100 Mona Lisa valent mieux qu'une

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du 23 juin au 23 juillet 2004

100 Mona Lisa valent mieux qu’une, aussi célèbre formule d’Andy Warhol, est liée aux formes les plus actuelles du multiple. Le spectateur peut, à partir d’une définition générale du multiple : une oeuvre au tirage le plus souvent limité, numérotée et signée, constater à quel point celui-ci s’est enrichi, depuis les traditionnelles estampes et gravures, de formes et de supports aussi divers que l’objet, la sérigraphie, le sticker, le CD, le DVD, etc.

Certaines oeuvres de l’exposition soulignent l’impact des techniques numériques et l’influence des nouveaux outils de communication sur les artistes.

Ces multiples, édités pour la plupart depuis la fin des années 1990 et reproduits en plus ou moins grande quantité (de 6 à 150 exemplaires) jouent sur cet équilibre subtil entre multiplication et rareté, objet marchand et objet d’art. Le visiteur est invité à découvrir des oeuvres qui tour à tour empruntent au réservoir inépuisable des accessoires de la société de consommation, pour s’immiscer dans notre quotidien à travers un tatouage, un miroir à facettes, un t-shirt, des photographies, des vidéos, un rocking-chair, des cartons d’emballage, des empreintes, une bouteille de Ketchup, une lampe, etc. Des objets et des images qui mettent en évidence le plaisir des artistes à se saisir du réel et à faire exister les oeuvres sous un double aspect : à la fois objet réel et produit de l’imagination.
La participation d’une dizaine de Kunstvereine parmi les plus engagés dans la création contemporaine a permis de repérer les enjeux et les raisons toujours plus variés de produire des multiples, mais aussi de s’intéresser au travail d’autres structures qui éditent et diffusent des multiples en France.
Cette exposition questionne le rôle de l’individu dans la création contemporaine, sa relation avec l’oeuvre et la collectivité.

Les artistes présentés dans l’exposition

Pawel Althamer (Pologne)
Monica Bonvicini (Italie)
Michel Blazy (France)
Stephen Craig (Irlande)
Björn Dahlem (Allemagne)
Erik Dietman (France)
Sam Durant (Etats-Unis)
Hans Peter Feldmann (Allemagne)
Robert Filliou (France)
Gunther Förg (Allemagne)
Isa Genzken (Allemagne)
Michael Görnert (Allemagne)
Eva Grubinger (Autriche)
Matthias Hoch (Allemagne)
Res Ingold (Allemagne)
Yediler Iskender (Turquie)
Marin Kasimir (Allemagne)
Imi Knoebel (Allemagne)
Friedrich Kunath (Allemagne)
Claude Lévêque (France)
Ingeborg Mahn (Allemagne)
Martin Kippenberger (Allemagne)
Rita McBride (Etats-Unis)
Reinhard Mucha (Allemagne)
Daniel Pflumm (Suisse)
Rirkrit Tiravanija (Argentine)
Daniel Roth (Allemagne)
Reiner Ruthenbeck (Allemagne)
Heiner Schilling (Allemagne)
Tilo Schulz (Allemagne)
Hartwig Schwartz (Allemagne)
James Turrell (Etats-Unis)
Kara Walker (Etats-Unis)
Norman Weber (Allemagne)
Pae White (Etats-Unis)
Heimo Zobernig (Autriche)

Cette exposition se propose donc de faire entrer en résonance des œuvres et des pratiques artistiques éclectiques, reliées entre elles non pas par leur appartenance à un courant esthétique, mais par les préoccupations communes que fait naître la production d’une œuvre multiple destinée à intégrer l’espace privé. En effet, si le multiple est peu montré, c’est qu’il est davantage lié à l’idée de collection que d’exposition.

Le multiple peut être pensé comme le prolongement d’une démarche artistique. Il est l’occasion pour un artiste de pousser plus loin sa pratique, en lui donnant un caractère plus expérimental ou radical, en s’autorisant une liberté plus grande qui se justifie par un affranchissement conscient de l’espace d’exposition.
100 Mona Lisa valent mieux qu’une montre des multiples dans lesquels une pratique artistique est clairement identifiable mais présentée sous un jour différent, avec de nouveaux supports comme c’est le cas du tatouage Nigger Lover (2001) de Kara Walker, de Vampirella (1997) de Steven Parrino ou de la bannière Banner (2002) de Hartwig Schwartz.
A priori rien ne relie formellement ces artistes américains, suisses et allemands.
Pourtant, lorsque l’artiste afro-américaine Kara Walker, qui explore la question de l’identité raciale et sexuelle à travers des silhouettes noires découpées et collées sur de grands murs blancs, s’intéresse au multiple, elle transpose cette technique à l’échelle du corps. Elle en maintient les ressorts esthétiques mais radicalise sa démarche dans la mesure où elle ne prend plus uniquement le spectateur comme témoin mais suggère de le faire interagir : la provocation va plus loin, le spectateur porte un tatouage (qui rappelle l’esclavage et l’asservissement) dont l’inscription est subversive puisqu’elle associe à un terme péjoratif (« nigger » / « nègre ») un terme laudateur (« lover » / »amoureux »).
Lorsque Steven Parrino réalise Vampirella, il reprend sa pratique d’un art « vandale », de la toile accidentée, froissée, violentée mais ne l’applique pas au monochrome. Le multiple est l’occasion d’aborder la désacralisation de l’œuvre d’art sous un autre mode, en jouant de la référence au film d’horreur de série B, en introduisant une référence à la culture populaire et au satanisme.
Lorsque Hartwig Schwartz, qui réalise des actions éphémères dans l’espace public, crée un multiple, il questionne la valeur d’unicité et de multiplicité de l’œuvre : une bannière est un emblème censé unifier un groupe et représenter sa singularité. Le multiple devient alors paradoxal.
Le multiple est donc source de liberté, de radicalisation ou d’expérimentation d’une pratique artistique à travers des supports repensés en fonction d’un format qui n’est pas destiné à investir le musée mais l’espace privé.

L’histoire du multiple est étroitement liée à celle de l’objet. Le développement industriel et la réalisation d’objets manufacturés ont une incidence sur la production artistique : la reproduction d’un objet en de multiples exemplaires remet en cause l’acte de création artistique unique, qu’on pense à la Roue de bicyclette (1913) de Marcel Duchamp, à la fondation de MAT (Multiplication d’Art Transformable) Edition, en 1959 par Daniel Spoerri ou de Fluxus Edition, en 1962, par George Maciunas. Le multiple peut donc souvent être un objet en 3D qui interroge la fonctionnalité et oscille entre œuvre d’art et objet de design, qui interroge la notion d’art utile en lui rendant hommage, en la parodiant ou la pastichant, en la poussant au bout de sa logique et en la confrontant à des références canoniques. La chaise Rocking Chair (2003) de Sam Durant, les pseudo-aquariums Spheres (2001) de Pae White, la lampe Blume (1991) d’Ingeborg Mahn en sont autant d’exemples.
Le Rocking Chair de Sam Durant fait référence à un pur objet de design, qui porte d’ailleurs le même titre, le Rocking Chair (1952) des célèbres designers américains Charles et Ray Eames. Le même système de balancier est utilisé, une chaise de camping servant à présent d’assise à cet objet hybride. Le multiple est ici à la charnière entre objet fonctionnel et œuvre d’art désacralisée, il rend hommage au design et se prête à la notion d’art utile puisque le spectateur peut s’y asseoir.
La lampe d’Ingeborg Mahn est construite sur le principe inverse : elle fait référence à un multiple canonique et le réintègre à un nouvel objet, cette fois-ci, fonctionnel. La boîte de conserve évoque les célèbres Campbell’s Boxes (Tomato Juice), 1964, de Andy Warhol. Si, chez Warhol, ce multiple faisait référence à la société de consommation et à ses excès, le fait que la boîte de conserve soit devenue anonyme et objet de récupération détourne son sens premier. Le souvenir d’un multiple détourné de son sens premier donne lieu à un multiple fonctionnel.
Les Spheres de Pae White jouent, elles, sur un paradoxe : elles imitent des objets de design mais n’ont aucune utilité. Le multiple se prête particulièrement à cette pseudo-fonctionnalité et permet de décloisonner les pratiques artistiques. Il n’est pas soumis à un impératif de production et de fonctionnalité comme peut l’être un objet de design même s’il en est proche dans ses modes de production.
Depuis les années 1960, le multiple est souvent conçu comme une œuvre manipulable et transformable (cet aspect a notamment été développé par Fluxus et les acteurs de l’art cinétique). L’artiste cherche ainsi à développer le lien entre l’œuvre d’art et le spectateur et participer à sa désacralisation puisque le spectateur peut entrer en contact avec l’œuvre, la toucher, la sentir et y prendre part. Cette tendance demeure aujourd’hui. Elle pose néanmoins le problème de la réactivation de l’œuvre : le multiple conçu comme un jeu interactif subsiste-t-il ou perd-il son sens une fois réalisé ? N’existe-t-il qu’à cette condition ?
Le Logo Gefährliche Liebschaften (« Il est dangereux d’aimer créer ») de Tilo Schultz place le spectateur dans une position inconfortable. Tilo Schultz offre au spectateur les moyens de jouer un rôle actif dans la réalisation de l’œuvre mais la nature même du logo interroge les limites de la participation du spectateur (le spectateur est-il réellement créateur ou plutôt simple agent ?).
Michel Blazy travaille avec du vivant ou du non-solide (collant, liquide, mousseux). L’artiste installe des éléments organiques ou alimentaires et le spectateur peut alors contempler ce qui y vit, évolue et pourrit. Libre au propriétaire d’activer l’œuvre, du verser du ketchup sur le carton comme l’invitent à le faire les instructions, et de voir l’œuvre évoluer avec le temps.
Lemon Incest (girls vs. Beuys), (1998) d’Eva Grubinger propose une autre expérience au spectateur : allumer une ampoule grâce à six citrons reliées entre eux par des fils de cuivre. Eva Grubinger se réapproprie de façon humoristique le travail de Joseph Beuys sur l’énergie dégagée par les matériaux. L’œuvre à réactiver se dote d’un caractère ludique, voire pseudo-scientifique.
Les multiples édités par les kunstvereine ont pour vocation d’intégrer l’espace privé. Les multiples jouent donc très souvent sur une dimension intime qui peut être exprimée à travers des interrogations sur la perception de l’espace, de l’espace privé, comme sur le corps et la mise en scène de soi. La photographie Paris # 38 (1999) de Matthias Hoch, la boîte Düsseldorfer Light salon (1992) de James Turrell ou le miroir Spiegelbild (2001) d’Isa Genzken jouent à fois avec l’intimité et l’espace.
Le photographe Matthias Hoch cherche à saisir la singularité du paysage urbain en faisant disparaître l’identité du lieu au profit de constructions. Il travaille généralement sur de grands formats : le spectateur n’est plus en position de contrôle et l’image acquiert une autonomie. En choisissant d’éditer ce multiple en plus petit format, il semble offrir au spectateur la possibilité de ne pas être dominé par l’image et de rétablir dans l’espace privé une position de contrôle.
James Turrell travaille sur la sensation lumineuse, ses œuvres sollicitent notre perception et la déstabilisent. Le spectateur vit une expérience physiologique lorsqu’il pénètre dans une installation de l’artiste. Avec le kit Düsseldorfer Light salon (1992) James Turrell propose au collectionneur de réaliser son propre environnement lumineux et joue à fois avec l’intimité, la sensation et l’espace privé. Ce multiple est également le prolongement d’une démarche artistique articulée autour de la perception et de l’expérience.
Oscillant entre image abstraite et tableau figuratif, Spiegelbild (2001) d’Isa Genzken est un miroir à facettes qui offre un reflet déformé et interroge celui qui s’y regarde sur sa propre perception. Isa Genzken oriente vers de nouvelles directions la relation du corps à l’espace qui traverse son œuvre, le miroir déformant subvertit la dimension fonctionnelle de l’objet, la participation du spectateur est nécessaire à l’activation de l’œuvre qui devient unique dès que le spectateur s’y observe.
Un réseau de correspondances se tisse à travers chacune des facettes du multiple mais également entre elles.

Les kunstvereine

Créés par des citoyens soucieux de participer à un élan culturel, les kunstvereine (« associations municipales d’art ») sont apparus dès le début du XIXe siècle dans de nombreuses villes d’Allemagne. L’originalité de ces structures privées réside dans la volonté collective de promouvoir, diffuser et démocratiser l’art contemporain, au niveau régional, national et international, et ce, depuis leur création. Ils se rapprochent en ce sens du fonctionnement d’un centre d’art.
Leur singularité repose sur leur mode de financement qui est intimement lié à leur rôle de pionnier dans l’édition de multiples et à leur impact sur la vie locale : les kunstvereine sont, en effet, fondés sur un système d’adhésion annuelle. Aussi, éditer des multiples vendus à un tarif préférentiel aux adhérents était au départ un moyen d’autofinancement supplémentaire. Aujourd’hui, l’édition de multiples, réalisés en exclusivité pour le kunstverein, est une véritable tradition.
Les kunstvereine fonctionnent principalement grâce au mécénat (ils perçoivent très peu d’aides publiques) et à l’engagement de leurs membres (de 500 à 4000 membres environ).
Chaque kunstverein cherche à mettre en avant une spécificité, parfois liée à son développement historique ou géographique. Ainsi, le kunstverein de Düsseldorf, qui est situé dans un environnement muséal (dans le même bâtiment que la kunsthalle et en face d’un musée d’art moderne, le K20), organise exclusivement des expositions monographiques. Le kunstverein de Cologne, installé dans un ancien bâtiment de l’armée britannique, au passé chargé, privilégie un caractère politique et s’intéresse à la scène artistique d’Europe de l’Est.
La politique d’édition de multiples des kunstvereine est très diverse. Ainsi, le Kölnischer Kunstverein à Cologne édite un multiple à chaque fois qu’un artiste est invité à réaliser une exposition monographique : exposition et édition sont liées et offrent une sélection très « pointue », allant parfois à l’encontre du goût dominant. Le travail de production est primordial, puisque la réalisation de chaque multiple est soutenue par les kunstvereine, qui partagent ensuite les ventes avec l’artiste. Les kunstvereine jouent en règle générale un rôle éducatif, avec l’organisation de nombreuses activités parallèles (conférences, voyages organisés, visites d’ateliers), et l’édition de multiples peut même susciter des vocations de collectionneurs. Il existe aujourd’hui plus de 200 kunstevereine en Allemagne, comprenant environ 100 000 membres. La majorité d’entre eux est réunie au sein d’une association, l’ADKV (Arbeitsgemeinschaft Deutscher Kunstvereine), www.kunstvereine.de.

Dates
23 juin - 23 juillet 2004
Horaires
Du mardi au samedi, de 11h à 19h
Lundi sur rendez-vous
Entrée libre
Visites
Visites commentées gratuites
mercredi 12h, samedi 12h et 16h
Heidi Sill, "In Between (Entre-deux)", 2002, Peinture sur miroir, 75,5 x 60 cm, Courtesy Bonner Kunstverein, Bonn
Heidi Sill, "In Between (Entre-deux)", 2002, Peinture sur miroir, 75,5 x 60 cm, Courtesy Bonner Kunstverein, Bonn
Michel Blazy, Experience n°1-10, 2003, Boîte en carton, carton et ketchup, 12 x 20 x 32 cm, Courtesy Württembergischer Kunstverein, Stuttgart
Michel Blazy, Experience n°1-10, 2003, Boîte en carton, carton et ketchup, 12 x 20 x 32 cm, Courtesy Württembergischer Kunstverein, Stuttgart