicale possibilité, un espace de résistance36 » où la parole et la création peuvent participer d’une économie circulaire.

Œuvrer dans les marges de l’institution : travailler (tout) contre les formats traditionnels du monde de l’art

Qalqalah قلقلة, une plateforme éditoriale et curatoriale collective

 

La plateforme éditoriale et curatoriale Qalqalah قلقلة appartient aux initiatives collectives qui se développent en marge des institutions, en conservant parfois un rapport intellectuel et économique avec celles-ci. Elle a pour outil méthodologique et créatif la traduction de textes peu relayés qui apportent une réflexion sur les conflits actuels, l’héritage colonial et les révoltes contemporaines. Son comité éditorial se compose de chercheur·euses, curateur·trices et artistes comme Line Ajan, Virginie Bobin37, Montasser Drissi, Victorine Grataloup, Vir Andres Hera et Salma Mochtari, et elle propose des textes en français, anglais et arabe afin de revendiquer une circulation des discours et participer à une déhiérarchisation des langues dans le contexte de la recherche. Le collectif produit ainsi des savoirs et participe à des créations et des expositions qui prônent une position féministe, inclusive et intersectionnelle s’opposant aux discours réactionnaires, discriminatoires et autoritaires de ces dernières années en France. De même, il organise régulièrement des workshops en école ou centre d’art, dont les invitations participent au fonctionnement économique de la plateforme, montrant par-là l’impossibilité de s’affranchir complètement des institutions dans un contexte de précarité financière. Cet espace d’expérimentation autour de l’écriture ouvre alors un autre récit de luttes et de recherches critiques. Au-delà de penser ou de décrire l’œuvre, il s’agit de faire œuvre en pensant ses propres conditions d’existence, matérielle, conceptuelle, sociale ou encore politique. Cette modalité de fabrique de l’histoire vient contester une vision hégémonique occidentale qui laisse peu de place aux voix dissonantes, discordantes et minorisées. Dans la continuité du refus amorcé par les études postcoloniales, notamment par Edward Saïd qui condamnait les relations hégémoniques dans le monde contemporain et la minorisation des aires et cultures extra-occidentales, il s’agit de penser les structures dominantes dans les langues ainsi que la nécessité d’un hétérolinguisme. Cette réflexion sur la langue et la traduction apparaît comme fondamentale car elle reconnaît les forces agonistiques, dans l'acte même et à travers l’histoire : à la fois processus de domination et d’appropriation mais aussi ouverture éthique et positive dans la construction du commun38. Il s’agit alors d’aborder la traduction comme une « éthique des différences ». Appelée de ses vœux par la philosophe Judith Revel, à laquelle le collectif fait référence sur sa plateforme en ligne, c’est « par la reconnaissance d’un commun des enjeux de lutte que la construction de ce commun comme nouvelle forme d’universalité à venir peut se faire39 ». En ce sens, ce sont de multiples formes d’invention qui se basent sur un tissage de liens intellectuels et affectifs entre les différent·es acteurs et actrices du milieu de l’art et de la recherche qui permettent de réaliser cette posture critique, comme par exemple dans l’exposition « Qalqalah قلقلة : plus d’une langue » présentée en 2020 au Centre régional d’art contemporain Occitanie à Sète, puis à La Kunsthalle de Mulhouse en 2021. De la même manière qu’il y a un refus d’homogénéisation des langues, il y a une volonté forte de contrer une homogénéisation de la création, qui tendrait à une pseudo-universalité du monde de l’art contemporain, aveugle aux différences sociales, culturelles et géographiques. En ce sens, Salma Mochtari décrit Qalqalah قلقلة comme une « forme ouverte aux changements collectifs, aux évolutions des besoins, des désirs et des ressources. C’est le résultat d’un travail double entre l’espace éditorial strict de la plateforme, et les espaces classiques de l’art contemporain et de la recherche en art40 ».

Traduction collective des Sous-communs, planification fugitive et étude noire de Stefano Harney et Fred Moten    

 

Cette méthodologie liant traduction, travail collectif et affinités intellectuelles et amicales se retrouve notamment dans le chantier de la parution française de l’ouvrage Les sous-communs, planification fugitive et étude noire, une série d’essais publiée en 2013 par Stefano Harney et Fred Moten, à l’initiative de la maison d’édition Brook. Réflexion mêlant philosophie, arts et tradition noire, le livre a été l’objet de nombreux ateliers de traduction amorcés dès 2019. Ceux-ci réunissaient différent·es chercheur·euses, artistes, traducteur·trices et d’autres participant·es désireux·ses de contribuer à la réception française d’une somme critique sur le capitalisme racial et les modalités de résistance à ce dernier, avec pour postulat que le « lieu et l’être sous-communs relèvent de l’incertitude de la création collective, de l’habitation par l’échange, de l’improvisation comme critique41 ». Si des sessions ont été organisées dans le cadre d’institutions comme le Centre Pompidou, dans des galeries ou des lieux alternatifs, la majorité de celles-ci avaient lieu chez l’éditrice de Brook, Rosanna Puyol, ou dans d’autres lieux privés. Cette dernière insiste sur l’importance du caractère autonome et solidaire de cette entreprise qui alternait travail et moments de convivialité, notamment autour des repas. L’économie précaire de la maison d’édition indépendante a conduit Rosanna Puyol à ne défrayer que les repas et l’hébergement, et cuisiner, avec sa mère notamment, pour la plupart des ateliers hors institution – par exemple au domicile de Myriam Suchet, chercheuse et traductrice, ou dans les lieux de résidence de Sandar Tun Tun, artiste vivant aujourd’hui à Marseille. Lors des workshops dans différentes institutions – comme à Bétonsalon sur invitation de Cédric Fauq, à la Maison populaire durant la résidence curatoriale de Thomas Conchou et pendant l’École d’automne de Tarek Lakhrissi – certaines interventions ont pu être rémunérées. Mais, dans l’ensemble, c’est donc une économie circulaire et un effort collectif qui ont permis l’aboutissement du projet en 2022 ; chacun·e participait à sa manière et donnait de son temps, guidé·e par la volonté de mettre en place les principes mêmes d’une culture démocratisée et d’un modèle de société bienveillant basé sur l’hospitalité.

Le statut d’artiste comme outil politique : Le Chemin des fous

 

Le Chemin des fous est un projet au long cours et aux multiples formes initié par la rencontre de Moussa Fofana, cofondateur du Refuge Migrant·es LGBTQI+ de Marseille (RML) et de deux artistes basés à Marseille, Liam Warren et Arthur Eskenazi42. Trouvant son origine dans un projet lié à Manifesta 13 en 2020, cette collaboration s’est concrétisée par une première performance, DÉRIVES, réalisée à la Vieille Charité. Suite à une série d’ateliers avec les deux artistes, les résident·es et membres du RML, principalement étrangers, ont mis en scène des récits de vie témoignant de leur condition et des différentes formes de discrimination subies par de nombreux·ses migrant·es du fait de leur statut d’étranger·ère et de leur identité sexuelle et de genre. Cette première proposition résolument intersectionnelle s’est prolongée par la mise en place régulière d’ateliers de création et de réflexion à Coco Velten, lieu d’occupation temporaire au centre de Marseille qui a pour vocation d’être un centre de solidarité et d’échanges culturels43.

Cette volonté d’instaurer un safe space sur un temps hebdomadaire a permis de générer partage et création entre les différent·es participant·es et acteur·trices du projet, qui ont pu former un groupe aux expériences communes et aux identités et attentes multiples. Espace d’expérimentation, d’apprentissage et de rencontres, il s’agit de développer une réflexion horizontale sur les notions d’inclusivité, de soin et de libération de la parole : une pratique issue de l’épistémologie des savoirs situés, qui insiste sur « la nécessité de produire une capacité d’analyse collective qui prend le point de vue des dominé·es, et qui fait donc une large part à leurs expériences44 ». Consciente des privilèges des un·es et des formes d’oppression subies par les autres, cette démarche implique d’interroger les cadres éthiques d’une telle collaboration et de prévenir tout déséquilibre entre personnes socialement opprimées et leurs allié·es (les deux artistes résidant en France dans une situation régulière). Soucieuse d’éviter de reproduire une nouvelle forme de tokénisme qui ne serait qu’inclusivité superficielle, la démarche repose alors sur le refus de Liam Warren et Arthur Eskenazi de décider unilatéralement d’une manière de procéder, de prendre la posture de professionnels face à des personnes minorisées et extrêmement précaires : il s’agit de faire communauté et de trouver collectivement des solutions pour lier expression artistique et utilité concrète d’une telle expérimentation.

Ces ateliers, basés sur la question de l’identité et de la représentation de soi, contribuent à accumuler un corpus documentant l’association RML, son historique et ses membres. Le point d’orgue de ce projet est mis en place en juin 2022 lors du festival AOZIZ of Inclusion, festival queer, inclusif, intersectionnel45, en coordination avec le festival de Marseille et la Pride 13, dans le cadre du Chemin des fous, qui lie exposition et performances. L’exposition réunit une installation vidéo performative ainsi que différents objets plastiques et pratiques éditoriales multiples, créés lors des temps de rencontre. Des performances y ont lieu, mêlant danse, chants ou textes, dont les gestes et les récits mettent en avant la capacité d’agir d’un collectif guidé par les valeurs de solidarité, d’inclusion et d’émancipation. Si le projet a bénéficié du fonds de production artistique Enowe-Artagon pour les frais courants de l’exposition, les participant·es ou les artistes n’ont pu se rémunérer et chacun·e s’investit selon sa bonne volonté et sa solidarité, témoignant là-aussi de l’importance des affinités intellectuelles, militantes et artistiques de l’équipe46.

Toujours en cours, Le Chemin des fous, projet multiforme, implique également une réflexion sur des questions juridiques, notamment par la mise en place du statut de coauteur ou coautrice dès lors que le groupe obtiendra des subventions ou sera invité à des résidences rémunérées. Les participant·es sont des performeurs et des performeuses mais aussi des artistes, statut qui pourrait permettre de faciliter le parcours administratif kafkaïen des migrant·es, très majoritairement débouté·es et condamné·es à vivre dans une clandestinité qui les rend vulnérables et financièrement précaires. Cette perspective s’insère dans une généalogie artistique où l’on retrouve X et Y c/Préfet de... - Plaidoirie pour une jurisprudence d’Olive Martin et Patrick Bernier47, une pièce performée par deux juristes et qui prône un droit d’auteur comme droit protecteur, « à l’inverse du droit des étrangers qui, dans le contexte de crise économique et sociale, n’accorde plus aux migrants les garanties essentielles des libertés publiques qui sont la base de toute société démocratique48 ». Dans une démarche proche, le Bureau des dépositions à Grenoble, collectif d’artistes, tente de saisir la justice contre les procédures d’expulsion menaçant les membres demandeurs d’asile49.

Plus récemment, l’artiste Mégane Brauer a, elle aussi, développé une réflexion militante autour de la migration, dans le cadre de l’exposition-résidence « Uni·e·s par le feu », coréalisée avec Anes Hoggas, Samet Jonuzi, Suela Jonuzi, Ersi Morina et Klevis Morina, aux Magasins généraux, à Pantin, sous le commissariat d’Anna Labouze et Keimis Henni. Rencontré·es au squat Saint-Just de Marseille, abritant environ deux cents exilé·es entre 2018 et 2020, les jeunes artistes encore adolescent·es que Mégane Brauer a convié·es ont élaboré l’exposition avec elle. Débutée au squat lors d’un workshop en 2020, la collaboration des six artistes avait pour double objectif l’archivage d’une expérience hors-norme – celle d’un lieu habité en autonomie – et la création artistique. Mais un incendie qui a précipité l’évacuation du site n’a laissé aucune trace de ces travaux. Les coauteur·trices, tous et toutes lié·es par un contrat de collaboration, revendiquent aujourd’hui une œuvre « immatérielle, collective et plurielle50 ». Aux Magasins généraux, elle a pris la forme d’installations, de récits réels ou non et d’une réflexion sur l’accompagnement des artistes exilé·es, composant davantage un champ de perspectives et une tentative d’archive plutôt qu’une exposition figée.

Cet entrelacement complexe de pratiques artistiques et militantes nécessite de réfléchir aux formes internalisées de domination et de subordination, conséquence des politiques migratoires françaises et européennes, à ce qu’être allié·e à une population minorisée et discriminée signifie, et au risque de se substituer à des missions qui devraient relever des pouvoirs publics. Dans un État censément providence, qui doit avoir pour principes aide sociale, protection et justice sociales, de telles démarches semblent renforcer la passivité, voire le désengagement du gouvernement auprès des populations migrantes. Selon cette même perspective, les différents appels à projets culturels institutionnels exigent de la part des artistes d’inclure dans leur démarche les hôpitaux, les prisons, les écoles ou autres lieux publics : pas toujours formé·es pour intervenir auprès de telles assistances, les artistes viennent y jouer un rôle de médiation bénéfique mais, plus problématiquement, un rôle presque palliatif de l’administration publique. La question n’est alors pas de savoir s’il faut, ou non, amorcer ce type d’initiatives. Bien au contraire, elles sont tout à fait pertinentes et nécessaires, mais il s’agit de penser collectivement, à côté de démarches ponctuelles qui bénéficient seulement à des individualités, à des moyens de changer globalement le problème de l’accueil et de l’aide aux exilé·es en France et de systématiser ces procédures. La pratique artistique et le statut d’artiste peuvent ainsi être une porte d’entrée vers une réflexion qui doit se développer dans tous les domaines de la société.

S’il n’y a évidemment pas « une » scène artistique homogène en France, celle que je choisis de commenter s’envisage comme un laboratoire des luttes où se fomentent projets individuels, créations collectives, réflexions solidaires et pratiques artistiques qui se veulent le relais d’une histoire trouée, effacée ou niée. Par ses multiples initiatives, cette jeune génération illustre une volonté de faire du monde de l’art une chambre d’écho qui pense et se pense dans l’institution et hors de l’institution, par la création d’espaces de revendications, l’écriture de récits non linéaires et de discours alternatifs, l’élaboration de nouvelles subjectivités et de nouvelles narrations. Le recours à la fiction spéculative, la valorisation de savoirs traditionnels et communautaires, la recherche de dispositifs plus égalitaires et d’initiatives circulaires basées sur une histoire des luttes conduisent à envisager la déconstruction de la pensée dominante et discriminante comme un matériel fécond pour renouveler les stratégies artistiques. Ils offrent aussi un prolongement aux sciences humaines, à la pédagogie, à l’histoire et à l’anthropologie : brisant le carcan du logos, ces pratiques participeraient à une imagination politique, une utopie en devenir et, pour reprendre les mots de José Esteban Muñoz, elles seraient « d’indispensables modalités de sortie de ce lieu et temps, pour rejoindre quelque chose de plus vaste et plein, de plus sensuel et lumineux51 ».

La désidentification est un concept lié à la psychologie et à la sociologie fondé par José Esteban Muñoz dans son ouvrage Disidentifications. Il s’agit d’analyser les œuvres et démarches d’artistes qui remettent en question les stéréotypes de race ou de genre auxquels iels ont été assigné.es : en somme, les artistes qui tentent de subvertir les codes de la culture dominante (masculine, blanche, hétérosexuelle et cisgenre). Cf. José Esteban Muñoz, Disidentifications, Minneapolis, Londres, University of Minnesota Press, 1999.
L’intersectionnalité est une notion issue des sciences sociales et politiques, élaborée par des théoriciennes féministes racisées, dont Kimberlé Crenshaw, afin de pallier un manque concernant la prise en compte des multiples processus de rapports de pouvoirs qui s’imbriquent entre eux, décloisonnant les rapports de domination entre les formations sociales (race, genre, sexualité, handicap, religion…) et générant des formes de discrimination complexe. Pour une approche synthétique et historique de la notion, voir Éléonore Lépinard et Sarah Mazouz, Pour l’intersectionnalité, Paris, Anamosa, 2021.
L’afrofuturisme renvoie à un mouvement au long cours dont découle une esthétique, née au milieu du XXe siècle, liant culture noire et science-fiction (voir notamment Sun Ra pour la musique ou Octavia E. Butler pour la littérature). Le terme apparaît sous la plume de Mark Dery dans son texte fondateur « Black to the Future: Interviews with Samuel R. Delany, Greg Tate, and Tricia Rose », in Flame Wars: The Discourse of Cyberculture, Durham, Duke University Press, 1994.
https://www.labellerevue.org/fr/dossiers-thematiques/universal-zombie-nation-lbr-11/entretien-josefa-ntjam
Paul Gilroy, L’Atlantique noir : modernité et double conscience [1993], trad. Charlotte Nordmann, Paris, Amsterdam, 2017. Le sociologue, héritier des Cultural Studies, élabore un cadre théorique pour analyser les productions culturelles de la diaspora africaine et renouveler une histoire culturelle issue de l’esclavage et de la traite négrière. L’intérêt de son propos repose dans la mise en avant d’une culture hybride, transatlantique, qui refuse l’essentialisation nationaliste et se construit sur la rencontre des territoires entourant l’Atlantique, territoires africains, caribéens, britanniques et américains, informant une production hybride à l’instar de la fluidité des identités diasporiques.
Cf. Kodwo Eshun, « Further Considerations on Afrofuturism », The New Centennial Review, vol. 3, no 2, 2003, p. 287-302. The Otolith Group réalise d’ailleurs en 2010 le film Hydra Decapita, basé, lui aussi, sur l’univers de Drexciya.
Cf. Zygmunt Bauman, La Vie liquide, Rodez, Le Rouergue/Chambon, 2006. Le théoricien forge cette expression pour désigner les sociétés contemporaines dont les lois, l’économie de marché sont constamment soumises au flux du changement et sont basées sur la surconsommation, rendant les conditions de vie précaires et les relations interhumaines superficielles.
Quentin Deluermoz, Pierre Singaravélou, Pour une histoire des possibles. Analyses contrefactuelles et futurs non advenus, Paris, Éd. du Seuil, coll. L’Univers historique, 2016, p. 26.
Notamment Fallon Mayanja, Aho Ssan, Hugo Mir-Valette (editingworldgrid), Nach, Sean Hart, Nicolas Pirus, Steven Jacques, Bamao Yendé & Le Diouck, Monochrome Noir, Crewrâle93 et Lala &ce.
Notamment les jardins, les expositions universelles ou certains monuments.
Dans un autre texte, il écrit : « L’anthropophagie est le culte voué à l’esthétique instinctive de la nouvelle terre. C’est la réduction en morceaux des idoles importées, pour permettre l’ascension des totems raciaux. C’est la terre elle-même de l’Amérique en train de filtrer, de s’exprimer à travers les tempéraments vassaux de ses artistes. » Oswald de Andrade, Anthropophagies, trad. Jacques Thiériot, Paris, Flammarion, 1982, p. 261.
À ce titre, voir le travail fondamental de Tarsila do Amaral.
https://pointcontemporain.com/gaelle-choisne-entretien/
Gaëlle Choisne écrit : « Le mot zombie trouve ses origines dans la culture haïtienne et signifie en créole “esprit” ou “revenant”. Prenant sa source en Afrique, le concept de zombie a pris une grande importance dans la culture haïtienne où il est lié à l’esclavage et à l’oppression dans l’île. Par la prise d’une potion, un homme ou une femme, dont le décès a été cliniquement constaté et dont les funérailles ont eu lieu au vu de tout le monde, revient à la vie par l’intermédiaire d’un sorcier en vue de l’asservir. Aujourd’hui encore, l’omniprésence de la figure du zombie s’explique par la persistance en Haïti des structures politiques archaïques. Cette figure négative fait référence à l’état de passivité dans lequel vit le pays et qui permet à l’oligarchie de maintenir ses privilèges. » La Feuille de boucher, éditée à l’occasion de l’exposition « Gaëlle Choisne Cric Crac », présentée au centre d’art contemporain La Halle des bouchers de Vienne, du 14 février au 3 mai 2015.
Dénètem Touam Bona, « Les métamorphoses du marronnage », Lignes, vol. 16, no 1, 2005, p. 39.
Notamment Frantz Voltaire, directeur du Centre international de documentation et d’information haïtienne, caribéenne et afro-canadienne, et Monique Dauphin, militante féministe, engagée dans le mouvement des femmes immigrantes haïtiennes au Québec.
Notamment L’Emprise des ténèbres de Wes Craven (1988), Mondo Trasho de John Waters (1969), ou le clip Thriller de John Landis et Michael Jackson (1983).
Manuel Zapata Olivella, El árbol brujo de la libertad : África en Colombia, orígenes, transculturación, presencia, ensayo histórico mítico, Valles, Universidad del Pacífico, 2002, p. 129. Traduction par Marine Cellier.
Pour une réflexion plus poussée sur les relations entre transcription de l’histoire et empowerment, voir Marine Cellier, Makandal en métamorphose. Héroïsmes et identités dans la littérature caribéenne, thèse de doctorat sous la direction de Crystel Pinçonnat, Aix-Marseille Université.
À ce sujet, José Esteban Muñoz écrit dans son ouvrage fondateur, Cruiser l’utopie. L’après et ailleurs de l’advenir queer : « On le prend trop souvent pour une simple célébration de la culture queer noire. Sa pratique est perçue comme une simple appropriation de la haute couture ou d’autres aspects de la société de consommation. Je propose de voir dans ces mouvements autre chose qu’une célébration : il faut y voir une trace indélébile de la survie racisée de queer noir*es », trad. Alice Wambergue, Paris, Brook, p. 150.
Ibid., p. 151.
Christelle Oyiri, Sophye Soliveau, Kelly Carpaye, Eden Tinto Collins, Joseph Decange, Frieda, et Pierre Et La Rose.
La performance a été réalisée avec la participation de la chorale Maré Mananga, Christelle Oyiri aka Crystallmess, Sophye Soliveau, Kelly Carpaye, Eden Tinto Collins, Joseph Decange, Frieda, et Pierre Et La Rose.
Dans la même perspective d’une redistribution, ici financière et symbolique, voir le workshop mené par Gaëlle Choisne dans le cadre de l’exposition de Mohamed Bourouissa, « Urban Riders », au musée d’Art moderne de la ville de Paris (2018), avec un groupe de réfugiés, venant d’Érythrée, du Soudan, de Syrie ou d’Afghanistan, autour de l’artiste franco-cubaine Hessie (1936-2017).
Mawena Yehouessi, texte d’exposition À Plusieurs, disponible sur https://www.fraclorraine.org/media/CP_Aplusieurs_MAI2021.pdf. 
Notamment avec Mawena Yehouessi aka M.Y, Nicolas Pirus, Fallon Mayanja, Hugo Mir-Valette (editingworldgrid) et Borgial Nienguet Roger.
Différent·es artistes sont ainsi invité·es : Yussef Agbo-Ola, Julien Creuzet, Hlasko, Elsa Mbala, Jenny Mbaye, Memory Biwa et Robert Machiri, Aisha Mirza et Mahta Hassanzadeh, Liz Mputu, Nolan Oswald Dennis, Bogosi Sekhukhuni, Justine Shivay.
https://blogs.mediapart.fr/kteguia/blog/190521/plusieurs-frac-lorraine-ou-d-un-enfer-pave-de-bonnes-intentions.
Sara Ahmed, Sara Ahmed, « Le langage de la diversité », trad. Noémie Grunenwald, GLAD!, 07, 2019, disponible sur https://doi.org/10.4000/glad.1647.
Sara Ahmed, « Généalogies scientifiques, pratiques et privilèges citationnels : “Les murs de l’université” (Living a Feminist Life) », trad. Aurore Turbiau in Fabula-LhT, n° 26, « Situer la théorie : pensées de la littérature et savoirs situés (féminismes, postcolonialismes) », dir. Marie-Jeanne Zenetti, Flavia Bujor, Marion Coste, Claire Paulian, Heta Rundgren et Aurore Turbiau, octobre 2021, disponible sur http://www.fabula.org/lht/26/ahmed.html. 
Cette réflexion a été écrite un peu avant la parution de l’article de Libération du 8 juillet 2022 décrivant des situations de harcèlement et d’abus sexuels par un enseignant de cette même école d’art. Cette concomitance illustre bien qu’il est nécessaire, plus que jamais, d’instaurer une véritable réflexion et des changements au niveau pédagogique dans les écoles d’art et de donner des espaces de travail et de parole sécurisants pour les étudiant·es. Cf. https://www.liberation.fr/societe/droits-des-femmes/harcelement-sexuel-propos-racistes-humiliations-la-villa-arson-une-ecole-dart-au-climat-deletere-20220708_TBWTYONCQ5C53OU3A4X5BVIBUU/
Voir la présentation de la plateforme La surface démange, disponible sur : https://villa-arson.fr/actualites/2021/09/la-surface-demange/
Cf. bell hooks, Teaching to Transgress: Education as the Practice of Freedom, 1994.
Art. cit. ; la philosophe explique ainsi cette expression : « J’ai décrit les citations comme des briques universitaires, à l’aide desquelles on construit des maisons. Quand les pratiques citationnelles deviennent des habitudes, les briques forment des murs. Je pense qu’en tant que féministes nous pouvons espérer provoquer une crise autour de ces pratiques, ne serait-ce qu’une hésitation, un questionnement, qui pourraient nous aider à ne pas suivre les sentiers citationnels trop bien battus. Si l’on veut provoquer une crise dans la citation, on tend à devenir la cause d’une crise. »
À ce sujet, on peut consulter le podcast très récent Paye ta vie d’artiste ! réalisé par Manifesto XXI et coproduit par le Printemps de l’art contemporain, qui a organisé au SOMA, à Marseille, une rencontre intitulée « #balancetonécoledart : vers de nouvelles pédagogies » sur la pédagogie, la précarité et les rapports de pouvoir dans le monde de l’art, dès l’école : https://manifesto-21.com/podcast-paye-ta-vie-dartiste-ecole-dart/.
bell hooks, Yearning: Race, Gender, and Cultural Politics, South End Press, 1990, p. 149.
Virginie Bobin est par ailleurs membre du comité éditorial de TextWork.
Voir en ce sens, les travaux d’Emily Apter, notamment Zones de traduction. Pour une nouvelle littérature comparée, trad. H. Quiniou, Paris, Fayard, 2015, ou le plus récent ouvrage de Tiphaine Samoyault, Traduction et violence, Paris, Seuil, 2020.
Judith Revel, « Construire le commun : une ontologie », Rue Descartes, vol. 67, no 1, 2010.
« Qalqalah قلقلة ou l’aventure de l’hétérolinguisme. » Entretien par Éric Mangion et Luc Clément. Publié sur Switch on Paper le 21 octobre 2021.
La liste exhaustive des traducteurs : Rémi Astruc, Orestis Athanasopoulos Antoniou, Laetitia Badaut Hausmann, Antoine Barberon, Katia Barrett, Paul Batik, Nelson Beer, Amina Belghiti, Emma-Rose Bigé, Mélanie Blaison, Elisabeth Boshandrey, Kathleen Bonneaud, Ana Cecila Breña, Eugene Brennan, Nina Breuer, Willie Brisco, Aimo Buelinckx, Salomé Burstein, Ninn Calabre, Ève Chabanon, Ghalas Charara, Virginie Chavet, Marie Chênel, Camille Chenais, Etienne Chosson, Lisa Colin, Alexandre Collet, Christel Conchon, Thomas Conchou, Sofia Dati, Laure de Selys, Jérôme de Vienne, Florent Dégé, Judith Deschamps, Fig Docher, Eugénie Dubreuil, Diana Duta, Jacob Eisenmann, Abderrahmane El Yousfi, Marion Ellena, Lou Ellingson, Phoebe-Lin Elnan, Iris Fabre, Kim Farkas, Cédric Fauq, Claire Finch, Lucas Fritz, Léa Gallon, Nathalie Garbely, Léa Genoud, Leo Gentil, Valentin Gleyze, Sarah Holveck, Sandrine Honliasso, Caroline Honorien, Nina Kennel, Nora Kervroëdan, Nadir Khanfour, Soto Labor, Tarek Lakhrissi, Ana Marion, Hélène Mateev, Callisto McNulty, Juliette Mello, Léna Monnier, Lucas Morin, Violette Morisseau, Elena Lespes Muñoz, Margot Nguyen, Jordan Nicholson, Pierre Niedergang, Rokhshad Nourdeh, Léo Osmu, Rebecca Oudin-Shannon, Laura Owens, Sophie Paymal, Marielle Pelissero, Céline Peychet, Baptiste Pinteaux, Madeleine Planeix-Crocker, Céline Poulin, Rosanna Puyol, Catherine Quéloz, Eva Fleur Riboli-Sasco, Mathieu Rajaoba, Lily Robert-Foley, Delphine Robet, Pauline Roches, Guillaume Rouleau, Luce Rouyrre, Neige Sanchez, Samy Sidali, Jon Solomon, Chloé Subra, Myriam Suchet, Oona Sullivan-Marcus, Laura Trad, Emma Tricard, Sandar Tun Tun, Esther Um, Gemma Ushengewe, Mona Varichon, Alice Wambergue, Mawena Yehouessi.
Avec la participation et les créations de, notamment, Anis Khamlich, Alex Bakabum, Allieu Jallah, Abdo, Ahmed Ba, Abulah Koroma, Austin Ebora Muoghalu, Abdul Mustapha Koroma, Amadu Jalloh Alhade, Abdul Mustapha Koroma, Bai, Ben Rayane, Brian Recha Jongis, Calistus Anaezionwu, Fouad, Isha Koroma, Isaac Hura, Jabbie, John Mansaray, Kai Biango, Moussa Fofana, Mohamed Sawaneh, Mohamed Lamarama Jalloh, Mehdi, Mohamed A’Sesay, Matthew Ohajiani, Nana, Paul, Raymond, Peter, Sylla, Souleymane Traore, Suleyman Mohammed, Sesay Foday, Sario Camara, Oneyeke.
À partir du mois de mars 2021, des ateliers ont été menés avec de multiples artistes : deux membres du groupe Ramziya Hassan (danse orientale) et Anis Khamlich (chant, karaoké), Nina Gazaniol (vidéo), Erika Nomeni (écriture/rap), Alou Cissé Zol (danse contemporaine), Andrew Graham (danse waacking), Silvia Romanelli (costume et maquillage drag queen), Elsa Ledoux (impressions sérigraphies), Daouda Keita (danse contemporaine), Maria de la Vega (danses latines).
Éléonore Lépinard et Sarah Mazouz, op. cit., p. 42-43.
AOZIZ est un réseau marseillais qui travaille avec des groupes mixtes de personnes en situation de handicap et de non-handicap et des personnes minorisées et discriminées.
En ce sens, travaillant depuis quelques années avec Liam Warren, j’ai proposé d’écrire le texte de l’exposition afin de problématiser les enjeux d’une telle démarche et d’aider à la médiation de l’exposition et des performances avec les publics.
Olive Martin et Patrick Bernier, X et Y c/Préfet de... - Plaidoirie pour une jurisprudence, performance créée en 2007, en association avec Sébastien Canevet et Sylvia Preuss-Laussinotte, interprétée par S. Canevet et S. Preuss-Laussinotte et produite par Les Laboratoires d’Aubervilliers.
Pour une analyse approfondie de cette performance hors norme, voir Cécile Debost, « Plaidoyer pour une jurisprudence », Les Cahiers de la Justice, 2015, vol. 1, no. 1, p. 23-27.
Voir https://www.pacte-grenoble.fr/programmes/bureau-des-depositions
Entretien privé avec les coauteur·trices (juin 2022).
José Esteban Muñoz, op. cit., p. 318.