Homme-nature : un partenariat à réinventer avec Hubert Reeves
Le débat traitera de l’évolution de l’imaginaire social envers la nature. Alors que durant la modernité avait prévalu la domination sans frein de la nature, une nature-objet que l’on pouvait exploiter à loisir, on voit émerger aujourd’hui l’idée d’une « terre-mère », une sorte de « matrie », où s’élabore la socialité postmoderne.
Ainsi selon Michel Maffesoli, la postmodernité ne se trouve-t-elle pas confrontée à ce que l’on pourrait appeler « des impératifs atmosphériques »? En d’autre termes, ajoute-t-il ne doit-on pas prendre en compte un nouvel esprit du temps, qui d’une manière diffuse, fait moins créance au rationalisme économique, dans le sens donné à ce terme, qu’à une sensibilité écologique? Ou encore est-ce que le soucis de l’environnement ne lie pas le patrimoine social au « matrimoine naturel »?
En premier lieu, Michel Maffesoli livre quelques réflexions philosophiques et sociologiques à une salle comble autour du thème Homme – Nature : un partenariat à réinventer. Il s’attache notamment à rappeler que la tradition occidentale, la tradition judéo-chrétienne procède de la performativité. A cet égard, d’après Gilbert Durand la tradition occidentale repose sur un régime schizophrénique : une coupure nette entre l’Homme et la Nature. Et Michel Maffesoli de rappeler la séparation originelle : « Dieu sépara la lumière des ténèbres ». L’Homme comme lumière et la Nature comme ténèbres. De fait, traditionnellement la nature doit être exploitée. Par ailleurs, d’un point de vue philosophique, Heidegger réfléchira à l’arraisonnement de la nature par la technique : soumettre la nature à raison. De même, la perspective cartésienne procède de la même conception : « l’homme : maître et possesseur de la nature ». La nature est considérée comme objet, comme une simple chose à la disposition de l’homme qui l’exploite. Une telle tradition qui repose sur le subjectivisme – un sujet pensant, agissant sur un objet inerte, la nature en l’occurrence – précise Michel Maffesoli explique les saccages écologiques contemporains.
Or, d’un point de vue sociologique, on observe aujourd’hui une inversion de polarité, non pas d’un point de vue institutionnel mais au sein des « centralités souterraines » particulièrement. Un autre imaginaire, plus en proie avec la nature, qui présente une sensibilité écologique est en train d’émerger selon le sociologue. A l’heure actuelle, les centralités souterraines prendraient au sérieux non plus le patrimoine mais le matrimoine. Prométhée, qui soumet la terre, fait place à Dionysos, divinité arbustive, enracinée et figure de l’animalité. La nature est prise au sérieux. Le régime schizophrénique devient progressivement obsolète et c’est à l’entièreté (Homme/Nature) – un nouveau partenariat – de s’affirmer dans notre postmodernité.
En deuxième lieu, Christias Panagiotis (docteur en sociologie, chercheur au CEAQ) propose d’opérer une articulation entre romantisme et perspective holiste, intégrationniste. La perspective holiste procède de l’entièreté (Homme/Nature) évoquée plus en amont par Michel Maffesoli. En s’appuyant sur des oeuvres de peintres romantiques (Caspar David Friedrich), Christias Panagiotis pointe du doigt le fait que le romantisme, en rupture avec la tradition occidentale évoquée plus haut, s’applique à réunir l’homme et la nature. Le romantisme au 19e siècle insiste sur la reliance, sur l’appartenance de l’homme à l’univers via la contemplation et la mystique.
Et bientôt, c’est au tour d’Hubert Reeves (astrophysicien, professeur à l’université de Montréal au Québec, président de la ligue Roc http://www.roc.asso.fr/) de prendre la parole. Tout d’abord, il présente à l’assemblée un levé de Terre : il s’agit d’une photographie de la Terre vue de la Lune. Immédiatement, en s’appuyant sur cette image il insiste sur le fait que la Terre n’est pas infinie (ses ressources naturelles ne sont pas infinies, ses sources d’énergie ne sont pas infinies, son atmosphère n’est pas infinie, etc.). Et d’ajouter que l’Homme est aujourd’hui confronté à une crise de la biodiversité occasionnée par une surindustrialisation et un rapport de domination à l’encontre de la nature qui a longtemps prévalue. Ce rapport de domination qu’illustre bien la citation du philosophe Locke, en accord avec la tradition judéo-chrétienne évoquée ci-dessus : « Massacrons la nature ».
Ensuite, Hubert Reeves précise que la Terre connaît à l’heure actuelle sa 6e période d’extinctions majeures des espèces. L’on connaît bien la période qui a vu l’extinction des dinosaures par un météorite tombé dans le Golfe du Mexique il y a 65 millions d’années. Aussi, un volcanisme généralisé a fait disparaître près de 95% des espèces il y a 245 millions d’années. A chaque période d’extinctions massives des espèces succède une période d’explosions massives des espèces. Aujourd’hui, cette 6e période d’extinctions est due à l’Homme. L’humanité en est la cause. Nous représentons la menace. Hubert Reeves pause alors une question fondamentale : comment sortir de cette période d’extinctions majeures ? Pour ce dernier, il existe deux solutions. D’une part, la 6e période d’extinction prendra fin avec la fin de l’Humanité. Mais ce serait voir disparaître les différents joyaux de celle-ci, la culture : Van Gogh, Beethoven, Mozart ; la science : Einstein, etc. Un grand gâchis somme toute. La seconde solution qui se veut plus optimiste et pour laquelle milite Hubert Reeves consiste en un profond changement dans l’imaginaire de l’homme vis-à-vis de la nature. Il s’agit de retrouver un rapport harmonieux entre l’Homme et la Nature, un rapport d’échange et non plus de domination. Il s’agit d’opérer un retour à une pensée mythologique où l’Homme fait parti intégrante de la Nature et où il ne l’assujettit plus.
L’Homme est face à son destin : il doit prouver que l’intelligence dont il bénéficie n’est pas un cadeau empoisonné. En outre, la croissance des mouvements écologiques témoigne du changement qui s’opère dans le rapport de l’Homme à la Nature : un nouveau partenariat se précise.
Par Alexis Mombelet, Doctorant CEAQ Université Paris 5 René Descartes – La Sorbonne