PRIX 2001 LOST IN THE SUPERMARKET
Cette exposition d’envergure est proposée dans le cadre de la FIAC et conçue par un critique d’art dont la démarche est de révéler au public les jeunes talents de la création française.
Après Propice, avec Catherine Francblin en 1999, et Prodige, avec Robert Fleck en 2000, Jean-Yves Jouannais met en scène l’exposition Lost in the Supermarket. Autour de ce titre original évoquant un conte moderne, sont réunis huit jeunes artistes français représentatifs d’une nouvelle génération de créateurs.
Lost in the Supermarket où comme le souligne Jean-Yves Jouannais, ’le rêve…de se laisser enfermer une nuit entière dans un grand magasin et de pouvoir faire usage, en toute impunité, de ses biens et marchandises… Rêve aux airs de fantasme de la possession. Possession des êtres et des choses’. Cette exposition nous fait ainsi naviguer dans les allées et les coulisses d’un supermarché, éveillant et nourrissant sans cesse notre curiosité au fil d’un parcours à la fois poétique, burlesque et audacieux.
Bien que ces artistes soient réunis autour d’un thème commun, chacun affirme sa personnalité avec force. Lost in the Supermarket est à ce titre révélateur. Chaque artiste nous entraîne dans son imaginaire, nous faisant découvrir sa vision au gré de ses errances dans l’univers d’un supermarché. Chacun s’approprie l’espace, les objets, afin de les transformer. Chaque œuvre est ainsi l’expression d’un rêve. ’C’est un rêve effectivement, souligne Jean-Yves Jouannais, et c’est de la poésie introduite en fraude au sein d’espaces qui lui sont contraires’.
Chaque artiste de l’exposition incarne une valeur fondamentale de cette nouvelle génération. Ainsi, Jean-Baptiste Bruant nous projette dans un film, où on le découvre se livrant à des chorégraphies étranges, entre grâce et burlesque, dans le labyrinthe des rayons. Francesco Finizio imagine de curieux courriers, avec photos jointes, adressés par des individus fictifs proposant leurs services à différentes structures de la grande distribution. Véronique Éllena propose une série de photographies ambiguës et pleines d’humour : des portraits de ses proches qu’elle met en situation de consommateurs. Avec sa caméra, placée au fond d’un caddie, Timothy Mason s’aventure dans les allées d’un supermarché, un long travelling avec en fond sonore les musiques d’ambiance et les annonces micro. Avec Philippe Mayaux, on expérimente le pouvoir d’attraction des vitrines avec l’une d’entre elles remplie d’objets de natures diverses qui n’ont en commun que leur couleur rose. Gilles Touyard conçoit une formule originale de boutique-une sorte de rayon papiers peints– pour vendre les articles de son catalogue. Quant à Tatiana Trouvé, dont l’univers développé depuis des années consiste en l’élaboration d’unités modulaires, elle réalise une sculpture inspirée d’un véhicule de vente pour la rue, une structure à l’image de ses autres propositions asservies à autant de ’tâches à finalité improbable’. Enfin, le collectif d’artistes Buy-Sellf, qui présente un catalogue de produits non industrialisés – des prototypes de recherche issus de démarches artistiques – nous fait découvrir l’un de ses nouveaux produits.
Parmi les artistes de l’exposition Lost in the Supermarket les collectionneurs français et étrangers présents à la FIAC 2001 désigneront le lauréat du Prix Ricard S.A. Il récompensera l’artiste le plus représentatif de la jeune scène française.
Le prix, une œuvre d’une valeur de 60 000 francs, achetée au lauréat, sera présenté au Centre Pompidou à l’occasion de la FIAC 2002., Le prix Ricard S.A 2001 sera remis lors du Bal jaune le 12 octobre.
Natacha Lesueur, lauréate en 2000, exposera l’oeuvre achetée par la société Ricard, au Centre Pompidou durant la FIAC 2001.
Texte de Jean-Yves Jouannais
’Lost In The Supermarket – le titre du morceau de Clash plutôt que la chanson elle-même – m’a toujours rappelé ce rêve que tout un chacun a fait de se laisser enfermer une nuit entière dans un grand magasin et de pouvoir faire usage, en toute impunité, de ses biens et marchandises. Ce rêve c’est, entre autres, le rêve aux airs de fantasme de la possession. Possession des êtres et des choses.
Parmi les grands mystères littéraires, il y a l’étrange croyance du narrateur de ’La Recherche du temps perdu ’ pensant ne pouvoir posséder Albertine que dans son sommeil. Il lui semble alors, qu’abandonnée, elle lui appartient comme se possède un territoire. Étrange croyance vraiment quand on sait que partout ailleurs dans ce livre le rêve est un voyage au long cours. Un voyage durant lequel nous sommes le plus éloignés de nous-mêmes, une plongée dans le temps qui nous voit prendre des visages, utiliser les langues et accomplir des actes les plus étrangers à notre nature. Albertine n’est en somme jamais moins elle-même que sous l’espèce de ce corps abandonné. Rien n’est possédé alors que l’illusion de la domination.
C’est une illusion d’une nature similaire dont cette exposition se veut l’évocation. Arpentant le grand magasin endormi, où pour la nuit la tension de la consommation s’est relâchée, nous vivons le rêve de la possession. Caresser le maximum d’ustensiles et de matériaux, courir d’un rayon à l’autre, utiliser ce dont on n’a nul besoin, s’abandonner au tempo du roulement des stocks. Une course folle et perdue d’avance, dont les objets sont les motifs. L’impossible possession des êtres et des choses prenant simultanément une coloration mélancolique autant que burlesque. Quelque chose d’amoureux en effet, de tendre, est tenté avec les objets, ces objets qui, pour quelques heures, ne sont plus en représentation, en promotion, en démonstration, en prostitution. Ils reposent ; le caractère guerrier de leur packaging est en repos, marketing en berne. Ils sont tous des sortes d’Albertine endormies. Nous nous ébattons dans cette illusion de leur possession. C’est un rêve effectivement, et c’est de la poésie introduite en fraude au sein d’espaces qui lui sont contraires.’
Jean-Yves Jouannais