La Traverse #3 avec Charlotte Durand et Nino Spanu
Accrochage en collaboration avec l'École supérieure d'art de Clermont Métropole (ESACM)
Avec Charlotte Durand et Nino Spanu
Accompagnement curatorial par Chloé Poulain
Charlotte Durand et Nino Spanu questionnent, chacun·e à leur manière, l’autoportrait. Iels le déploient, non pas en tant que miroir égotique, mais en tant qu’outil d’investigation autour des questions d’appartenance, de classe sociale et de performativité culturelle, sociale et économique.
La pratique de Nino Spanu est peuplée d’objets high-tech devenus indispensables à notre quotidien, des objets techniques, qui ne sont plus seulement des objets dans le monde, mais des objets qui transforment l'architecture même du monde. À travers eux, Nino explore notre rapport au temps, à notre identité choisie ou imposée. Il génère par leur biais des réflexions sur nos modes d’existence physiques et digitales.
Accrochée au mur par un bras mécanique, une télévision cathodique diffuse un enregistrement du journal télévisé de 20h du 31 décembre 1997. Superposé à la banalité des images, un contenu audio provenant d'un enregistrement amateur, réalisé simultanément à la diffusion du journal, laisse entendre les pleurs de Nino, né le jour même. Les deux flux se mêlent, nous observons à l’écran des
interactions avec la télévision : lorsque le son est baissé, les barres audios diminuent progressivement jusqu’au mutisme complet. Les images défilant à l'écran demeurent comme une présence constante, accompagnant cette scène domestique. Pour 31DEC97, Nino choisit consciemment d’utiliser une télévision cathodique semblable à celle qui se trouvait dans la chambre de
maternité qui l’accueillait au moment de sa naissance, recréant ainsi un moment d’une grande intimité tout en donnant à voir le contenu creux et impersonnel de cette boucle éternelle d’informations.
Plus loin, différents écrans pulsent une lumière artificielle poussée à son maximum qui lentement s’affaiblit jusqu’à disparaître, rejouant le moment où l’appareil non sollicité se met en veille. Ils ont en commun d’avoir été des écrans, téléphones et tablettes, de démonstration.
La diffusion sans répit d’une image dans les vitrines d’un magasin a eu raison de leurs pixels, ils portent maintenant de manière permanente l’ombre du contenu qui était diffusé sur leurs surfaces. Ces images fantômes semblent respirer, battre, comme le cœur lent d’une machine qui ne nous est plus destinée.
Charlotte Durand emprunte au code du spectacle et de la fable pour créer un point de rencontre entre deux classes sociales et culturelles : le milieu rural auvergnat dans lequel elle a grandi et le milieu artistique dans lequel elle évolue. Son travail explore l’ambivalence entre l’image romantique d’une campagne onirique et la réalité socio-économique de celle-ci. Son travail met en place les conditions d’une rencontre où ces entités se confrontent et réévaluent la performativité de leurs codes respectifs.
Une sculpture faite de volutes de fils de fer barbelés se détache nettement dans l’espace. Rappelant les clôtures qui bordent les champs, elle joue des clichés du monde rural pour « enguirlander » la chose au moyen de terre, rubans de clôture électrique et crins de cheval. Le titre CHACHO 2023 provient de la signature de l’artiste, réalisée directement dans le béton encore frais de l’un des pieds de la sculpture. Fidèle à cette coutume vernaculaire qui consiste à signer les pieds de parasols en béton, Charlotte a signé de son surnom. Par ce geste ironique, elle questionne les notions traditionnelles de préciosité de l’art et remet en question la supériorité du milieu artistique et intellectuel sur les milieux ouvriers et ruraux. Cette sculpture agit comme un autoportrait, les fils barbelés ayant retenu à travers eux certains éléments qui constituent l’agentivité de l’artiste sous-tendant la difficulté que représente le passage d’un milieu à un autre.
Nino et Charlotte tissent chacun·e un portrait en creux de notre société, explorant les dynamiques complexes de l'identité, à travers leurs pratiques respectives, ils nous invitent à réfléchir sur les frontières mouvantes de celle-ci. Leurs œuvres deviennent les témoins de ces mouvements, des artefacts qui portent en eux les marques de cette traversée constante.
Chloé Poulain, commissaire.
Images : Vues de "La Traverse #3" à la Fondation Pernod Ricard, Paris, 2024. Photo Léa Guintrand. Courtesy des artistes.