Bianco Bichon, Nero Madonna e altre distruzioni liriche

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du 23 mai au 1 juillet 2017

Tout a commencé au début des années 2000 par un processus d’accumulation et une pratique empirique dans l’atelier et pourtant, pour Tursic et Mille, faire est avant tout penser, définir la manière dont ils fabriquent et pensent en peinture.

En référence au cours qui clôtura l’enseignement de Maurice Merleau-Ponty en 1960-61 au Collège de France, les artistes définissent cela comme une véritable lettre d’amour adressée à la peinture. Plus particulièrement, le primat de la perception1, affirmé dans la phénoménologie du philosophe français, semble être devenu la matière du travail quotidien dans l’atelier des artistes à la fois dans l’exploration d’un langage qui se redéfinit chaque fois dans l’acte même de formuler une pensée nouvelle, et également dans la relation dynamique entre la conscience, le monde, l’histoire, les dynamiques interpersonnelles desquelles naissent leurs œuvres. Un art de faire (dans les mains) et de penser (dans la tête). Et une peinture, qui aborde également la question du comment peindre à deux, avec les superpositions, interpénétrations, complémentarités et contradictions subséquentes d’un dédoublement constitutif. Une question de proximité et donc de réaction, de désir : « Le fait d’avoir deux têtes et deux mains droites peut s’avérer être très utile et ce dans de nombreuses situations ! ».

Une pratique théorique de la peinture, donc, qui détermine ce qu’il faut faire par le fait de penser à la manière de le faire, en accueillant le large spectre des possibilités qu’offre, en permanence, ce processus décisionnel, constamment ouvert et sollicité. En reproduisant principalement des images trouvées, la question n’est pas « ceci OU cela », mais plutôt « ceci ET cela », selon la logique de l’accumulation critique (ce qui est discuté et jugé, au cas par cas) et du mouvement perpétuel. Ce qui signifie que les peintures de Tursic et Mille ne reflètent pas un style particulier, et qu’elles ne sont ni abstraites ni figuratives, mais tout au plus, les deux à la fois ; parce que chaque style et chaque sujet sont à « portée de mains », comme ils l’affirment eux-mêmes, car : « la peinture ne peut pas être un geste figé et déposé comme un brevet. Elle doit être ouverte à toutes les propositions que sa pratique produira, la peinture doit être opportuniste et consciente d’elle-même. »

L’exposition de Tursic et Mille à la Fondation d’entreprise Ricard est une énième révision de ces propositions et une nouvelle lettre d’amour, ouverte et continue, à la peinture elle-même. Dès son titre déjà, qui cite les deux couleurs opposées que sont le blanc et le noir, et la coexistence entre deux sujets, le Bichon (une race de chien) et la Madone (le plus classique des sujets picturaux) : le premier, par ailleurs, réalisé comme un tableau dans le tableau et le deuxième peint et puis brulé, résidu d’un processus de production qui, en même temps, propose et défigure (altère, élimine, ou tout du moins accouple, juxtapose) l’image préalablement choisie.

Une autre œuvre présentée, une peinture xxl qui figure les ruines du panneau Hollywood, peinte à même les murs de l’atelier, comme dans une ancienne sinopia, porte les traces du travail des artistes, le fantôme des œuvres précédentes.
Ou encore le grand mur, à l’entrée, où transparaît l’image de l’atelier, suivi d’un mur recouvert de dizaines d’œuvres sur papier et sur toile : esquisses, croquis, projets, essais, textes et images… davantage de réflexions sur le fait de peindre un tableau plutôt que des tableaux en tant que tels, autrement dit le flux de l’acte de peindre plutôt que l’œuvre finie.

Une potentialité aussi cacophonique que joyeuse : une exposition et ses variantes possibles tout aussi innombrables, dont la dernière est peut-être ainsi presque exclusivement un hasard. Comme les images sur lesquelles se superposent d’autres versions. Ou les corps, les visages, les objets, les paysages surchargés de taches de couleur pure.

S’il est un esprit qui met en relation et distingue en même temps Tursic et Mille de la peinture contemporaine, c’est bien le mélange entre une sensibilité digitale poussée au paradoxe (jusqu’à en devenir objective et palpable) et une récupération du geste et de la matière analogiques qui se dématérialise dans ses variantes possibles, générant ainsi une succession d’oxymores : un pari calculé, un excès accueillant et confortable, un opportunisme généreux, une inconscience consciente, une expérimentation magistrale, une culture curieuse et fluctuante, le plaisir sans son explication, sans que ne soit dévoilé son mystère. L’espace-temps du choix où, en articulant les catégories du mystérieux et du merveilleux, « une chose devient une œuvre d’art », comme l’a écrit Eric Troncy ; une œuvre qui nous donne la chance singulière de faire vraiment « l’inabordable expérience de l’art.»2. Une destruction lyrique systématique dans laquelle recomposer la forme du tableau et ré-enchanter l’expérience intellectuelle et perceptive de la peinture.

1 : Maurice Merleau-Ponty, Le primat de la perception et ses conséquences philosophiques. Précédé de Projet de travail sur la nature de la perception, 1933. [et de] La nature de la perception, 1934 Broché – 25 juin 1996.

2 : Ida Tursic & Wilfried Mille, Decade,
2011. Texte « Cette
peinture » par Eric Troncy. Edition Les presses du réel.

Dates
23 mai - 1 juillet 2017
Horaires
Du mardi au samedi, de 11h à 19h
Lundi sur rendez-vous
Entrée libre
Visites
Visites commentées gratuites
mercredi 12h, samedi 12h et 16h
Expo Bianco Bichon
Expo Bianco Bichon
Chien-Madonne
Chien-Madonne