Ce n’est pas joli de couper les arbres!
Exposition personnelle de Nicolas Daubanes.
Depuis quelques années, le regard de Nicolas Daubanes se pose sur des environnements singuliers que sont la prison, plus récemment l’hôpital, c’est-à-dire des lieux d’enfermement du corps et de l’esprit. Cet intérêt pour ces lieux spécifiques n’est pas le fruit d’une réflexion théorique et distanciée, mais bien le produit d’une expérience qui engage l’artiste physiquement et émotionnellement. La rencontre avec cet univers particulier se fait en 2008, alors que Nicolas Daubanes est encore étudiant. L’expérience est un choc, et depuis, l’artiste ne cesse de multiplier les expériences d’ateliers, de résidences et de professorat en prison. Son propos n’est pas tant de dénoncer une situation particulière liée au système carcéral que de révéler des mécanismes de violences et de s’intéresser aux pratiques et usages qui tentent de se libérer de ces cadres coercitifs. Comment la beauté peut surgir de la laideur, comment la liberté peut naitre de son entrave, comment la pulsion de vie peut renaitre de ses cendres, constitue le cœur de la pratique de l’artiste.
Si le travail de Nicolas Daubanes fonctionne beaucoup par série, il introduit régulièrement des évolutions qui questionnent les procédures et contraintes qu’il met lui-même en place, à l’image de sa nouvelle exposition à la Galerie Maubert dans laquelle il creuse le sillon de ses œuvres les plus récentes (dessins à la limaille de fer sur verre et plaque de porcelaine notamment), tout en ouvrant de nouvelles perspectives sur la question du paysage comme mémoire des conflits.
Deux mots sur le titre de l’exposition qui, de manière récurrente, agit comme un révélateur des enjeux de son travail. On y retrouve notamment le rapport à une histoire de la révolte – ici une mutinerie à la prison de Saint-Maur pendant laquelle les détenus avaient inscrit sur les murs cette phrase quasi enfantine, « Ce n’est pas joli de couper les arbres ! », pour protester contre le tronçonnage d’un arbre sur lequel s’était réfugié un détenu. On peut s’étonner et s’émouvoir du parallèle que les détenus font entre la violence exercée contre l’arbre et celle exercée contre eux-mêmes, toujours est-il que ce parallèle va servir de déclencheur à l’artiste qui propose au rez-de-chaussée un ensemble de pièces autour d’un paysage pensé comme lieu-mémoire de scènes de conflits. Une première série de dessins à la limaille de fer aimantée est inspirée de la série de gravures de Francisco Goya, « les désastres de la guerre », que Nicolas Daubanes réplique tout en supprimant les personnages en souffrance, pour ne laisser apparaitre que des paysages muets à la beauté mélancolique. La poudre métallique apparaît ici comme un recours poétique à la dureté des lieux et à la fragilité des existences qui tentèrent d’y survivre. Dans ce même espace, Nicolas Daubanes présente un ensemble de nouvelles pièces issues d’une résidence en Tasmanie, et plus particulièrement sur une île cimetière, similaire à ce que Cayenne fut pour nous en France : une île du bout du monde, tropicale et exubérante, dans laquelle furent emprisonnée dans des conditions indignes des forçats anglais, et dans laquelle furent également déportées de nombreuses femmes accusées de vol afin d’organiser un vaste réseau de prostitution à destination des soldats. Sur place, l’artiste a ramassé des graines d’eucalyptus, les a fait pousser dans une serre de verre présentée dans l’exposition. A la douceur rassurante de ce monde du vivant répondent les atrocités qui se sont passées sur cette île, Nicolas Daubanes établissant un parallèle entre la vulnérabilité de ce matériau vivant et celle des prisonniers. On ne peut s’empêcher par ailleurs de voir dans les soins nécessaires au maintien de cette œuvre vivante une forme de réparation symbolique.
Au sous-sol de la galerie, Nicolas Daubanes présente un ensemble de pièces qui jouent de cette dualité entre coercition et émancipation. Une série de tuiles présentées au mur poursuit un travail entamé au centre d’art de la Chapelle Saint Jacques à Saint Gaudens. Les tuiles, ce sont métaphoriquement celles du toit de la prison de Nancy sur lequel s’étaient réfugiés des détenus pour protester contre leurs conditions de détention. Ce geste de l’élévation, symbolisé par ce matériau pauvre de la tuile, est à envisager comme autant d’inventions ingénieuses dont l’homme est souvent capable quand il s’agit d’assurer sa survie. On retrouve également cette obsession chez l’artiste de proposer une traduction plastique à l’idée de contestation et de révolte. A l’image de ce mur de briques qui entrave nos mouvements dans la galerie et dont chaque brique porte la trace de la main de l’ouvrier qui l’a empoigné lors de sa fabrication. La brique – celle de l’ouvrier, mais aussi celle du révolté, du manifestant, qui de tout temps et en tous lieux, l’utilise comme arme de la révolte. Ce symbole nous livre la double aspiration qui sous-tend toute la pratique artistique de Nicolas Daubanes : la résistance aux systèmes coercitifs de la société et l’aspiration à s’en libérer, le désir d’inventer d’autres pratiques, d’autres usages, de révéler une pulsion de vie qui libère des cadres mortifères.
Sandra Patron
Directrice du MRAC Occitanie Pyrénées / Méditerranée