L'écran des profondeurs
Bien que formé dans une école d’art, Clément Cogitore n’a, semble-t-il, que le cinéma en tête et sa faculté à circuler librement entre le monde des galeries et des centres d’art et celui des festivals de cinéma et des salles art et essai est représentatif, d’un côté, d’une indifférence de plus en plus grande aux catégories et, de l’autre côté, d’un élargissement de la définition du cinéma d’auteur. C’est peut-être dans l’espace du documentaire que s’articule aujourd’hui en effet la rencontre entre cinéastes et plasticiens. Justement remarqué, le documentaire que Cogitore a consacré aux Biélutine, un couple de collectionneurs russes vivant à mi chemin de la réalité et du fantasme, est révélateur de son intérêt pour la croyance et ce qui la fait vivre, reflet plus ou moins direct de l’activité d’un montreur d’ombres. Le film qui lui a valu l’attribution du Prix Fondation d’entreprise Ricard 2016 effectuait un véritable remontage de la réalité, mêlant un fait divers à celles d’images d’archives sans rapport et produisant à leur contact une réalité amplifiée. C’est le même principe qui a conduit « L’Intervalle de Résonance » (présenté la même année au Palais de Tokyo), son installation la plus ambitieuse à ce jour, mais en plongeant cette fois ouvertement vers la science-fiction et vers un élargissement du cinéma à une expérience d’immersion sensorielle. On ne cherche pas à concurrencer James Cameron, mais on se souvient de l’émerveillement suscité par quelques classiques du genre. C’est cet émerveillement et cette (jeune) mémoire du cinéma qui expliquent sans doute que pour son premier long-métrage, « Ni le Ciel, ni la terre » (2015), Cogitore ait choisi le film de genre, film de guerre – mais western aussi bien – parasité par la réalité virtuelle et le téléphone portable.
Frédéric Danos est poète et performer.