Évènement

Philippe Ramette

Jeudi 26 mai 2005 à 19h

Avec ses objets absurdes non identifiés, Philippe Ramette nous entraîne dans des aventures drôles et grinçantes.
Cet inventeur pince-sans-rire, toujours vêtu d’un costume tiré à quatre épingles, s’auto-représente au moyen de la photographie dans des situations souvent inspirées de ses rêves où on le voit admirer un paysage depuis un balcon renversé à 90 degrés ou accroché horizontalement à un arbre.

Fauteuil à voyager dans le temps, Escalier à coup de foudre, Objets à voir le chemin parcouru, Potence préventive pour dictateur potentiel … Les objets qu’il conçoit et avec lesquels il se met en scène constituent une étrange collection de prothèses que l’artiste éprouve le besoin de tester physiquement avant de laisser le spectateur s’imaginer en train de « Faire l’amour avec la terre entière » ou de s’aérer l’esprit en s’élevant dans les airs, harnaché à un ballon gonflé à l’hélium…
Philippe Ramette sera accompagné de Christian Bernard qui fut son professeur à la Villa Arson à la fin des années 1980.

 

CF (Catherine Francblin) : En compagnie de Christian Bernard, Directeur du MAMCO de Genève, qui fut le directeur d’études de Philippe Ramette à la Villa Arson à la fin des années 1980, nous allons aborder le travail de Philippe Ramette.
Philippe Ramette (comme le dit Christian Bernard) est une sorte de cousin de Panamarenko. C’est un inventeur d’objets et de situations absurdes, souvent inspirés de ses rêves. Et comme tout inventeur, Philippe Ramette éprouve le besoin de tester lui-même le fonctionnement des objets ou des situations suggérées par ses rêves. C’est ainsi qu’il s’auto-représente au moyen de la photographie dans des postures surprenantes, qui semblent ne tenir aucun compte des éléments de la réalité (comme la pesanteur). On peut alors le voir dans des postures irréalistes, surréalistes, par exemple, comme ici, en train d’admirer le paysage urbain depuis un balcon renversé à 90 degrés dans la baie de Hong Kong.
Philippe, pourquoi toute cette mise en scène pour réaliser une photo ?

PR (Philippe Ramette) : La photo intitulée « Balcon 2. Hong-Kong » est la suite d’une première photo intitulée « Balcon 1. Bionnay ». C’était une image qui m’était apparue en rêve, un an auparavant, et que j’avais dessinée le matin au réveil. L’idée de faire une série s’est imposée à moi ensuite. Cette première photo avait aussi été réalisée par Marc Domage.
J’ai été invité à participer à une conférence sur les inventeurs à Hong-Kong. Au départ, je n’avais pas prévu que la deuxième photo serait réalisée à Hong-Kong. Mais ce fut rapidement une évidence pour moi car cette ville se prêtait à ce style de vue.
Pour cette photographie, je trouve intéressant de présenter le film du making of . Il permet de montrer toutes les étapes de préparation en amont de la prise de vue ; cela nourrit la photographie.

CF : C’est une énorme préparation pour une photographie !

La préparation de cette photographie a duré à peu près deux ans. Le balcon a été réalisé par un architecte français habitant Hong-Kong, car la réalisation de celui-ci nécessitait une certaine technicité. Il a fallu également obtenir des autorisations. De plus, je me suis rendu compte, lors du premier jour de prise de vue, que le « balcon » prenait l’eau à cause des vagues provoquées par les autres bateaux qui passaient sur le fleuve. Heureusement, le deuxième jour fut plus agréable pour moi, car on s’est rendu compte qu’on pouvait utiliser le navire (mis dans une certaine position) pour briser ces vagues et mieux protéger le balcon. La photo correspond à la finalité du projet. Sur les deux jours de prise de vues, Marc Domage a dû réaliser une centaine de photos. La photo finale correspond exactement à mon dessin préparatoire.

CF : Quelle aventure ! Nous allons montrer le making of de la photographie de « L’arbre » sur laquelle on vous voit, en costume, accroché horizontalement à un arbre. La mise en scène a également été complexe. Je rappelle que vous ne faites jamais appel à l’informatique. Ce qui serait pourtant beaucoup plus facile…

PR : J’ai réalisé cette photo en juin dernier. C’est une promenade irrationnelle qui a aussi nécessité toute une installation préalable. J’ai dû également faire face aux problèmes de luminosité.

CF : Est-ce que vous avez également réalisé un dessin préalablement à la prise de vue ?

PR : Oui, en fait pour toutes les photographies qui ont été réalisées, il existe un dessin.
Pour cette photographie, j’ai fait une douzaine de dessins préparatoires. Le repérage et la découverte du paysage sont très importants dans le contexte photographique.

CF : Christian, lorsque tu étais directeur de la Villa Arson tu avais déjà repéré ce personnage singulier ?

CB (Christian Bernard) : Philippe Ramette a évolué, mais il n’a pas changé. Je crois qu’à cette époque tout son travail était déjà en place. La Villa Arson, en 1986, n’est pas qu’un centre d’art contemporain, c’est aussi une école d’art. Donc, un endroit étrange qui réunit des gens parfois sur des quiproquos, des malentendus. A l’époque, il y avait aussi Pascal Pinaud, Dominique Figarella ; on croisait également Tatiana Trouvé qui avait déjà du mal avec la bureaucratie !
Et, parmi les gens qui erraient dans ce lieu, Philippe était le plus discret, le plus incertain de lui-même, il avait plutôt tendance à s’éclipser, il n’était pas facile de le repérer. Un soir, je suis tombé sur un objet qui me paraissait d’une terrible banalité, qui ressemblait à un vieux poste de radio en bois vernis. Il n’y avait rien dans ce poste, sauf un petit tas de cendres sur le fond. Je lui ai demandé alors ce que c’était. Et il m’a répondu : « ce sont les cendres de Dieu ». J’ai trouvé cela très fort. L’idée était de prendre congé avec la transcendance et avec les formes canoniques qui s’offraient aux étudiants, comme la peinture. Ainsi, « les cendres de Dieu » étaient celles du dernier tableau qu’il avait peint dans l’autre pièce. Il avait donc décidé d’arrêté de peindre.
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CF : Quelles sont, Philippe, les oeuvres que tu avez faites ensuite pendant vos études à la Villa Arson ?

PR : Le « Socle à réflexion », en 1989, date de ce moment. C’est la première fois que je réalise une photo qui permet de visualiser une utilisation des objets. Car lorsqu’ils sont présentés dans des lieux d’exposition, mes objets ne sont pas utilisables. L’idée de départ était de permettre une sorte d’échappée visuelle. J’avais également le désir d’être le premier expérimentateur de ces objets. C’est pourquoi on me voit utiliser l’objet.

CB : Il est intéressant de constater que plus de quinze ans séparent « L’arbre » et « Le Balcon ». Tout était donc déjà là dès les premières oeuvres de Philippe Ramette.

CF : Considérez-vous que les objets et les photos sont complémentaires ? Quel est pour vous le statut de la photo par rapport à l’objet ? La posture adoptée par l’utilisateur n’est-elle pas plus importante que l’objet lui-même ?

PR : Les ingrédients finalement sont les mêmes, mais effectivement, l’accent est mis sur la situation. Ces objets ont été réalisés sur trois années. Par exemple, la « Boîte à isolement » est un objet qui propose une sorte d’isolement artificiel, dont on peut, à tout moment, se libérer.
Les notions présentes dans ces objets sont l’idée du libre arbitre. Je veux montrer qu’on peut se libérer de l’objet et interrompre l’expérience.

CF : Christian, tu as écris le texte d’introduction au livre consacré à Philippe Ramette. Tu parles d’un personnage décalé, inactuel. Peux-tu nous expliquer pourquoi?

CB : Oui, le travail de Philippe Ramette est à l’image de ses objets qui paraissent désuets, datés d’une autre époque. Ce sont des constructions que l’on aurait pu faire en 1780 ou 1880 et qui ne participent pas à l’esthétique contemporaine. A l’école, il était toujours dans une crise de doute, assez peu productif, mais il était toujours productif de lui-même. Philippe n’est pas un personnage ostentatoire, il n’a pas de stratégie.

CF : Parlons d’une autre oeuvre présentée dans le parc de la Villa Arson : « Espace à culpabilité ». S’agit-il d’un objet ou d’une photo ?

PR : La photo a été prise pour donner la dimension de l’objet. C’est d’ailleurs grâce à Christian Bernard que cet objet est resté installé dans le parc de la Villa Arson.

CF : Cet « Espace à Culpabilité » est-il une référence à l’enfance, un rappel de l’école, lorsqu’on est envoyé au coin ? Cette dimension mélancolique est-elle présente ?

CB : Indubitablement, ce travail se tient à égale distance entre une proposition humoristique et une énergie mélancolique. Personnellement, j’aime beaucoup cet objet car il n’a aucun charme, il est même assez ingrat, mais il est sauvé par le paysage. Il appartient à la catégorie des objets de Ramette installés dans des lieux publics qui mettent en avant une dimension critique. En effet, installer un « Espace à culpabilité » dans un lieu public ne fait plaisir à personne. Et puis, l’installer dans une école d’art force à interroger celui qui se prétend artiste.

CF : Souvent, vous apparaissez dans vos photographies simplement installé sur un promontoire, seul, en train de contempler un paysage.

PR : Le repérage du lieu est important afin de mettre en valeur l’utilité de l’objet.
Ici, l’objet est inutilisable, je l’ai appelé « Point de vue ». En fait, l’idée est de proposer un point de vue inaccessible mais permettant aux gens d’imaginer quel point de vue serait le leur s’ils utilisaient l’objet. Le « Plongeoir » a été montré dans une première version lors d’une opération nommée « L’auberge espagnole » à la Villa Arson. Il s’agissait pour le spectateur de s’imaginer en situation.

CF : Je suis frappée par cette double dimension dans votre travail : un fort engagement physique d’une part, et une dimension de rêve d’autre part. Vous mariez une position passive et une position active.

PR : J’ai aussi réalisé toute une série de dessins qui présentent des objets qui se mettent en scène eux-mêmes par l’intermédiaire du rêve. Il y a différents statuts dans les dessins que je peux réaliser. Il y a les dessins qui n’existent que sous la forme du dessin et d’autres qui sont en attente de réalisation d’une photo, – photo que je n’ai pu réaliser car je n’ai pas trouvé le lieu adéquat, mais l’objet existe.

CF : On a souvent vu vos objets comme des prothèses. Il en existe de deux sortes : la prothèse disciplinaire qui contraint le corps et présente un aspect punitif et la prothèse agréable qui rend la vie plus facile.

PR : A mon sens, on retrouve ces deux notions de plaisir/déplaisir dans chaque objet. Une prothèse agréable peut devenir très rapidement une prothèse contraignante.

CF : La réalisation de certains objets tels que le « Canons à Paroles » semble nécessiter l’intervention de spécialistes ?

PR : Je souhaitais que cet objet fonctionne, ce qui nécessitait une technicité que je n’avais pas. C’est une sorte de porte voix qui fonctionne de manière extrêmement simple.

CF : Vous disiez avoir réalisé « Le Canon à Paroles » au moment où vous aviez l’impression d’avoir des problèmes de communication, et que vous n’arriviez pas à vous faire entendre. En même temps, c’est un objet qui a un côté guerrier.

PR : Effectivement, je l’ai réalisé, à un moment, avec l’idée de me faire entendre. Il a peut être aussi un aspect violent, mais je le considère de manière plus poétique et pacifique, car, installé dans un espace public, c’est un objet qui favorise les rencontres.

CB : On pourrait rapprocher cet objet d’une pièce réalisée en 1992, intitulée « Objet pour communiquer avec soi-même ». Il s’agit d’une petite boîte avec un orifice dans lequel vous parlez et qui est relié à des écouteurs. Vous pouvez alors vous susurrer dans votre propre oreille les paroles rassurantes dont vous avez besoin.

CF : « L’éloge de la paresse » est un exemple de « prothèse aimable », qui apporte un certain bien être. Il s’agit d’un ballon gonflé à l’hélium qui permet d’être légèrement soulevé du sol et donne par conséquent une impression de légèreté.

PR : Les liens sont des élastiques qui permettent, lorsqu’on marche, d’éprouver un sentiment d’apesanteur. Cet objet suggère un allègement de la pensée, il permet à la pensée d’aller plus loin.

CF : C’est une superbe photo. Mais est-ce que l’objet existe ?

PR : La photo a été réalisée à Monaco sur la plage publique. L’objet existe, il a été présenté dans une exposition de Stéphane Magnin, mais c’est un objet assez contraignant qui nécessite un entretien assez lourd car il doit être gonflé à l’hélium.

CB : Peux-tu nous parler de la photographie intitulée « Socle rationnel. Hommage à la mafia ». Il s’agit encore d’une oeuvre complexe à mettre en place.

PR : Le point de départ de ce projet est le « socle magique » de Manzoni.
La photographie a nécessité un long travail de préparation en amont pour Marc Domage et pour moi-même, on a notamment dû apprendre à plonger. Cette oeuvre est aussi le résultat d’une succession de hasards. J’ai rencontré des plongeurs professionnels qui ont accepté de nous accompagner et se sont chargés de toute la lourdeur de l’intervention : fabrication du faux socle en bois, gestion de la sécurité, autorisations, etc. La photo a été réalisée en Mer Rouge pour pouvoir bénéficier de la clarté de l’eau.

CF : En dehors de la référence à Manzoni, comment avez vous imaginée cette oeuvre ? Y a t’il eu un dessin préparatoire ?

PR : Il y a eu effectivement un dessin. Quand à la référence à Manzoni, elle est venue après. C’est un projet que j’ai gardé très longtemps en mémoire, un projet récurrent que je souhaitais vraiment réalisé.

CF : Là encore, vous vous trouvez sur un socle, mais celui-ci s’enfonce…

PR : Je pense que cette photographie prouve que je suis plus sculpteur que concepteur d’objets. Le socle est une référence à la sculpture. Mais l’utilisation d’un socle n’est pas systématique dans mon travail.

CF : Dans une interview, vous disiez que le balcon constitue aussi une sorte de socle ?

PR : Oui, comme une zone de réflexion. Comme la « Méditation irrationnelle » également.

CF : Intéressons-nous à la photo intitulée « La paresse irrationnelle ».

PR : Pour réaliser cette photographie, j’utilise le même objet que celui utilisé dans la photographie de l’arbre. Je suis simplement allongé sur cet objet. En fait, il s’agit de la reconstitution d’une scène que j’ai trouvée assez forte lorsque l’artisan qui a réalisé la prothèse, voyant que j’avais de légers doutes quant à son utilisation, m’a fait la démonstration de son efficacité. Sur la photographie, on peut reconnaître, au sol, d’autres photographies présentées dans l’exposition.

CF : Pourquoi réaliser des dessins pour finalement prendre des photographies ?

PR : En fait, le dessin fonctionne comme un synopsis. Il permet de mettre en place les éléments qui vont constituer la photographie. Ces dessins sont des propositions de pré-cadrage de la photo. Mais il y a des différences entre la photo et le dessin.

CF : Christian, as-tu l’impression qu’il y a une adéquation entre les objets de Philippe Ramette, extrêmement sobres, et le garçon bien élevé et un peu timide qui apparaît sur ses photographies ?

CB : L’esthétique de Philippe est comme la ligne claire de la bande dessinée. Lors de son exposition à la galerie Xippas, les photos étaient exposées avec les prothèses. C’était une excellente initiative, car les deux aspects de son travail cohabitent : les objets permettaient de comprendre ce qui se passe dans les photographies. Ramette nous propose d’une façon saisissante des images de postures en apesanteur immédiatement visibles et qui paraissent à notre portée. On a l’impression que ces images sont le résultat d’un travail sur photoshop, mais ce n’est pas le cas ! Au contraire, j’y vois une critique du statut de la photographie d’aujourd’hui, qui n’est plus qu’une photographie numérique et donc artificielle. Quand on a la prothèse en face de soi, on a comme la solution qui permet de se passer de photoshop pour se représenter en apesanteur, et qui permet donc de passer du rêve à la réalité.
Les oeuvres de Philippe Ramette sont contradictoires, c’est un orthopédiste, manifestement généreux, mais toujours ambigu, car il propose des solutions dans le réel, pour nous permettre de réaliser nos rêves, tout en nous obligeant à déchanter. C’est un orthopédiste qui ne résout rien, sinon de manière radicale, par exemple en sortant de la vie : je pense ici à l’« Objet à se faire foudroyer » : il suffit de recevoir la foudre pour que ça marche ! Mais, pour les autres objets, il n’y a pas de solution et la vérité de son travail consiste justement à montrer qu’il n’y a pas de solution. On n’est gagnant que si l’on reste dans le registre de la contemplation.

CF : Un de tes textes sur Philippe s’intitule «L’Homme de Ramette ». Qu’entends-tu par là ?

CB : Dans toutes ses oeuvres où il se met en scène, Ramette demeure assez identique à lui-même : il constitue un « type », de la même façon que le personnage en costume des tableaux de Magritte. L’Homme de Ramette est un personnage emblématique qui prend place dans une certaine typologie de l’homme moderne. C’est un bienfaiteur de l’humanité, qui sait parfaitement qu’il ne peut pas lui faire de bien, et qui, donc, propose aux hommes d’occuper leur temps à inventer de nouveaux comportements. Voilà ce que je dirais de l’Homme de Ramette.

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Intervenants

Christian Bernard

Date
Horaire
19h00
Adresse
Fondation Pernod Ricard
1 cours Paul Ricard
75008 Paris
Entrée libre