Guillaume Leblon « Black Apple Falls »
Guillaume Leblon (Lille, 1971), une des voix les plus singulières du
panorama artistique international. Son exposition personnelle à la
Fondation d’entreprise Ricard – la première dédiée par une institution
parisienne au travail de l’artiste – coïncide avec sa nomination au
Prix Marcel Duchamp 2011 et avec sa participation à la 11ème édition de
la Biennale de Lyon.
Le travail de Guillaume Leblon prend ses racines dans une série d’expériences plus ou moins récentes de l’histoire de l’art d’avant-garde, du surréalisme jusqu’à l’arte processuale, de l’arte povera à l’Anti-Form jusqu’au champ plus général du post-minimalisme : de cette façon Leblon met à jour une ligne de l’art qui, en partant de fondements de nature analytique, offre au spectateur un champ d’expérience perceptif plutôt que de créer un dispositif iconographique ou narratif. Celui de Leblon est un univers poétique dans lequel formes, espaces et matériaux retiennent le cours du temps, matérialisant histoire et mémoire.
À travers la sculpture et l’installation, Leblon explore une sorte d’espace intermédiaire entre l’échelle de l’objet et celle de l’environnement, en mettant l’une en relation avec l’autre. D’une part, certaines sculptures semblent enregistrer des caractéristiques spécifiques de l’espace qui les entoure, comme si elles étaient des organismes sensibles ou des fossiles de l’environnement qui les abrite ; d’autre part, les installations environnementales apparaissent comme des prolongations de certaines propriétés inhérentes à chaque matériau. Leblon met en dialogue architecture et matériaux avec une extrême sensibilité formelle, où émergent de chacun de ces éléments des caractéristiques visuelles et tactiles qui, autrement, ne se révèlent pas de manière immédiate.
Qu’il s’agisse de sculptures ou d’interventions dans l’espace – il n’est parfois pas simple de distinguer la frontière entre l’objet et son environnement – le spectateur se trouve souvent devant quelque chose qui, bien qu’apparaissant familier, reste cependant étranger. Dans le travail de Leblon, on retrouve souvent des objets et des structures qui ont une certaine familiarité avec le milieu domestique et avec la dimension de l’habitat : cloisons, petites portions d’architecture, escaliers, plans de travail, étagères. Leur apparence quotidienne, néanmoins, est démentie presque immédiatement : les œuvres de Leblon finissent par ressembler à des mémoires lointaines de quelque chose qui, s’il fut un temps familier, risque maintenant de devenir totalement abstrait. Comme des détritus repoussés par la marée, les travaux de Leblon entretiennent avec le spectateur ce rapport ambivalent : ils s’approchent de leur propre expérience de la familiarité et de la banalité pour ensuite se soustraire de leur reconnaissance l’instant suivant.
En d’autres occasions, ce sont par contre les matériaux, plutôt que les formes, qui retiennent certaines dimensions de la mémoire, qui trahissent l’action du temps comme usure : des surfaces apparaissent érodées, beaucoup de volumes semblent sur le point de s’effondrer sur eux-mêmes, pendant que d’autres installations se basent sur la dissolution d’éléments comme la glace et sur l’infiltration de l’eau. Le travail de Leblon semble vouloir montrer les traces de ce qui a résisté au passage du temps et c’est peut-être pour cette raison que la plus grande partie de ses œuvres possède une certaine instabilité, comme si leur état actuel était l’enregistrement d’un moment de survivance qui, par nécessité, ne durera pas éternellement. Ce n’est pas un hasard non plus si nombre de ses travaux reprennent des gestes lointains issus de pratiques traditionnelles de la sculpture et de l’installation : plus que d’extraire, modeler, accumuler et composer, Leblon semble être engagé dans une action de manutention, de soin constant, comme si son intention était plus celle de préserver que d’ajouter.
Alessandro Rabottini, août 2011.