TAYSIR BATNIJI (ENTRE)VOIR
Huit années après sa dernière exposition personnelle à la galerie, l’artiste Taysir Batniji – dont les œuvres sont présentées dans de nombreux lieux et institutions de
l’art contemporain – nous propose un accrochage inattendu, réunissant une dizaine de travaux récents et inédits hantés par l’absence. Une exposition où se côtoient le désir de saisir l’impalpable et la ferme intention de relever (et révéler) les traces de ce, ou de ceux qui, par leurs corps absentés (Traces #2, 2015-2016), forgent l’Histoire.
« Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. » On ne se lasse pas, et encore moins en ces temps troubles de la
migration, de répéter les termes de l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont l’artiste a gravé les lettres une à une, manuellement, dans du savon (L’Homme ne vit pas seulement de pain #2, 2012-2013) ; hymne à la liberté de circulation dont sont également teintées les séries Grounds (2008-2019) et Pas perdus (2019).
Taysir Batniji s’accroche au temps et immortalise ce qui, dans son entourage, tend à disparaître. Le diptyque Tabula Ghaza (2005-2014), réalisé pour la première fois à l’occasion de la présente exposition, dans un clin d’œil à l’artiste conceptuel Joseph Kosuth (One and Three Chairs, 1965), en atteste. Il ne s’agit pas là d’une chaise, mais d’une table (de jeu) récupérée en 2014 au YMCA de Gaza et d’une reproduction de cette même table
photographiée neuf ans auparavant par l’artiste, peu de temps avant que le blocus imposé par l’État israélien ne le retienne hors de son pays durant plus de six années. Une œuvre évocatrice forte qui fait écho à la série photographique Disruptions (2015-2017). Trenteneuf captures d’écran, images pauvres, datées, interrompues à cause d’un réseau brouillé par l’occupation, prélevées impulsivement lors de conversations WhatsApp avec sa mère et différents membres de sa famille à Gaza. Retenir l’évanescent. Ramener à soi le lointain, le familier manquant. Défaire les frontières.
Et, Mine de rien (2011)1 , revenir au point de départ : Zéro (2014-2020), figure de tous les possibles. Tourner autour du point d’origine dans un mouvement sans fin. Ou regarder ses pieds en marchant, à la recherche de ce qui pourrait survivre à sa déambulation.
L’œuvre de Taysir Batniji est à la fois fragile et puissante, poétique. Ainsi Trame (2014) et Mirage (2009-2019), présentées ici pour la toute première fois. Ces deux
réflexions sur le motif frôlent l’abstraction, mais L’intensité de ces formes (emblématiques) nous rappelle à l’ordre d’un réel que l’on ne peut s’empêcher d’(entre)voir.
Sophie Jaulmes