Storytelling, Communities of emotions
L’exposition Storytelling de Sandy Amério est composée de deux parties complémentaires et autonomes :
Storytelling – Hear Me, Children Yet-To-Be-Born aux Laboratoires d’Aubervilliers et Storytelling – Communities of Emotions à l’Espace Paul Ricard.
Le storytelling est une pratique managériale d’origine anglo-saxone : des conteurs professionnels viennent au sein de l’entreprise raconter des histoires aux salariés afin de générer certains types d’attitudes et d’émotions par le biais d’analogies et de métaphores. Le storytelling a de nombreuses applications : lors de réductions de personnels, de délocalisations, de gestions de conflits et même de licenciements.
La vidéo Sorties d’Usines, épilogue, présentée à l’Espace Paul Ricard met en oeuvre une sorte de « storytelling à l’envers ». Les conteurs sont les salariés de la société OCT (usine fabriquant du câble optique) qui racontent chacun leur vision d’une histoire commune : un matin, ils découvrent leur usine vidée de ses machines, ils se retrouvent alors privés de tout moyen de production sans aucun préavis.
« Le protocole que j’ai mis en place est simple : demander à chacun de ces salariés de raconter leur histoire, sous la forme « il était une fois », et leur propre version des faits, loin des visions parcellaires ou misérabilistes qu’en ont donné les médias. Le plan est fixe, aucune question n’est posée, aucun cut dans la parole des salariés au montage tous filmés individuellement. Le storytelling devient ainsi dans cette installation vidéo l’histoire du salarié. Certains plans montrent les mêmes employés refaisant « dans le vide » les gestes qu’ils faisaient à leurs machines, comme une chorégraphie reprenant l’idée de l’invisibilité, de la volatilité du travail aujourd’hui et qui rejoint de la même manière celle de l’artiste qui quand il n’a pas d’exposition redevient en quelque sorte un travailleur de l’ombre « . Sandy Amério
Quant à Gold Rush, il s’agit d’un ensemble de photographies prises à Death Valley représentant entre autre la célèbre mine d’or Wonder Keane Mine. Ce dispositif fait allusion aux recherches que les artistes mènent pour trouver une hypothétique place du marché de l’art.
Pour, Hear me, Children Yet-To-Be Born, qui a été présenté aux Laboratoires d’Aubervilliers, il s’agit du dernier film de Sandy Amério (co-produit par les Laboratoires d’Aubervilliers / AFAA : programme de résidence à 18th Street Arts Complex à Los Angeles 2003 / Centre national des arts plastiques : allocation de recherche et de séjour en France et à l’Etranger, section vidéo 2002). Ce film, tourné entièrement à Death Valley avec notamment Nancye Ferguson (actrice et réalisatrice qui a tourné avec David Lynch et Paul Verhoeven), se montre comme une réflexion sur la nouvelle organisation du travail et sur la place accordée à la gestion de l’émotion, illustrée par cette pratique du storytelling. Ce film, pour lequel Black Sifichi (poète et DJ de renom) a prêté sa voix, se situe aux antipodes des visions sèches et stéréotypées souvent véhiculées sur le monde de l’entreprise. L’exposition qui accompagne le film a été pensée comme un hors-champ à la fois théorique, poétique et temporel du film. Le projet dans son ensemble se retrouve déplié dans une dimension temporelle avec un avant, un pendant et un après du film. L’installation The Canditates procède ainsi à une sorte d’inventaire des prétendants à la célébrité constitué à partir du casting du film : en tas, leurs photos attendent d’être recyclées par une machine à détruire les documents tandis qu’une télévision égrène leur nom dans le générique d’un film qui n’aura pas lieu.
L’ouvrage Storytelling, index sensible pour agora non représetative est la transcription d’une animation culturelle ayant pour but de parler à la communauté artistique et faisant intervenir plusieurs storytellers professionnels américains réels (Roseabeth Moss Kanter, Doug Stevenson, Diana Hartley), des personages fictifs (« La petite vendeuse d’allumettes reconvertie dans le briquet et pour la privatisation d’EDF ») ainsi que Vincent Kituku storyteller réel mais introduit fictivement dans les récits. Plusieurs dispositifs ou problématiques : le jeu télévisuel, le vernissage, le temps réel, l’ego branding, le discours syndicaliste etc., habituellement présents de façon diffuse et discontinue dans la société sont ainsi convoqués dans le même temps de la représentation en essayant d’établir une sorte d’index non exhaustif à l’usage de l’artiste. Des liens poétiques, politiques, théoriques, jalonnent ce livre qui tente de poser certaines questions sur la pratique artistique analysée d’un point de vue du management et du storytelling. Comment redonner un sens à l’inscription du travail artistique dans notre société ? Quelles histoires raconter, quels liens créer aujourd’hui pour que l’artiste accède à une reconnaissance et une visibilité internationale? Quelles autres places possibles pour un artiste que celle de « l’artiste-prolétaire attendant la starification » ?