SCULPTURES
Une exposition personnelle de Werner Reiterer.
Même si l’exposition de l’artiste autrichien Werner Reiterer présentée à la galerie Loevenbruck se concentre sur la sculpture, les œuvres exposées mettent en évidence un recours à une grande diversité de médiums, témoignant ainsi du scepticisme fondamental de l’artiste vis-à-vis de faits en apparence établis, dont il révèle la fragilité. L’œuvre de Werner Reiterer renverse l’ordre des choses et les normes de notre société et de notre monde. Ses concepts, ses installations, ses sculptures et ses dessins créent des réalités subversives d’où jaillissent une critique extralucide ainsi qu’une ironie et un humour espiègle.
Derrière ce titre simple et banal, « Sculptures », se cache un condensé de pensées qui sous-tendent l’ensemble très disparate des pièces exposées. Un chapeau feutre, symbole par excellence de la bourgeoisie, est percé de trois trous. Dans un travail photographique, l’artiste fait la démonstration de sa fonction fatale : forme bourgeoise de la cagoule en bas de nylon, il fait office de masque pouvant être utilisé dans le cadre d’un hold-up. Avec la caricature de cet insigne, Werner Reiterer illustre le déclin de la bourgeoisie et son inquiétante proximité avec les milieux criminels. L’objet, absurde, reflète la situation de plus en plus précaire des groupes bourgeois et leur potentiel criminel accru.
Avec leurs masques étranges faits de bas noirs entaillés, les meubles usagés de A Family Gang incarnent le noyau familial classique au bord de l’abîme existentiel qui éclate en mini gangs grotesques. Dans Locked in!, Reiterer pousse plus loin encore la dimension dramatique : un camping- car, symbole des voyages et des vacances des catégories moyennes, est détourné de sa plaisante fonction première. À l’intérieur, l’orage gronde et une fureur se déchaîne, au lieu de l’idylle vacancière, annonçant une situation de conflit. Sa présence absurde dans la galerie – le véhicule ne semble pas pouvoir passer les portes, trop étroites – augmente encore notre irritation. Locked in! est la métaphore de l’état misérable de la société, menacée d’implosion existentielle, et de l’inertie déplorable de l’individu.
Équivoque, l’œuvre de Werner Reiterer oscille entre une critique acerbe du pouvoir et de l’ordre global et de la politique du tout économique, d’une part, et une ironie caustique et un humour acéré, d’autre part. Une polysémie qui nous est révélée brutalement par une mise en forme précise.
Margareta Sandhofer, « Sculptures », juin 2019.
Margareta Sandhofer est historienne de l’art, commissaire et critique. Elle vit à Vienne.