Now or never
Exposition personnelle de Bernard Frize.
La galerie Perrotin a l’honneur de présenter une nouvelle exposition du peintre Bernard Frize, en parallèle de son exposition à caractère rétrospectif « Bernard Frize. Sans Repentir » au Centre Pompidou, Musée National d’Art Moderne (29 mai – 26 août, commissaire Angela Lampe). Regroupant un large ensemble de peintures, notamment des productions récentes, cette exposition marque vingt-cinq ans de collaboration entre l’artiste et la galerie. L’artiste, qui a récemment exposé au Japon (Perrotin Tokyo et Kaikai Kiki gallery) sera également exposé à Perrotin New York en septembre prochain. « Tout en revisitant régulièrement les divers moments de sa pratique passée, Frize n’a cessé d’ouvrir de nouveaux chantiers, d’inventer des modes de peindre inédits (à commencer par la mise au point, il y a une dizaine d’années, de procédures fondées sur la production du même tableau par plusieurs mains simultanées), mais il a aussi, depuis le milieu des années 1990, abandonné tout recours à ce que l’on nomme pour aller vite la « figuration », à savoir le rendu mimétique d’objets ou d’images identifiables à un référent extérieur. Ce n’est plus que par une allusion que l’on pressent fortuite, et qui ressortit à une disposition générale de notre regard, que tel ou tel tableau peut évoquer une pierre, un rideau ou une bibliothèque. Si bien qu’à ce mouvement d’extension qui frappe de prime abord en a correspondu un autre, de réduction ou de décrochement. Le paradoxe est d’envergure et renvoie d’emblée à la conception que depuis ses débuts Frize se fait de la peinture, qui est précisément de se constituer comme un ensemble de paradoxes, autrement dit de propositions contraires au sens commun et à ses attentes. Et le principe vaut bien sûr à l’échelle de chaque œuvre considérée de façon individuelle : « J’essaie toujours d’arriver à ce qu’il n’y ait pas qu’une seule chose sur le tableau, une seule chose montrée, mais qu’il y ait un paradoxe, un antagonisme, une difficulté qui soient à l’œuvre (1) .» « J’essaie de faire des tableaux qu’on puisse regarder au moins deux fois. Je voudrais dire également que je tente le plus possible d’articuler les procédures entre elles, de recycler les restes d’une série au profit d’une nouvelle. Le monochrome qui sèche la tête en bas donne un exemple de cela : au bout d’un moment j’ai mis une toile en dessous afin que les gouttes qui s’en détachent me fournissent le départ d’un autre tableau (2) . » Ces mots de Frize, qui datent d’il y a plus de vingt ans, n’ont aujourd’hui rien perdu en actualité. Son œuvre n’a cessé depuis lors de s’amplifier selon la même méthode autodéductive. Face aux multiples embranchements qu’il a ainsi tracés, l’une des questions qui se posent maintenant à lui est sans doute celle d’un emploi délibéré, renouvelé, de motifs distinctement figuratifs. Dans une interview publiée dans Artforum, il remarquait à ce propos : « Les peintures figuratives que j’ai faites – je veux dire les tableaux au sens strict, en mettant à part les quelques photographies ou scanachromes qu’il m’est aussi arrivé d’exposer – me paraissent encore plus ambigües que les autres ; les images y sont une sorte de matériau premier que j’utilise sans me préoccuper de ses référents. Ou alors elles jouent avec l’idée de figuration cachée, de double lecture. De toute façon, je n’ai jamais inventé une image, je ne peux que l’emprunter pour la mettre au service d’une démonstration d’ordre pictural. Quand j’ai peint des pots, c’était pour travailler sur l’idée de « raté », pour accentuer par l’image cette exploitation de l’accident à laquelle je tentais de parvenir. Il s’agissait de figurer de la manière la plus nette une espèce d’inadéquation générale, le fait que rien n’« allait dans ces tableaux (3) . » Qu’il y ait encore beaucoup à inventer à partir d’une telle conception de l’image est plus que probable, notamment si l’on tient compte de la façon dont toutes sortes de figurations illicites viennent hanter le nombre de tableaux de Frize que l’on peut à bon droit tenir pour « abstraits ». Dans le fil de son œuvre entière, la logique serait alors celle d’un élargissement de l’exploration picturale, à la faveur d’une relance de l’« intelligence figurative (4) ».
Jean-Pierre Criqui, extrait de Bernard Frize Aujourd’hui, dans Bernard Frize, Perrotin, 2014
En 2015, Bernard Frize a été récompensé par le prix Käthe Kollwitz de l’Académie des arts de Berlin. Les membres du jury, Ayşe Erkmen, Mona Hatoum et Karin Sander ont écrit au sujet de son travail : « Il s’efforce, de tout son possible et avec la plus grande sophistication de faire progresser l’abstraction picturale contemporaine ainsi que de développer une topologie de gestes et structures picturales. » L’artiste a également été récompensé par le prix Fred Thieler, décerné par la galerie Berlinische à Berlin en 2011. Bernard Frize a eu de nombreux solo shows dans des institutions à travers le monde : la Fondation Calouste Gulbenkian à Lisbonne, Portugal ; la galerie Berlinische à Berlin, Allemagne ; le Musée Morsbroich à Leverkusen, Allemagne ; à la Kunsthallen Brandts Klædefabrik, Odense, Danemark ; la galerie Ikon, Birmingham, RoyaumeUni ; le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, France ; le S.M.A.C.K., Gand, Belgique ; le Musée Municipal de la Haye, Pays-Bas ; le musée d’art contemporain de Bâle, Suisse ; le musée d’art et d’histoire culturelle de Westphalie, Münster, Allemagne ; Kunstmuseum Saint-Gall, Suisse ; Museum Moderner Kunst, Stiftung Ludwig, Vienne, Autriche ; le Musée De Pont, Tilburg, Pays-Bas ; la galerie Ivan Dougherty, Sydney, Australie ; Kunsthalle de Zürich, Suisse ; le Carnegie Museum of Art, Pittsburg, USA ; la Villa Médicis, Rome, Italie. Il a également été présenté dans d’importantes expositions collectives, notamment à la Biennale de Sao Paulo, la Biennale de Venise et la Biennale de Sydney, entre autres. Son travail est représenté dans plus de quarante-cinq collections internationales, dont celles de la Tate Gallery à Londres, le Musée National d’Art Moderne – Centre Pompidou à Paris, le MUseum MOderner Kunst à Vienne, le Musée National d’Art d’Osaka, le Musée National Centre d’Art Reina Sofía à Madrid, le Musée d’Art Contemporain de Los Angeles, le Museum für Moderne Kunst à Francfort, le Kunstmuseum à Bâle et la Kunsthalle de Zurich.
(1) « J’achète un pinceau de 40 cm… », entretien avec Irmeline Lebeer, catalogue Bernard Frize : Aplat, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 2003, p.190
(2) Entretien inédit de Bernard Frize avec l’auteur, été 1993
(3)« Rule and Branch : Jean-Pierre Criqui Visits Bernard Frize », Artforum, octobre 1993, p.80-81
(4) Je reprends ici pour la partie le titre d’un livre de Svetlana Alpers & Michael Baxandall, Tiepolo and the Pictorial Intelligence (Yale University Press, 1994)