Fertile Lands

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du 25 janvier au 9 mars 2016

Fertile Lands appelle des terrains propices, au contact desquels l’art d’aujourd’hui trouverait les moyens de se régénérer. Les œuvres de l’exposition à la Fondation d’entreprise Ricard convoquent les forces brutes de la nature.

Elles captent l’énergie du soleil  venu « toucher » les objets fossiles (What it Does to Your City) de Cyprien Gaillard, ou le papier solarisé tendu à bout de bras par Sophie Bonnet-Pourpet (Insolation à Uxmal, Yucatan, (A shadow offering to Virginia) 2012), en pleine fin du monde promise par le calendrier Maya. Dans le film Styx (2016) de Samir Ramdani, l’archéologue en personnage maléfique opère une fission de la matière par diffraction de la lumière. Ces forces vives consument l’art dans son incarnation ultime – l’objet marchandise.
Qu’ils aient fait le choix ou non de l’atelier, tous les artistes de l’exposition Fertile Lands s’inventent des territoires propres à l’expérimentation qu’exigent leurs pièces. Sober City (2015) de Cyprien Gaillard est le fruit d’un mouvement pendulaire. L’artiste se voit attiré comme un aimant vers une améthyste conservée au Musée d’Histoire Naturelle de New York, avant de repartir en quête de nouveaux territoires à photographier. Nicolas Floc’h parcourt depuis 2008 les différentes mers du globe à la recherche de récifs immergés. Loin de végéter, ces étonnantes structures, soumises à réglementation (concessions pour 15 ans renouvelables) s’inscrivent dans une économie bien réelle, celle du tourisme, de la pêche, de la culture coralienne… Pointe alors l’impertinente question de l’inscription de l’art dans un contexte économique, et par extension, son adhésion à l’industrie culturelle.
En portant une attention soutenue aux lieux pollués, déconsidérés, insignifiants, Dan Graham, Gordon Matta-Clark, Robert Smithson incitent dès les années 60 à une « requalification » de ce qui était jusqu’à présent relégué à la périphérie. Lara Almarcegui s’inscrit dans cet héritage en faisant désormais rempart à la sur-rationalisation de l’espace au nom de l’art. C’est au prix de plusieurs années de tractations que l’artiste parvient à préserver à perpétuité des terres à l’abandon dans une région belge réputée pour ses mines de charbon (A wasteland in Genk, 2004-2016). Persévérance, radicalité et patience façonnent cet art sans compromission.
Le film East Coast, West Coast tourné par Nancy Holt et Robert Smithson (1969) exprime avec ironie l’irréductibilité du créateur face aux exigences mercantiles. De même, les artistes de Fertile Lands renégocient en permanence leur appartenance au système convenu du marché. Lors de sa première exposition personnelle en 2004, Seth Price avait exhumé des bandes vidéo de Joan Jonas (Spills, 2004). Son intervention graphique à même le document d’archive rend furtifs les propos captés au vol d’un Robert Smithson, irrité par la déchéance de l’œuvre en objet de luxe. L’auteur de Spiral Jetty revendique le droit de produire comme il l’entend, sans que personne n’ait à légiférer ou juger ce qu’il fait. Seth Price prolonge et théorise cette réflexion sur la nature de l’œuvre, sa temporalité à l’ère de la culture numérique. Espaces de production, de monstration et de diffusion entrent désormais en collision pour apporter une réponse stratégique à l’exigence d’ultra visibilité, de « présentisme »1 du monde de l’art contemporain. Seth Price résume la profusion entropique des informations à une nébuleuse ayant la neutralité d’un gris « administratif » (Disidentified Mouse/Revolver et Disidentified Cloud Service, 2014). Il importe alors de redoubler d’égards pour les marges de l’art, trop souvent ignorées des magazines prescripteurs (Artmagazine (Cover) [The MoMA won’t loan Remake], (1999/2015) de Michael Riedel).
La divulgation du film historique East Coast, West Coast dans l’exposition Fertile Lands vient conforter ceux qui rêvent encore d’un art porté par l’exigence du sublime. Les Blank spaces (2016) de Vincent Lamouroux avancent, inexorablement, tels des nuages au-dessus d’un ciel de verre.
Depuis 2014, l’artiste explore les derniers espaces libres aériens. Sa sculpture s’appuie sur les conventions de la cartographie et des relevés aéronautiques. Elle lévite aveuglément dans un espace cadré mais non délimité. C’est dans cette étendue au spectre coloré inépuisable que git le fantasme d’un territoire vierge, libéré de toute entrave.
Le voyage sur les terres sanctuarisées du Land art renforce cette croyance. Les Earthworks ont valeur de fables, de celles qui tirent « la vie hors d’elle-même par l’héroïsme, l’exploit, les aventures, la Providence et la grâce, éventuellement le forfait ; il fallait qu’elle soit marquée d’une touche d’impossible. C’est alors seulement qu’elle devenait dicible. Ce qui la mettait hors d’accès lui permettait de fonctionner comme leçon et exemple.»2
Fertile Lands renvoie à ces œuvres hors-normes réalisées dans les déserts californiens ou du Nouveau Mexique comme « un retour aux sources » salutaire. Invitée par la Chinati Foundation de Marfa 3(Texas), Rosa Barba profite de l’absence du trafic ferroviaire pour réaliser des frottages à même les rails. Ces dessins enregistrent tel un sismographe les derniers soubresauts d’un monde révolu, primitif.
Pour beaucoup, les œuvres de Robert Smithson ou de Michael Heizer ne sont que des images. Les cartes postales colorisées de Pieter Van der Schaaf (Untitled (painted desert), 2013) cultivent ce discours fantasmagorique. La main n’a pas la précision des coloristes d’antan venus rehausser de couleurs les clichés noir et blanc de lieux jamais visités. Elle trahit plutôt une vacance poétique qui annihile le pouvoir de ces paysages héroïques à faire peur.
Lorsque Tacita Dean part à la recherche de Spiral Jetty (Trying to Find the Spiral Jetty, 1997), l’enregistrement audio se termine par ces mots : « I am not sure that is Spiral Jetty ». Finalement peu importe le voir, ressentir la présence immanente de l’œuvre, (encore immergée à l’époque du déplacement de l’artiste à Salt Lake City) suffit. Elodie Seguin investit l’écart physique et mental produit entre deux réalités spatiales complémentaires, autonomes, affranchies de l’espace d’exposition qui les accueillent (Trappe claire et Trappe obscure, 2016). Chacune ouvre sur un vide, perçu comme dépassement de toute limitation. Fermée, elle est ouverte. Ouverte, elle est fermée.
Fertile Lands se situe dans cet horizon indéterminé où tout peut advenir. Là où la pensée de l’artiste commet de brusques sursauts, replis ou mises en perspectives, avant de finalement tout renverser et réévaluer sous un angle différent. Oser parler d’intimité créatrice, c’est conter l’ineffable. Imaginez ce qui a bien pu se passer dans la tête de Robert Smithson, parti sur les traces de sa propre histoire à Passaïc, un livre de Brian Aldiss sous le bras. Fertile Lands est le fruit d’une cristallisation d’idées, de sensations, d’expériences qui la traversent. Fertile Lands is Elsewhere.

Alexandra Fau

1 Nathalie Heinich, Le paradigme de l’art contemporain, structures d’une révolution artistique, Gallimard, 2014.
2 Michel Foucault, La vie des hommes infâmes, Cahiers du chemin, n° 29, janvier 1977, pp. 12-29
3 Donald Judd décida de s’installer à Marfa qu’il voyait alors comme un antidote au mercantilisme de New York.

PROJECTION RÊVE DE PIERRE PRÉSENTÉE PAR ALEXANDRA FAU : 2 MARS, 19H, CENTRE POMPIDOU, CINÉMA 2

À travers une sélection d’œuvres récentes et historiques, plusieurs générations d’artistes — Frank Heath ou Allora et Calzadilla — s’emparent de l’héritage du land art pour mener une réflexion sur la temporalité de l’œuvre, son autonomie, sa capacité à échapper au système marchand et envisager ainsi des terrains propices à leurs productions hors normes. Séance présentée par Alexandra Fau (commissaire de l’exposition Fertile Lands).

Films projetés :

Robert Smithson & Nancy Holt, East Coast, West Coast, 1969, vidéo (sur fichier num), nb, son, 22min (vo)
Melanie Smith & Rafael Ortega, Spiral City, 2002, vidéo (Betacam SP), nb, sil, 5.50min
Frank Heath, Asymptomatic Carrier, 2013, vidéo HD (sur fichier num), coul, son, 14.40min (vo)
Allora & Calzadilla, Under Discussion, 2005, vidéo (sur fichier num), coul, son, 6.14 min
Adrien Missika, Sailing stones, 2011, vidéo (sur fichier num), coul, son, 11.04min
Rosa Barba, Bending to the Earth, 2015, 35mm, coul, son, 15min (vo)

Dates
25 janvier - 9 mars 2016
Horaires
Du mardi au samedi, de 11h à 19h
Lundi sur rendez-vous
Entrée libre
Visites
Visites commentées gratuites
mercredi 12h, samedi 12h et 16h
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