INFANS
Exposition personnelle d'Isabelle Cornaro sous le commissariat de Mouna Mekouar.
Isabelle Cornaro présente dans cette exposition un aspect de sa pratique encore peu connu. L’artiste invite le public à découvrir, dans une mise en scène soigneusement élaborée, des films courts tournés en 16mm qui sont, parfois, associés à d’autres images animées (vidéos trouvées et/ou films d’animation). D’une grande densité visuelle, tous ces films nous plongent dans des univers chimériques, qui, par un jeu d’enchaînement dans l’espace, se répondent les uns aux autres, créant une narration qui se déploie au sein des deux salles d’exposition.
Intitulée Infans (du latin « ne parlant pas ») cette exposition évoque un monde où la parole n’est pas encore advenue. Silencieuse, ce n’est pas pour autant une exposition sans parole. C’est une exposition qui relève d’un langage intime, d’une musique des signes. Avec des jeux d’emboitements et de références, entre abstraction et figuration, entre images en mouvements et arrêts sur images, Isabelle Cornaro démultiplie les impressions et sensations, qui vont progressivement submerger le spectateur. Il est invité à découvrir un dispositif dans lequel des longs plans fixes ou de simples panoramiques composent une partition visuelle et silencieuse. Cette aspiration au silence qui pourrait se rapprocher du memento mori se prolonge par de furtives et éblouissantes apparitions. En effet, l’artiste explore des jeux de lumière expressionnistes, qui transforment chacune de ses séquences en une succession d’images qui sont comme soufflées, foudroyées, instables.
Déjouant constamment l’attente et l’attention du spectateur, Isabelle Cornaro propose un récit qui procède délibérément par association d’images. Sa cohérence, essentiellement formelle, tient à la récurrence de motifs, d’objets, de personnages qui évoquent des impressions, des sensations. De ce point de vue, les films d’Isabelle Cornaro s’appuient sur le montage aléatoire propre au cinéma structurel américain. Elle adopte la technique du plan fixe, les effets de clignotement et de boucle de ce cinéma qui insiste sur la forme. Avec ses montages qui donnent l’impression de glisser d’un plan à l’autre sans autre raison apparente que l’errance de la pensée la plus intime, elle pense ses films comme des rêves. On saute sans transition, et en permanence, du dégoût à l’émerveillement, du trouble érotique à la surprise amusée. Cet univers semble aussi se rapprocher de l’univers surréaliste et des films de Luis Buñuel. A l’image aussi de la technique du collage – qui avait trouvé chez Max Ernst un développement extraordinaire – Isabelle Cornaro utilise des footage préexistants (ou trouvés) et les assemble pour faire naître de nouvelles images. On y retrouve un appel à l’irrationnel, à l’obscurité, à des impulsions inconscientes, aux corps fragmentés ou absents. Comme un fil rouge, d’un film à l’autre, d’une projection à l’autre, un homme sans tête – un homme sans identité, un homme chimère, un homme qui appartient au domaine des traces – apparaît et disparaît.
Le point terminal de cette trajectoire est atteint lorsque l’organique cède le pas au plastique. Les menaces de violence sont désormais explicites : on y voit par exemple des mains recouvertes de fluides corporels.
Au fond, tous ces films soulèvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses. Ses mises en scènes sont comme autant d’énigmes à déchiffrer, des images-mystère.
Cette stratification complexe est visuellement soutenue par un dispositif dans l’espace qui n’est ni linéaire ni chronologique. De cette manière, la présentation des images rend compte de ces tentatives dispersées et imprévisibles faites de fléchissements, de retours en arrière et/ou de recommencements.
Ainsi, Isabelle Cornaro pose-t-elle avec cette installation un regard critique sur une certaine représentation de notre monde, sur notre rapport au corps et à l’objet, et sur notre (in)capacité à voir. Quel est notre rapport à la violence ? à la réalité ? au visible ? Ces questions, implicites et récurrentes dans le travail d’Isabelle Cornaro sont manifestes dans ces films qui relèvent du prélèvement. Elles rendent à l’image sa part d’ombre et explorent son envers. Elles incitent aussi à une réflexion sur la surexposition du monde où règne la tyrannie du visible. Et face au vacarme de notre monde, Isabelle Cornaro souligne l’urgence de reconsidérer – avec violence et retenue – le rôle et la place de notre regard.
Mouna Mekouar, commissaire de l'exposition
Retrouvez l’entretien d’Isabelle Cornaro sur FranceCulture par Arnaud Laporte -> (ICI)