DIVERGENCES
Une exposition personnelle de Carl D’Alvia.
Le minimalisme baroque de Carl d’Alvia
Des créatures étranges couvertes de plumes, d’écailles ou de cheveux, des totems striés comme des troncs d’arbre ou ruisselant de spaghettis, des enchevêtrements de boyaux à l’allure de vers de terre… autant de présences sculptées par Carl D’Alvia dont la dimension symbolique est liée au vivant, humain, animal ou végétal. Ses œuvres hybrides, mi fictives, mi réelles, paraissent issues d’un processus biologique de croissance, conformément à la pensée de Gauguin qui considérait les artistes comme des « élus » de la nature œuvrant à une « continuation de création ». Elles peuplent un jardin magique sur lequel régnerait le Cavalier sans tête, héros de Sleepy Hollow, ville de l’état de New York où est né Carl d’Alvia en 1965. Cette légende fantastique, publiée en 1820, était peut-être connue des surréalistes avec lesquels l’artiste, qui se rêvait illustrateur ou réalisateur de dessin animé, partage le même sens de l’humour. Chacune de ses sculptures semble affirmer à la manière de Magritte : Ceci n’est pas un pingouin, ni même un chapeau. Mais Carl D’Alvia n’est pas à une contradiction près : s’il privilégie la simplicité élémentaire des formes, il les charge aussi d’une ornementation minutieusement travaillée, créant ainsi une sorte de minimalisme baroque renforcée par le jeu des couleurs. « Je choisis celles pour lesquelles il est difficile de savoir si elles sont naturelles ou non », déclare ce diplômé de la Rhode Island School of Design de Providence, récompensé du Prix de Rome en 2012. « J’aime explorer la limite entre les deux ». Qu’elles soient orange brunâtre, jaune verdâtre ou uniformément blanches, ses propositions anthropomorphes, en équilibre entre abstraction et figuration, se révèlent intemporelles. Ainsi, Endless, gigantesque colonne tronçonnée et exposée morcelée sur le sol, célèbre la rencontre fortuite entre La Colonne sans fin de Constantin Brancusi et 144 Tin Square de Carl André soient 144 carrés d’étain de même dimension disposés au sol pour former un carré. Car Carl D’Alvia accorde une importance capitale à la relation de ses œuvres avec l’espace : non seulement le socle ne se réduit pas à sa fonction de support, il est un élément à part entière (Aretino ou Kitty), mais les possibilités de mobilité de chacune des pièces au sein d’un ensemble témoignent de son ambition de ne pas les figer tels des objets inertes. « Ce n’est pas la forme extérieure qui est réelle, mais l’essence des choses », déclarait Brancusi. Et comme son illustre prédécesseur, la main de D’Alvia s’efface pour laisser place à différents médiums marbre, bronze ou céramique. Il en résulte un émerveillement des matières, une humilité d’une extrême douceur.
Sabrina Silamo