RED CLASSIC / RED FIGURE

© Robert Huot, courtesy Galerie Arnaud Lefbvre
© Robert Huot, courtesy Galerie Arnaud Lefbvre
du 19 septembre au 2 novembre 2019

Une exposition personnelle de Robert Huot

L’exposition de Robert Huot Red Classic / Red Figure présente une série de photographies d’auto-portraits de nus faite par Huot et son épouse décédée depuis lors, Carole Kinne. Huot et Kinne ont pris leur inspiration initiale d’une lecture du livre de Kenneth Clark The Nude : A Study in Ideal Form (titre français Le Nu). En étudiant l’histoire des représentations du nu dans diverses techniques sur une période de plus de deux mille ans, ils ont revisité les récurrences régulières des thèmes et des poses, en remontant aux premiers Grecs et Romains, qui ont été ravivées à la Renaissance et en continu par la suite. Ce qu’ils y ont vu est le système des images enfoui au cœur de nos idées sur la beauté, des images dont nous tirons toutes nos suppositions sur la forme humaine idéale. Mais comme les artistes étaient eux-même âgés l’un de plus de soixante dix ans et l’autre de plus soixante ans, ce qu’ils n’y ont pas trouvé était des corps qui ressemblaient aux leurs. Les quelques œuvres classiques qui représentaient des citoyens plus âgés tendaient à les montrer dans une lumière pathétique, mais quand le sujet en venait à l’idéal de beauté, on ne voyait plus que des corps jeunes. 

A une époque où presque toutes les représentations de la nudité emportent déjà avec elles une certaine quantité de bagage politique, Huot est davantage concerné dans ce travail par les politiques de discrimination liées à l’âge. Jusqu’à quel point peut-on remédier à cet effacement systématique du corps humain vieilli ? Et qui est autorisé à prendre part à la définition de notre idéal corporel ? En tant que peintres ayant consacré leur vie à leur art, Huot et Kinne ont eu le sentiment qu’ils détenaient leur propre part du droit à cette imagerie, et qu’il ne tenait qu’à eux de s’en emparer et de se mesurer à la notion grecque ancienne du beau comme propriété exclusive de la jeunesse. Comment était-ce possible ? Lorsque même nos idées les plus élémentaires à ce sujet datent de plusieurs milliers d’années ? Ici, ces deux artistes ont regardé ostensiblement l’histoire entière de la beauté, mais en ne trouvant aucun reflet de la beauté qu’ils voyaient encore dans l’autre, ou du désir que chacun ou chacune suscitaient chez l’autre dans le monde bien réel. En guise de réponse, ils ont crée cette série qui met l’immortalité de l’imagerie en confrontation à la mortalité du corps, et par là nous rappellent que la Grèce elle-même, et ses idéaux, ne sont plus jeunes. Alors que bon nombre de ces compositions seront familières au visiteur, les photographies ont néanmoins leur propre force, et posent leurs propres questions essentielles. 

Huot a dit qu’il serait dommage que l’on voit dans ces images la recherche du sensationnel. Et en réalité pourquoi en serait-il ainsi ? L’affichage de son corps et de celui de son épouse est envisagée comme un simple constat. C’est une documentation d’être humains réels qui continuent à voir de la beauté, à en faire l’expérience, à la partager, et à y penser. Les photos ont été prises dans la maison que le couple partageait, en utilisant uniquement la lumière naturelle, et elles ont été tirées quasiment grandeur nature, sans montage ni retouche. La puissance émise par ces images provient des interconnections entre les corps des modèles et les contextes dans lesquels ils sont montrés, soulignant mutuellement nos présupposés sur chacun. Pourquoi devrions-nous être choqués à la vision de corps plus âgés, juxtaposés aux scènes archétypes dans lesquelles nous pro- jetons régulièrement nos regards les plus chers ? A moins, bien sûr, que cette juxtaposition ne désigne un coin inexploré et inconfortable de la narration collective, en répandant une lumière qui tire une ligne claire-obscure le long de la forme de notre propre déni. Qu’est-ce qui est tapi dans l’ombre d’où émergent ces personnages ? 

 

L’apparence de la chair fragile, délicate et mortelle qui exprime sa forme comme une identité contre l’arrière-plan du vide, est un témoignage de l’histoire naturelle éternelle. Celle qui remonte au temps de l’imagerie pré-chrétienne, celle qui remonte au temps d’avant l’imagerie, celle qui est née dans les fondements de l’univers, déroulant son faste païen sur la terre, au ciel, dans les saisons, et tout au long des cycles mystérieux de la vie. Ces photographies renvoient à ce temps fertile et indéfini. Dans l’histoire de l’étincelle éternelle. Dans les mythes de nos origines. Et ainsi, elles interrogent les premières représentations de l’humanité, et de la vie luttant pour émerger de l’obscurité sans limites. La pièce centrale de l’exposition est un grand portrait des deux artistes ensemble qui rappelle l’expulsion du premier couple du Jardin d’Eden. Huot couvre son visage, et Kinne couvre sa poitrine et son bas-ventre, détournant tous les deux les yeux avec angoisse tandis qu’ils sortent de la scène dans une noirceur prémonitoire. Mais de quoi ces humanistes Adam et Ève ont-ils bien été expulsés ? De la jeunesse ? De la participation à la beauté ? De la vie elle-même ? Et au nom de quoi doivent-ils avoir honte ? 

Si l’on peut trouver de la beauté à regarder le triomphe de la vie, alors il dépend de notre intelligence accrue d’appréhender ce à quoi devrait ressembler le fait de se sentir vivant. Après leurs vies passées à regarder et à faire des choses que l’on regarde, ces artistes refusent d’être bannis, mis de côté et obligés à prendre leur retraite. Ils refusent de simplement se couvrir, prendre des médicaments, et disparaître tranquillement au diapason de notre ignorance bienheureuse. Ils refusent d’obéir à la prescription ultime. Et leur vitalité rebelle est un acte glorieux de défi, rendu d’autant plus poignant par le décès récent de Kinne. Ce dernier geste créatif qu’ils partagent est une façon libératrice de se rappeler que personne ne détient la beauté. Dans un monde de l’art où la tête nous tourne si vite de la dernière chose à la mode, et dans un univers qui nous fait disparaître en un clin d’œil avec une certitude si effrayante, au point que nous sommes tentés constamment de l’ignorer, Robert Huot et Carol Kinne continuent à regarder, et nous invitent à regarder avec eux, à la fois en arrière dans la longue histoire de nos idéaux de beauté et en avant dans l’avenir qui attend tous nos corps mortels. 

Jason Stoneking 

Dates
19 septembre - 2 novembre 2019
Horaires
Du mardi au samedi, de 11h à 19h
Lundi sur rendez-vous
Entrée libre
Visites
Visites commentées gratuites
mercredi 12h, samedi 12h et 16h