Emmanuelle Lainé Cada vez que me encuentro...
La Fondation d’entreprise Ricard est heureuse de soutenir l’exposition personnelle d’Emmanuelle Lainé «Cada vez que me encuentro con la muerte pienso en ti» (Chaque fois que je rencontre la mort je pense à toi), une proposition de Dorothée Dupuis, à la Casa de Francia, Mexico.
Emmanuelle Lainé développe depuis quelques années une pratique d’installation mélangeant actions in situ, gestes prémédités et images en trompe l’oeil, qui proposent d’envisager l’atelier comme une matrice conceptuelle de production, émancipée de sa dimension physique, casanière. Les lieux d’exposition qui accueillent ses œuvres sont précisément étudiés en amont, dans le but de maximiser l’altération de leurs caractéristiques spatiales par des moyens techniques simples mais au rendu subtilement spectaculaire. Les installations mélangent photos d’espaces et éléments physiques, dont on ne sait jamais bien s’ils font oeuvre ou participent seulement du chaos d’ensemble, et matérialisent en creux la présence autant indicielle qu’omniprésente de l’artiste. Les œuvres d’Emmanuelle Lainé se confrontent ainsi à l’espace de façon volontariste, envisageant l’atelier et le lieu d’exposition comme des médiums à part entière. Le « faire » est ici assimilé a un mode de production de pensée spécifique, qui permet d’inscrire tout en s’en distanciant malicieusement la pratique de Lainé dans les débats actuels sur l’art dit « post-atelier ». Pour Lainé, la photographie est de fait un outil comme un autre qui permet la réactualisation d’enjeux de genres séculaires comme celui de la nature morte ou de la peinture baroque, avec ses collections d’objets hors d’échelle et ses perspectives compliquées.
Pour l’exposition à la Casa de Francia, Emmanuelle a décidé de jouer sur la confusion possibles entre les lieux de la galerie et un autre lieu d’exposition dans lequel elle a réalisé – et documenté – une installation trois ans auparavant, les Ateliers des Arques, un programme de résidence situé dans un petit village du sud-est de la France. Il est possible de croire pendant un temps éclair à la fiction d’une occupation de la galerie de l’IFAL par le truchement de la photographie monumentale et très détaillée réalisée par le photographe d’exposition André Morin – avec lequel Lainé collabore le plus souvent. Très vite cependant, l’hypothèse du trompe l’oeil disparaît pour laisser place à une tentative d’interaction plus ambiguë avec le spectateur. Bien que très lisible, autant par sa définition que par son réalisme, l’image demeure complexe. Elle est contaminée par de nombreux éléments spatiaux qui la distancient de la simple image pour la ramener du côté de la sculpture : les reflets des spectateurs, les variations de lumière au cours de la journée, le miroitement de l’eau du bassin devant. Lainé propose au spectateur de tourner littéralement “autour” de la galerie, proposant l’espace d’exposition comme un objet en soi.
La versatilité du lieu de production/exposition s’affirme comme une des dynamiques esthétiques essentielles de la pratique de Lainé, qui cherche aussi à tester les limites de l’institution et à interroger la galerie ou le centre d’art en tant que lieu public générateur d’interactions, fussent-elles incandescentes ou anecdotiques, entre les différents protagonistes qui le pratiquent. Interactions publiques dont Lainé réaffirme la finalité politique, touchant à certains débats philosophiques actuels autour de notions telles que celles de transparence, d’accès ou d’intimité. Dévoilant une relation anthropomorphique, quasi amoureuse d’avec l’atelier, les paysages fracassés de Lainé peuvent alors être vus comme reliquats d’une scène de crime passionnel issu de la rencontre entre l’artiste, le spectateur et l’art même.
Dorothée Dupuis