Le retour de Dionysos
Face à une société gérée, selon lui, par une cohorte de «morts vivants», Michel Maffesoli se réjouit de pouvoir fêter le retour en force des archétypes, et notamment celui du «divin fripon» qu’est Dionysos.
On observe en effet les frémissements accompagnant les manifestations de sa vitalité sauvage: «orgies» musicales, hystéries sportives, appétit de «fiestas» sont autant de signes de cet archétype renaissant.
Introduisant le propos, Kaj Noschis rappelle l’originalité et le contexte d’élaboration des théories de Jung, non seulement dans le cadre de la psychologie, mais aussi dans l’ensemble des sciences humaines, et dans la sociologie. Gilbert Durand en sera d’ailleurs, note K. Noschis, un des prolongateurs, en confrontant la psychologie des profondeurs aux productions culturelles collectives. Pourtant l’establishment académique accueille mal l’archétype junguien, et l’idée que la personne devienne un réceptacle d’un message qui, en quelque sorte, vient d’ailleurs, n’est pas admise. Noschis propose d’aborder ainsi l’archétype dans le dépassement de la personne individuelle. Il y aurait ainsi quelque chose qui s’exprime à travers la personne, qui s’en empare, mais qui ne lui appartient pas.
Au début de ce siècle, Jung lit parallèlement la mythologie et les récits de ses patients. Ce qui lui permet d’établir une concordance; le mythe vit, et il se met en oeuvre dans la vie psychique. C’est au moment où Jung établit que le mythe vit en l’homme que se creuse alors la rupture avec Freud, celui-ci n’y voyant que la manifestation de désirs sexuels issus de l’enfance. Jung avait une patiente, médium, qui, en état de transe, parlait en latin. Il s’agissait bien d’une force qui parlait à travers elle, au delà d’un inconscient personnel. Par ce terme d’archétype, Jung a voulu signifier quelque chose qui est au delà d’une structure individuelle, et qui n’est pas construit par le sujet. Parlant d’abord d’image primordiale (1912), puis de dominante non personnelle (1917), et enfin d’archétype (1919), Jung le présente comme une forme pure, non représentable, qui opère sur les contenus, et porte en soi une charge énergétique débordante. Nous n’en serions ainsi que les actants, puisque « les mythes nous agissent ». Citant Corbin, Kaj Noschis conclut que la vie des hommes se situe résolument dans le mundus imaginalis, le monde des images.
Pour aborder l’archétype, Michel Maffesoli se veut à la fois empirique, mais aussi spéculatif. Penser à partir du concret, à partir de ce que nous voyons, revient à se rendre attentif à la prégnance des images, et à leur efficace. Et à accepter de prendre en compte les caractères collectifs qu’elles véhiculent. Ce qu’il qualifie d’idée obsédante, et qu’il résume par la formule « la provenance a toujours un avenir » renvoie à une manière supra-historique d’aborder la pensée. Evoquant la thématique de l’esprit, cette réalité qui dépasse l’individu, M. Maffesoli propose une compréhension de l’archétype comme une recherche de cohérence des gens et des choses. Citant Gilbert Durand et son intimation objective, le sociologue rappelle le caractère fondamental de stabilité et d’éternité de l’archétype junguien. Celui-ci proposerait ainsi, un dépassement de la psyché individuelle, une forme qui rejoindrait le destin, à l’opposé de l’Histoire. Il y aurait cette récurrence, et cette stabilité qui ferait de l’archétype – comme le mythe selon Nietzsche – une abréviation, un raccourci du monde. Opérant la collision des consciences et des inconscients, l’archétype constituerait de ce point de vue, le roi clandestin d’une époque (Simmel), permettant la participation de chacun à un fonds plus collectif.
Prenant pour exemple l’archétype de Dionysos, Maffesoli nous rappelle sa dimension séminale, et sa résonance dans bon nombre de phénomènes sociaux contemporains qui en seraient l’expression concrète. De ce point de vue, l’archétype entre de plain pied dans la réalité quotidienne. Il s’exprime à la fois dans les images publicitaires, mais également dans nombre d’histoire et de situation vécues quotidiennement dans le corps social.
L’archétype dionysiaque renvoie ainsi, de manière cyclique, à un fil rouge, invisible et fort. Il exprime l’expérience fondamentale de l’enfant, qui, chez Héraclite entasse les mondes pour jouer, et les détruire. Une manière de faire resurgir, face à l’adulte, cette présence puérile qui ne manque de réapparaître de manière insistante dans nos sociétés contemporaines. A l’inverse de l’individuum, la monade essentielle invisible de la Modernité, M. Maffesoli nous rend attentif, à travers l’archétype de Dionysos, à cette présence de l’enfant, qui rejoue le dédoublement permanent de l’originaire.
Cette dynamique ne manque pas d’occasionner certaines conséquences sociales dont les phénomènes de fusion, de mutation, de métamorphose et d’interactivité sont des exemples. L’orgiasme musical – tous les processus de perte dont notre société n’est pas avare – et l’extase dionysiaque constituent les dépassements quotidiens des frontières abstraites et rationnelles de la Modernité. Les illustrations sont nombreuses qui donnent à voir ce resurgissement. Des mouvements de jubilation de masse, dans les boites de nuit, forme contemporaine de fusion émotionnelle, jusqu’aux relations virtuelles, nombreux sont les exemples de ces modulations fusionelles qui délaissent la partie abstraite et rationnelle de nos manières de vivre.
Michel Maffesoli conclut sur ces espaces de confusion en rappelant combien les relations et communications non linguistiques paraissent prégnantes, dépassant largement le principe moderne de l’ego.