La techno raves et rêves post modernes
Les effervescences musicales – la techno particulièrement – ont pour effet de casser la monotonie de la vie quotidienne.
Elles détiennent ce pouvoir d’introduire la part de désordre dont le corps social a besoin. Cependant, les acteurs/auteurs de ces « raves » ne sont pas (ou plus) les marginaux que l’on se plaît à décrire. Les manifestations techno, que les divers pouvoirs s’emploient à brider, sont plutôt le symptôme de cette « soif d’infini » qui, de manière inconsciente, taraude la vie de nos sociétés. « Chacun, estime Michel Maffesoli, est contaminé par ce désir de transe, cet « éclatement » de soi. Les situations paroxystiques sont d’autant plus intéressantes à observer qu’elles instruisent sur ce qui se vit, en mode mineur, dans la vie courante. »
En ouvrant les discussions sur le phénomène techno – la musique, mais aussi le phénomène social qui l’accompagne – Michel Maffesoli rappelle combien ce sujet est longtemps resté sans réponses pour les analystes, les pouvoirs publics et les observateurs sociaux. Soulignant l’étonnement provoqué par l’ampleur des rassemblements festifs, par la soudaineté de son accueil par les jeunes, il rappelle combien toutes les réponses qui ont été proposées ont souvent eu en commun une fonction de dénégation. Penser la techno à travers le filtre politique, par habitude intellectuelle, et proposer maintes commissions chargées de gérer, encadrer ou maîtriser l’événement, tels semblent être les réflexes reproduisant le décalage entre l’instituant et l’institué. La techno est probablement selon M. Maffesoli un indice paradigmatique d’une culture en gestation, et qui nous renseigne sur les manières d’être et les relations sociales. C’est également le lieu de l’expression du bruit, le bruit vital, profond, et qui relie aux puissance chtoniennes et dionysiaques.
Poursuivant, F. Schott-Billman rappelle cette proximité du rêve et de la rave qui renvoie à la transe. La techno produit une pulsion très organique, et présente une réelle analogie avec les processus vitaux et enfantins. Il s’agit alors d’une danse qui ne se pense pas ; le danseur se sent bougé autant qu’il bouge. Et de ce fait, la danse techno nous renvoie à nos premières expériences archaïques, le rythme foetal, l’alternance du son du coeur et de la respiration. Juste après la naissance de l’enfant, ce rythme cardiaque constitue le premier signe relationnel, à la mère, et au monde. La danse techno retrouverait ainsi ces caractères premiers du signe du rapport à l’autre, signe à la fois acoustique et kinesthésique.
Stéphane Hamparzoumain repose la question sociologique de la techno, il montre comment cet objet permet à la sociologie de repenser sa modernité, en posant la question de ses catégories, et de sa capacité à aborder une réalité à la fois marginale et fondamentale. Proposer de penser la techno, c’est faire l’exercice de l’interrogation de la sociologie sur elle-même, en évaluant sa capacité à appréhender le phénomène, et de rester ainsi fidèle à ses fondateurs.
En proposant une mise en perspective, Anne Petiau rappelle trois grands mouvements sociaux, portés par la jeunesse, et qui ont eu des expressions à la fois musicales et sociales. Le rock, le rap et la techno ont ceci de commun, selon la sociologue, c’est d’être le lieu d’une invention culturelle, c’est-à-dire de valeurs, de relations sociales et de conventions esthétiques. Rappelant cette relation de l’instituant et de l’institué, A. Petiau note combien le phénomène techno propose cette dynamique complexe combinant, par l’effervescence, des moments de créations et d’expérimentation de relations sociales.
Ainsi, au-delà de la musique, la techno semble constituer un espace, chargé d’un imaginaire fort, et suffisamment détaché de la société afin de permettre au milieu qui s’y retrouve, de vivre une différence, parfois éphémère, ou parallèle à une identité sociale plus intégrée. C’est ce que Lionel Pourtau analyse comme un processus de différenciation/identification. Un espace pour la marginalité, produisant les conditions favorables pour une intégration active et communautaire de la personne, sans toutefois se charger de la fonction du professionnel, qualité de l’individu des sociétés modernes.