Alain Bublex Impressions de France
Ecoutez la conférence sur France Culture plus : L’artiste Alain Bublex a présenté son ouvrage, Impressions de France, édité aux Presses Universitaires de Caen, en compagnie du philosophe Bastien Gallet, et d’Emmanuelle de L’Ecotais, conservateur en charge de la collection de photographies au MAMVP.
L’ouvrage Impressions de France est l’aboutissement de la résidence de l’artiste Alain Bublex, produite par le FRAC Basse-Normandie.
Comment d’un pays dresser un portrait photographique ? Quels lieux choisir ? Quels parcours dessiner ? Faut-il privilégier les frontières ? les formations géologiques ? L’architecture ? Doit-on s’intéresser aux paysages ? Aux systèmes urbains ? aux empreintes plus ou moins perceptibles de l’Histoire ? La solution que propose Alain Bublex a l’avantage de ne se poser aucune de ces questions. Les lieux de prise de vue ont été désignés par les points d’entrecroisement d’une grille fixée sur le méridien de Greenwich et dont l’écartement reprend celui des départements. À la variété indéfinie des raisons a été préférée la rationalité abstraite de la grille géographique. Elle seule donnerait à voir, derrière la diversité des paysages, la cohérence d’un pays. C’est l’hypothèse de ce livre et son anachronique projet : qu’il faille se poser, aujourd’hui, la question du pays et que cette question passe par des images. Autrement dit, un pays est quelque chose qui se donne à voir mais sa visibilité suppose l’arbitraire d’une grille.
Né en 1961 à Lyon, Alain Bublex vit et travaille aux alentours de Paris
“Je ne produis ni dessins, ni photographies, vidéos ou installations mais des projets. Les objets que je produis sont des conséquences.” Ces mots d’Alain Bublex caractérisent l’ensemble de son oeuvre qui, depuis 1992, oscille entre fiction et réalité, égarant le spectateur dans des projets dont les éléments fictifs sont traités avec une rigueur scientifique indiscutable et une logique absolue.
Présentation du projet par Alain Bublex.
Avec Impressions de France, Alain Bublex prolonge son projet artistique CONTRIBUTION initié en il y a quatre ans et qui évolue tel un inventaire dûment numéroté. Ainsi, à l’invitation du Centre Georges Pompidou pour l’exposition Paris-Delhi-Bombay, en 2011, il conçoit Contribution #2 Delhi Cold Storage, notes et hypothèses (de travail ), laboratoire d’images et de formes issues de photographies qu’il a prises dans l’espace public de New Delhi.
Avec Contribution #3 Paris, aire métropolitaine présentée à la Galerie GP & N Vallois en 2011, le plan de la RATP et les lignes de RER servent le « protocole de prises de vues ». L’artiste, photographie systématiquement le paysage aux abords de chacune des 236 stations du réseau et produit ainsi un portrait photographique du Grand Paris, généré ni par l’exemplarité, ni par le pittoresque des quartiers inventoriés. Alain Bublex en livre un panorama visuel régi par la sélection d’une seule image par station :
« Il ne s’agissait pas d’enjoliver la réalité, mais de l’aborder avec bonne humeur, avec une attention curieuse plutôt qu’avec une observation de jugement « .
(in Journal des Arts, novembre 2011).
Le projet de la résidence à la MRSH (Maison de la Recherche en Sciences Humaines de l’Université de Caen) en 2012 consiste en la préparation de Contribution #1. Il s’agit de déterminer, au moyen de la cartographie, une série restreinte de sites de prise de vues afin de lever un portrait photographique des paysages de la France contemporaine en complément de celui dressé au cours de la décennie passée par Raymond Depardon.
Dans le cadre de sa résidence, Alain Bublex engage un travail de création de cartes avec la cartographe Frédérique Loew qui déterminera des sites à photographier. Simultanément il lance une campagne de photographies des sites d’étude de l’agglomération caennaise sur lesquels travaillent les chercheurs en géographie.
Partant du principe que l’édition doit faire partie intégrante du catalogue des Presses universitaires de Caen, Alain Bublex se base, pour sa conception, sur une publication existante de leur catalogue, Chroniques latines du Mont Saint Michel, dont il souhaite reprendre l’exacte maquette, en excluant le texte et en ne gardant que les signes de la composition (numéro de page, trait de notes de bas de pages, etc.).
Invitant Bastien Gallet à écrire pour ce livre d’images sans texte, ils imaginent tous deux une préface qui serait en fait un quatrième de couverture se poursuivant sur un tiré à part inséré dans l’ouvrage, bouleversant ainsi tous les codes classiques de l’édition.
« Il manque à ce livre des mots, non ceux que vous êtes en train de lire et qui ornent sa surface extérieure, ceux-là sont inévitables et leur rôle dans le cas présent est de dire une absence, leur absence du reste du livre. »
Bastien Gallet est né à Paris en 1974.
Précédemment producteur à France Culture, rédacteur en chef de la revue Musica Falsa, directeur du festival Archipel (Genève), pensionnaire à l’Académie de France à Rome (villa Médicis), ce philosophe -également féru d’art sonore et de littérature- enseigne l’esthétique à l’Ecole des Beaux-Arts de Montpellier.
A publié entre autres deux romans : Une longue forme complètement rouge aux éditions Léo Scheer et Marsyas aux éditions MF ; deux essais sur la musique ; Anastylose aux éditions Fage (en collaboration avec Ludovic Michaux, Yoan De Roeck et Arno Bertina).
Mot de l’éditeur.
L’intérêt d’un livre d’artiste réside principalement dans l’adéquation entre une forme et un projet. De ce point de vue, Impressions de France se présente incontestablement comme un livre d’artiste intéressant. En portant cette adéquation à un degré tel que le projet met en question la forme-livre même, et notamment la relation traditionnelle texte / image et s’inscrit dans une tradition qu’on pourrait qualifier de « conceptuelle » . Ces livres, nécessairement inattendus, impliquent une critique, plus ou moins implicite, du sujet qu’ils se donnent ou plus exactement des représentations courantes de ce sujet.
Ainsi, Impressions de France est-il simultanément une mise à nu des ouvrages de géographie savants et des livres de photographie de voyage. En affirmant une position réduite à un principe, il désigne en creux l’arbitraire du goût et de la convention scientifique.
« L’idée était de faire un objet qui se trouverait à mi-chemin entre nous (la MSRH et moi-même), déjà dans mon travail, mais encore à l’université, une production qui s’intègre en plein dans mon travail mais qui puisse aussi rester à l’université.
« Contribution », un livre muet qui, éventuellement, en appelle d’autres dont le texte reste à écrire. (des contributions) ; un livre.
Bref, ce n’est pas un catalogue ou un mémoire, plutôt la forme que prend mon travail, au même titre qu’une photo, une installation, ou autre… «
Alain Bublex, octobre 2012