Férocité à domicile

Exposition collective avec Chantal Akerman, Tolia Astakhishvili (avec Zurab Astakhishvili, Simon Lässig et Maka Sanadze), Cudelice Brazelton IV, Rosa Joly, Harilay Rabenjamina, Rosemarie Trockel et Sebastian Wiegand.
Commissaire : Oriane Durand
Vernissage le jeudi 15 mai à 18h
Férocité à domicile explore à travers les œuvres de sept artistes – Chantal Akerman, Tolia Astakhishvili (avec Zurab Astakhishvili, Simon Lässig et Maka Sanadze), Cudelice Brazelton IV, Rosa Joly, Harilay Rabenjamina, Rosemarie Trockel, Sebastian Wiegand – l’ambivalence du lien maternel. Avec des approches sensibles et contrastés, ces artistes appréhendent intimement la manière dont cette relation complexe construit notre présence au monde.
Le film News from Home (1977) de Chantal Akerman constitue le point de départ de l’exposition, mettant en lumière avec une acuité saisissante la complexité de l’amour maternel. À la fois refuge et piège insidieux, cet amour, que la mère de la vidéaste exprime dans les lettres qu’elle adresse à sa fille alors installée à New York, oscille entre tendresse, culpabilisation et infantilisation. Cette contradiction – que j’appelle férocité – est au cœur de l’exposition. Elle se déploie dans des œuvres où la figure maternelle hante l’espace de sa présence aussi diffuse qu’oppressante, qu’il s’agisse d’une mère droite mais effacée dans la fresque murale de Rosemarie Trockel, d’un espace domestique en chantier de Tolia Astakhishvili ou des maisons de poupées sombres et fantomatiques de Rosa Joly. Le foyer, traditionnellement perçu comme un cocon protecteur, devient ici le théâtre du trouble, un territoire d’incertitudes où l’espace intime est précaire et fragile. Les sculptures et wall-tattoos de Cudelice Brazelton IV, ainsi que l’installation vidéo d’Harilay Rabenjamina, mettent en lumière une figure maternelle relayant des normes sociales et esthétiques, modelées par l’assimilation de la violence raciale et du classisme. Les peintures de Sebastian Wiegand prolongent quant à elles la réflexion à l’héritage politique occidental des années 1960 et 1970. Le choix de couleurs jaune-orange mêlées aux représentations de style hippie convoquent l’utopie d’une époque marquée par la liberté sexuelle, les élans féministes et les espoirs révolutionnaires. Étendue sur son canapé, la mère y apparait pourtant à bout de force.
Entre présence et absence, tendresse et dépossession, singularité et transmission des constructions sociales, ces œuvres dessinent une cartographie nuancée du lien maternel. L’amour, loin d’être un rempart absolu, n’épargne ni les contradictions inconscientes inhérentes à la parentalité, ni les relations dysfonctionnelles. Tandis que la société (dans une famille nucléaire classique) assigne à la mère le rôle de gardienne du foyer, le père en contrepartie occupe bien souvent une position marginale. Dès lors, la question de l’amour ne peut être dissociée de celle de la place assignée à la mère dans une société patriarcale : quels comportements cette assignation engendre-t-elle ? Quelles en sont les répercussions ?
Oriane Durand Commissaire de l’exposition
Image : Tolia Astakhishvili, With and Without Light, 2023, vue de l'exposition "Living Spaces", Galerie Molitor, Berlin, 2023. Photo : Marjorie Brunet Plaza. Courtesy de l'artiste.