Alain Séchas présente en ce moment dans l’exposition Futur, ancien, fugitif au Palais de Tokyo un vaste mur de dessins réalisés et postés chaque jour sur son compte Instagram, durant un an, entre 2018 et 2019.
Réécoutez la conférence avec Alain Séchas sur France Culture.
Ce sont des billets d’humeur dessinés, très drôles, à la manière de cet artiste chez lequel dessin et humour vont toujours de pair. Il utilise le média Insta, ultra-sensible, fébrile et viral, avec le flegme habituel de son art chaud et froid, immédiat et distancé.
L’humour irrigue l’art de Séchas, depuis toujours, même ses peintures abstraites distillent une ironie « à bruits secrets », selon l’expression de Marcel Duchamp. Elles reflètent une perplexité originelle, s’interrogent sur leur existence. L’humour de Séchas réside essentiellement dans son trait synthétique, qui allie les qualités du dessin de presse, de la BD ou de la caricature. Un trait condensé et rapide, neutre et incisif. Ces types de dessin qui participent d’un langage commun intéressent l’artiste en ce qu’ils « construisent un espace « vulgaire », populaire ». Séchas explore en effet un espace commun, réaliste et fictionnel, celui, comme lui-même l’explique, des classes moyennes urbaines1. Il découpe ses scènes dans la vie ordinaire, ses fameux personnages à tête de chat apportant la distance de la fiction et de la BD en particulier, à laquelle elles renvoient. Ces figures à la fois stylisées et fantomatiques se situent dans un présent précis et indéterminé, l’époque, faite de ce qu’on voit et entend, de souvenirs collectifs et personnels mais aussi de tout ce qui passe par la tête. L’artiste mêle les références actuelles et datées, évoquant les années 1960 et 1970, comme c’est le cas de ses créatures, celles féminines au corps sexué et sexy, tandis que certaines ambiances rappellent les films de Jacques Tati.
Le trait saisit un détail, un geste, une situation qui fait mouche. Une femme fume une cigarette dans un intérieur bourgeois (Bouquet, 2017) où transparaît Matisse. Une femme allume le gaz (Briquet, 2017), une autre dépose son sac de déchets dans la poubelle collective (Sac poubelle, 2017). L’artiste creuse le banal jusqu’à l’absurde et fait saillir l’absurde de l’extrême banalité. Ses personnages ont tous le même regard ahuri : leurs yeux blancs grand ouverts semblent traversés par une réalité qui les dépasse. Un vide les habite de même qu’il hante des situations terriblement anodines.
Les peintures sont à prendre au premier degré, dit volontiers l’artiste. Lequel ? Celui de la peinture, des figures, des situations ? Tout cela à la fois. L’artiste manie avec méthode et jubilation une science des premiers degrés. En effet, le premier degré de la réalité peut sauver d’une folie ordinaire qui apparaît un peu partout : la glace qu’on mange, la promenade avec le chien, la cigarette qu’on fume, la soirée avec des amis, l’engueulade avec son mari ou avec un ami, un bouquet de fleurs. Le premier degré peut aussi rendre fou et prendre la forme de la violence brute ou du rire franc. Car chez Séchas, on tue, on se suicide au chocolat et par pendaison, froidement et drôlement.
Son univers est double, se dédouble en multiples facettes, à la fois concret et épuré, réaliste et fictionnel, figuratif et abstrait, superficiel et profond, pulsionnel et retenu. Élégant, l’art de Séchas assume pleinement la séduction inhérente de la peinture, des arts visuels, et nous tend un miroir aux alouettes dont le regard serait le gibier en fuite quelque part dans le présent…
Alain Séchas est né en juin 1955 à Colombes. Il a été professeur de dessin à l’Éducation Nationale jusqu’en 1996. À partir de 1981, son travail d’artiste explore justement le dessin comme une projection à laquelle le spectateur n’échappe pas. D’un simple dessin sur papier à l’agrandissement en volumes mobiles de personnages à tête de chat, la dimension humoristique (parfois noire) et humaine est très présente dans son oeuvre.
Il est représenté par la Galerie Laurent Godin.