Au loin, une île !
Si une exposition est la mise en perspective d’une histoire et d’une lecture des formes, si le regard jeté de l’étranger sur l’étranger est nécessairement précaire, il produit par ricochet un jeu de points de vue mobiles. Au loin, une île ! est, dans ce sens, une exposition consacrée à la scène artistique britannique, même si une telle scène ne peut exister en elle-même et pour elle-même mais peut être en revanche un objet de description, d’analyse et de fantasme.
L’île est ici le prisme ou la transparence au travers desquels nous avons visé la création actuelle d’une scène artistique pleine de contradictions, définie à la fois par sa diversité culturelle, par son insularité géographique et politique, symbole d’ouverture et de domination.
L’espace que l’idée même d’île propose est idéologique et visuel. Motif capable de dialectiser sans opposer, de renouveler et de rendre émouvant un héritage politique et culturel britannique, l’île est une réalité géographique et une allégorie, une position et un imaginaire. Motif romantique, elle est exotisme, elle est l’autre, la marge, l’exil. Entre l’île et la question de l’art, le lien est idéologique tant la création apparaît à chaque fois comme manifestement insulaire.
Les œuvres exposées au Frac Aquitaine du 30 septembre au 17 décembre, lors du premier volet de l’exposition, relevaient ainsi d’un imaginaire où l’île, objet d’interprétation poétique et géographique, se déployait de façon historique et thématique dans une sélection d’œuvres allant des années 70 à aujourd’hui. L’île y était ce texte à lire, ou même à inventer, devenant à la fois le temps de l’isolement, de l’instant et du geste, l’ultime, la visée, la violence même de l’abattement. Elle y est apparue comme un territoire de définition existentielle, à la fois symbolique et réel, éminemment politique.
Le mouvement migratoire de l’exposition, de Bordeaux à Paris, du Frac Aquitaine à la Fondation d’entreprise Ricard, obéit au mouvement même du déplacement qui produit l’île lorsque celle-ci est considérée comme un intervalle, un mouvement, un écart, une différence et en même temps une totalité. L’installation Brutalist Premolition de Gail Pickering, présentée pour la première fois en France, pourrait en ce sens cristalliser l’interstice propre au mouvement qui produit l’île, lorsque l’identité du projet (comme celle du protagoniste de l’histoire) est à la fois partagée et complétée par le déplacement. L’œuvre Prie-Dieu de Marc Camille Chaimowicz, qui fait partie d’une nouvelle série d’œuvres inspirées par la figure emblématique de Jean Genet, matérialise aussi en ce sens les liens parfois contradictoires entre un retrait sur soi et une perpétuelle quête de liberté. Le mouvement que dessine le déplacement est insulaire se produisant tel un basculement, un saut et un retournement. Ainsi l’exposition présentée à la Fondation d’entreprsie Ricard du 9 janvier au 11 février est à la fois clôture et extension ; elle est l’occasion de réécrire ce texte qui était à inventer, et l’île plus que jamais y devient une hypothèse, un passage, un lieu à explorer.
L’exposition est soutenue par le British Council, l’Institut culturel Bernard Magrez, Fluxus (Franco-British Fund for Contemporary Art) et les Amis du Frac Aquitaine.