Patrick Corillon
Catherine Francblin recevra l’artiste Patrick Corillon sur le thème :
« Les images s’écrivent, les paroles restent»
Elle reviendra avec lui sur les principaux moments de sa carrière et l’interrogera sur ses sources d’inspiration, sa formation, ses liens avec l’art narratif ou conceptuel, sa relation à la littérature, sa position par rapport à la tradition belge, etc.
L’oeuvre de Patrick Corillon (né à Liège en 1959) est une porte ouverte sur l’imaginaire. Bien qu’il se qualifie de « sculpteur », le texte joue dans son travail un rôle primordial. C’est au moyen de textes, en effet, qu’il construit depuis une vingtaine d’années un univers habité de personnages fantasques, parmi lesquels émerge l’émouvante figure de l’écrivain hongrois Oskar Serti (1881-1959), dont les aventures sentimentales, les faits et gestes « décalés » ne cessent de faire sourire. À partir de ces textes, le spectateur a ainsi pu imaginer des lieux, des visages, des situations. Au fil des expositions, il a fait la connaissance, à travers des bribes de biographie, d’une pianiste, d’un peintre dissident, d’un reporter-photographe, etc.
Comme toute démarche issue de l’art conceptuel, l’oeuvre de Patrick Corillon exige un minimum d’attention de la part de l’amateur d’art, invité ici à « activer » par sa lecture toute une série d’images mentales contenues à l’état latent dans le langage. Soucieux d’impliquer le corps dans l’activité de vision, Patrick Corillon ne se contente pas de raconter des histoires. La plupart de ses oeuvres donnent lieu à une mise en scène originale qui implique physiquement le spectateur. Dans sa dernière exposition, par exemple, le visiteur doit pousser devant lui une sorte de tambour pour découvrir un texte qui lui apparaîtra à la manière d’un site touristique sur une table d’orientation.
L’oeuvre de Patrick Corillon (né à Liège en 1959) est une porte ouverte sur l’imaginaire. Il présente actuellement l’exposition « La mémoire de l’oeil » jusqu’au 22 mars 2003 à la galerie In Situ (du mardi au samedi de 11h à 19h / 10, rue Duchefdelaville 75013 Paris) et « Quel meilleur endroit ? » jusqu’au 16 mars à la Maison de Balzac (du mardi au dimanche de 10h à 18h / 47, rue Baynoird 75016 Paris).
Nous vivons actuellement dans une civilisation saturée d’images, où les paroles sont tenues pour secondaires et à cette heure de profusion d’images, Patrick Corillon développe quant à lui une oeuvre liée à la parole. Bien qu’il se qualifie de « sculpteur », le texte joue dans son travail un rôle primordial. C’est au moyen de textes, en effet, qu’il construit depuis une vingtaine d’années un univers habité de personnages fantasques, parmi lesquels émerge l’émouvante figure de l’écrivain hongrois Oskar Serti (1881-1959), dont les aventures sentimentales, les faits et gestes « décalés » ne cessent de faire sourire. À partir de ces textes, le spectateur a ainsi pu imaginer des lieux, des visages, des situations. Au fil des expositions, il a fait la connaissance, à travers des bribes de biographie, d’une pianiste, d’un peintre dissident, d’un reporter-photographe, etc.
Le travail de Patrick Corillon ne s’inscrit pas dans le champ littéraire, il est d’ailleurs incapable d’écrire un roman ou une nouvelle car il a besoin des lieux pour écrire. Comme toute démarche issue de l’art conceptuel, l’oeuvre de Patrick Corillon exige un minimum d’attention de la part de l’amateur d’art, invité ici à « activer » par sa lecture toute une série d’images mentales contenues à l’état latent dans le langage. Soucieux d’impliquer le corps dans l’activité de vision, Patrick Corillon ne se contente pas de raconter des histoires. La plupart de ses oeuvres donnent lieu à une mise en scène originale qui implique physiquement le spectateur. Dans sa dernière exposition, par exemple, le visiteur doit pousser devant lui une sorte de tambour pour découvrir un texte qui lui apparaîtra à la manière d’un site touristique sur une table d’orientation. En effet, le spectateur voit les choses à travers un objet « les trotteuses » qui l’invite à se déplacer pour découvrir l’histoire.
Patrick Corillon :
Je souhaite rebondir sur les anecdotes et leurs relations à mon travail. Les anecdotes sont pour moi des mots de révélation très forts. Je raconte une anecdote, comme celle dans le ghetto de Varsovie. C’est l’histoire d’un montreur de marionnettes, qui au fur et à mesure de la destruction du ghetto continue de montrer les marionnettes, en mie de pain, alors que les spectateurs préfèrent mourir de faim que de ne plus voir le spectacle de marionnettes. Pour moi, ces petites histoires révèlent de grandes choses fortes. Je cherche à montrer le poids de l’humanité sur nos êtres, comme ces enfants, qui, dans une de mes histoires, ont mangé les cartons qui portaient leurs noms et ne se souviennent plus de leur identité. Dans toutes mes tentatives, je cherche la révélation dans les lieux. Dans un des extraits de la Recherche du temps perdu, le narrateur rêve de baiser la main d’Albertine et quand arrive ce moment, il ne ressent rien. Il se pense incapable d’aucun sentiment, incapable d’aimer, mais quand il se retrouve dans le noir il ressent son amour pour Albertine. Il y a deux moments : l’action et la révélation. Ainsi un lieu produit des choses qui révèlent une émotion et ces deux temps s’imbriquent totalement. Je suis à la frontière de ces lieux car ce qui m’intéresse c’est révéler les moments et les lieux.
La trotteuse, par exemple, permettait au spectateur de lire 1001 mots et quand je l’ai imaginée, je ne savais plus où j’étais, dans le désert avec Aladin ou dans mon fauteuil en train de lire. J’aime la fiction car elle étend les lieux de la réalité et nous permet ainsi de mieux l’appréhender selon les circonstances. J’ai notamment créé 20 trotteuses, qui déambulaient dans un hôtel et où une fiche tombait avec le plan de l’hôtel. Dans l’une des histoires, il y a un personnage qui se rend à la chambre 101 et pour arriver à lire l’histoire, le spectateur devait faire 12m. Arrivé à cet endroit, une autre fiche avec une autre de mes histoires tombe. La déambulation dans un univers mental où chacun a une image d’hôtel dans son esprit explique pourquoi je voulais toujours voir les visiteurs. Entre un espace et un autre il y a un imaginaire individuel et un réel commun, dont je veux voir la rencontre, et la trotteuse permet une sorte d’accompagnement.
Catherine Francblin :
Cette oeuvre est tout à fait en relation avec l’exposition à la maison de Balzac qui me fait penser au land art par l’inscription au sol d’un parcours mental.
Patrick Corillon :
Ce projet part aussi sur une déambulation d’un point à un autre : le chemin prépare. Il est nourrit d’images pour être plus proche du personnage que je veux voir.
L’exposition à la maison de Balzac fait partie d’un projet plus grand : une marche autant dans un paysage intérieur, qu’extérieur. Les gens essayaient à cette époque de garder le souvenir des paysages et de leurs paysages intérieurs aux instants où ils les traversaient. Les marcheurs avaient ainsi une canne dans le haut de laquelle ils installaient une petite cage, dans laquelle ils plaçaient un scarabée. Lorsqu’ils marchaient et qu’ils ouvraient ensuite la cage, le scarabée dessinait un trait sensé transcrire les émotions du marcheur quand ils les ressentaient. Ce sont les mêmes procédés qui s’opèrent actuellement avec les puces électroniques qui enregistrent les informations de tous les mouvements de la canne du marcheur, et donnent ainsi les résultats de la promenade. Mais à la maison de Balzac, j’ai aussi écrit des textes sur des promenades avec les scarabées, ce qui me fait penser à Flaubert qui décrit si bien les choses que l’on imagine véritablement le paysage mais il ne publiait que lorsqu’il avait trouvé le paysage imaginé dans la campagne. On approche ici la frontière entre une invention et une découverte.
Catherine Francblin :
« l’esprit ne va que si mes jambes l’agitent » disait Montaigne. Pour toi, il existe un lien entre le mental et le physique qui ferait qu’on ne penserait bien qu’en marchant, ce qui rejoint l’étymologie puisque « rêver » signifiait « vagabonder ».
Patrick Corillon :
A la galerie In Situ, on tourne en rond. Il faut faire trois quart de tour pour que l’histoire apparaisse. Je place ici le spectateur dans un état de disponibilité. La promenade est réussie quand on ne pensait à rien au départ et qu’une idée vient de l’extérieur ou de l’intérieur.
Catherine Francblin :
Tu demandes beaucoup au spectateur, tu prends en charge ce qu’il voit et les sentiments car il imagine des images et parce qu’il marche.
Patrick Corillon :
Je suis complètement dépassé par rapport à ce projet, je ne sais pas si c’est une réussite ou un fiasco, si ce n’est pas inhumain de faire lire 12 histoires en marchant. Dans quelle mesure cela fonctionne t-il ? Mon travail est-il une utopie ou fonctionne t-il ?
Je demande toujours l’intervention du spectateur. Je lui demande de monter sur un podium pour Oskar Serti. C’est peut-être aussi de « l’esthétique relationnelle ». La première image, on se demande comment le spectateur va t-il se l’approprier dans un certain lieu. L’oeuvre invite à transmettre. Dans le projet du parc de la Courneuve, le travail permettait au spectateur de monter sur un cageot et dire ce qu’il voulait dire. Tous mes souvenirs d’oeuvre ne sont pas uniquement ceux que j’ai vécus intensément comme cette solitude devant les cartons.
Dans chaque projet j’ai recherché une transcription active des mots dans un moment donné. C’est comme si je laissais un parcours mental se dessiner mais qu’on puisse s’y plonger physiquement.
Catherine Francblin :
Tu as déjà écrit plus de 500 histoires, te souviens tu de toutes ?
Patrick Corillon :
Non, mais je les porte toutes. Je sais autour de quoi elles tournent, je m’intéresse plus volontiers aux émotions qu’elle transmettent ou aux sortes de points d’ironie, aux marques d’amour, je souligne les choses inaperçues, les anecdotes.
Par rapport à la notion de détail il s’agit d’une cristallisation, de ranger les émotions que l’on peut avoir quand quelque chose qui se produit engendre une image qui contient tout ce qu’il y a dans cette chose. Il y a souvent :
– Les histoires d’amour
– Les histoires d’identité
– Les histoires de morts
Les trois sont essentielles pour moi, ce sont celles qui permettent de savoir ce qui peut arriver.
Oskar Serti et Catherine de Sélys sont séparés mais se téléphonent et dérivent chacun de leur côté, en dessinant des dessins au téléphone, jusqu’à la mort d’Oskar Serti. Son biographe mettra en parallèle les deux griffonnages réalisés par Oskar et Catherine.
Ce sont ces détails infimes qui montrent les relations entre nos comportements. Ils nous permettent de voir comment on peut se représenter les notions d’amour, de mort et d’identité. Ces histoires me permettent de mettre les événements à ma mesure.
Catherine Francblin :
Pourquoi utiliser la forme du langage alors que les images sont susceptibles de transmettre les émotions ?
Patrick Corillon :
Ce qui apparaît avant tout chez moi ce sont les paroles. Je me sens plus proche des paroles que des images mentales qui interviennent lors de la lecture. Chez moi, les images viennent après, par élaboration. Les images ont un côté fluide, comme dans les mots, qui me permettent d’être plus proche des choses et je vérifie ensuite par le bouillonnement des images.
Catherine Francblin :
Effectivement les gens se précipitent sur les cartels associés aux tableaux qui jouent ainsi un rôle complémentaire. Avec ton travail on se précipite aussi vers le cartel, n’est-ce pas ?
Par exemple avec l’oeuvre de la biennale de Lyon où l’on voit Catherine de Sélys jouer du piano et on nous raconte l’histoire qu’elle joue, mais est-ce le texte qui me fait penser ou l’image, je ne sais plus si c’est une image montrée ou non.
Patrick Corillon :
Ce n’est pas l’important puisque ce qui importe c’est de la voir sur le moment, cela s’envisage en terme de présence. J’ai l’impression d’avoir besoin de la présence physique d’une oeuvre pour me conduire à la fiction, aux histoires.
Catherine Francblin :
Quel est ton rapport à la littérature ? Est-ce que tu écris un roman ou une fiction et serait-ce un souhait de ta part ?
Patrick Corillon :
Je n’ai jamais pensé à écrire en dehors de mes installations. Ce serait douloureux de présenter une oeuvre (comme lors des vernissages) mais j’ai plaisir à travailler.
Je ne me lancerais pas dans l’aventure d’un roman pour aller dans un monde et ne jamais le revoir. J’ai besoin des objets car leur présence me permet de me souvenir, de me sentir au monde contemporain, sur terre. Ma notion de travail sur les histoires est lié à l’idée de transmission. Les histoires viennent d’ailleurs, elles passent par moi et sont transmises.
Catherine Francblin :
Est-ce important que le spectateur lise lui même le texte ou le texte peut-il être diffusé d’après un enregistrement, où se situe la différence ?
Patrick Corillon :
Je n’utilise jamais d’éléments sonores car cela réduit la diffusion des histoires. Elles ont pour vocation d’être lues silencieusement, sans voix intérieures. Si on écoute un comédien jouer, il a un rapport de pouvoir, il est plus proche des images mentales que je me construis. Avant on lisait à voix haute. A l’époque de Saint Ambroise, on lisait silencieusement, ce qui permettait de penser, car quand on lit à haute voix il n’y a pas de point de recul. Lire silencieusement a permis d’avoir ce recul.
Catherine Francblin :
En général les artistes qui utilisent le langage sont issus de l’art conceptuel, qu’en est-il pour ton travail ?
Patrick Corillon :
Je succède à tous les conceptuels qui ont développé l’idée que le processus qui amène à un objet est aussi important que l’objet lui même. Mais, pour moi, c’est le choix de nos émotions qui doit nous guider et non pas l’intelligence.
Catherine Francblin :
Ton travail se situe donc en marge d’une certaine conception de l’art. Tu veux toucher le nerf émotionnel du spectateur plus que chercher à vérifier la démarche.
Patrick Corillon :
Je ne me sens pas isolé, je suis proche de gens qui travaillent avec les émotions.
Catherine Francblin :
Il est intéressant de demander au spectateur une certaine attention. Peut être est-ce à l’opposé d’une exposition qui demande aux oeuvres de se présenter sur le champ. Tu leur demandes une réponse, n’est-ce pas ?
Patrick Corillon :
Je ne maîtrise pas ce que je donne. Je réfléchis quand je fais mes oeuvres mais je ne regarde jamais. Je donne mes oeuvres et je ne sais pas comment elles vont vivre. Je suis dans le brouillard avec ce que je donne alors que je vois clair dans les oeuvres d’autres artistes.
Catherine Francblin :
Oskar Serti a été créé en 1990 et abandonné en 1996. Tu t’es occupé de lui pendant longtemps. Comme toi, il est né à Budapest et est mort en 1959, année de ta naissance à Amsterdam.
Patrick Corillon :
Il y a dans ces détails, l’idée de transmission. Tout ce qui tournait autour d’Oskar Serti venait d’une époque antérieure. La première chose transmise est mon héritage mélangé à mon expérience personnelle et toutes les choses que j’ai apprises. Je me suis créé un grand père qui aurait connu la guerre pour que l’on tourne autour d’une sphère formidable ou fermée. J’ai écris des lettres qui se passent sur le front en 1916 mais pourtant je ne porte pas cette guerre que je n’ai pas vécue. Je vois Oskar Serti comme le porteur de la société de son époque.
Une fois que j’ai abandonné Oskar Serti, j’ai parlé de choses impersonnelles et employé des « il » ou « elle ». J’ai eu l’idée d’un idéal amoureux. Je ne me suis pas retrouvé là dedans car je lisais les 1000 et une nuits avec Shéhérazade et je pensais à Tristan et Iseult quand je me suis rendu compte que je l’avais aussi écrit : je portais des émotions mais comment m’en étais-je chargé, pas forcément dans le livre, mais dans l’histoire.
Catherine Francblin :
Oskar Serti vient de Hongrie, quel rapport avec la Belgique peut-on voir ?
Patrick Corillon :
Oskar Serti est né dans un empire, l’empire Austro-hongrois. Je m’intéressais à son statut d’exilé, obligé de vivre comme un personnage loin de son pays, toujours dehors même s’il y a toujours un pont culturel bien établi. Le rapport entretenu avec les émotions de l’être et le statut d’exilé permet de se cacher.
Catherine Francblin :
Tu mets en évidence avec la mémoire d’Oskar Serti des choses passées qui sortent alors de tes propres souvenirs.
Patrick Corillon :
Oskar Serti est dans ma tête et il vient me raconter des histoires qui me permettent de rajouter à la réalité la vérité qu’il me conte, mais l’important est ce qui est véhiculé.
Catherine Francblin :
Oskar Serti est un européen, est-ce qu’il transporte ses histoires à l’étranger ou y a t-il une interprétation du spectateur à l’étranger, est-ce que par exemple pour un Américain, les histoires seraient aussi intelligibles ?
Patrick Corillon :
La notion de traduction m’intéresse. Le langage transporte un certain point de vue. Dans chaque situation, il y a toujours un désenchantement de voir comment l’histoire peut être reçue par n’importe qui. J’ai eu l’utopie de croire que les trotteuses allaient inonder le monde mais quel désenchantement de voir qu’elles ne sont qu’à Paris. Il vaut mieux accepter d’abandonner l’oeuvre que de se lancer dans une utopie. Lors d’une de mes premières expositions, j’ai remarqué quelqu’un qui passait du temps à lire tous les textes qui apparaissaient pendant sa marche et il a fait « pfou ». Depuis je ne cherche plus à vérifier l’effet sur le spectateur !
Catherine Francblin :
Est-ce péjoratif pour toi d’être reconnu pour ton imagination ?
Patrick Corillon :
Si l’imagination est un outil, il m’aide à construire des choses, à mieux regarder le monde dans lequel je vis, c’est comme la fin d’un leurre car c’est juste dans un monde imaginaire mais je n’ai pas envie de me soustraire au monde.
Catherine Francblin :
Le style de tes histoires évolue, tu conjuguais tes verbes à l’imparfait et maintenant au présent, cela domine dans ton travail.
Patrick Corillon :
J’utilise aussi le « on » dans mes textes et je le remplace par le « nous ». Ce sont les principaux changement de style de mes textes.
Catherine Francblin :
Un exemple présent, celui des trotteuses, qui précise « j’ai acheté de quoi boire un café ou un verre d’eau ». C’est une sorte de présent perpétuel dans une relation avec les autres. Mais tes textes sont nourris de plein de choses, une pointe d’humour, pas d’ironie, qui vient de cette notion de distance dans les situations et par les situations.
Dans l’histoire à l’hôtel, il existe un personnage qui mange sa chambre et le recrache en poudre, du coup il mange son journal et ne peut plus trouver d’autre logement et est donc condamné à vivre dans cet hôtel. Jusqu’où peux-tu coller à un ensemble d’objets et imaginer « manger une chambre ».
Patrick Corillon :
Cela vient d’une histoire de quelqu’un qui veut manger une armoire à glace.
Catherine Francblin :
Souvent tes histoires sont imaginées mais souvent elles ont pour origine des vies vécues.
Patrick Corillon :
Je prends dans les livres quelqu’un, quelque part.
Catherine Francblin :
Tu fais également des références à la musique, à des pianistes comme Schubert. Quand je vois comme l’on écoute un concert alors que des gens agitent des morceaux de papier, il y a un état de frustration quand je sors, pourtant la musique me revient ensuite.
C’est la force de la musique de pouvoir continuer à se diffuser. Tu n’écris donc, ni roman, ni nouvelle, mais tes propres compositions retracent tes références, des notes qui permettent de retrouver la réalité.
La parole est un processus de création qui répond à une question qui interroge.
Patrick Corillon :
Il m’est vital d’essayer de créer. Autant vivre plus ou moins de la manière la plus ouverte possible au monde et faire ainsi quelque chose qui compte.
Catherine Francblin :
L’importance du langage dans ton oeuvre est également liée à ta naissance en Belgique, comme artiste tu es lié à Magritte : reprends-tu des éléments de son travail ?
Patrick Corillon :
Magritte est très important pour moi car il parvient à répondre aux émotions uniquement avec les images. Alors que l’émotion ne naît chez moi que dans l’association d’images. Je suis né en Belgique ce qui a créé un rapport au langage différent, sans rapport de pouvoir avec le langage car il y a chez nous une double écriture et donc deux façons de dire.
En 1988, je suis ainsi intervenu dans une villa, sur son côté utilitaire, via l’électricité, les tuyaux d’eau et une histoire de botaniste et chaque goutte qui tombe d’un tuyau fait un son différent. L’intérêt était de voir comment l’art était vivant dans cette qualité de réel de la pièce. La place du spectateur y est d’ailleurs encore majeure ; il se situe entre deux mondes réalité et fiction.
Catherine Francblin :
D’où vient ton intérêt pour les livres ? Tu conçois tous tes livres comme une oeuvre, de précieux albums, comment nourrissent-ils une histoire ?
Patrick Corillon :
Il y a très peu de différence entre un livre et ce lien qui contient une histoire, le livre est exactement identique, il est un espace où s’intègre l’histoire.