Exposition personnelle de Florence Jung
Exposition personnelle de Florence Jung en dialogue avec Ima-Abasi Okon
L’exposition se déploie à travers dix scénarios mis en scène autour de la Fondation et de son quartier. À travers ces situations scriptées, Florence Jung explore la vie de ceux que nous croisons quotidiennement et les fils invisibles qui nous relient.
L’œuvre de Florence Jung se distingue par sa richesse conceptuelle, proposant une réflexion profonde sur ce qui demeure invisible dans notre monde contemporain saturé d’images et d’informations. Son approche est ancrée dans le réel, s’infiltrant dans le quotidien et incitant les spectateurs à interroger leur environnement.
Ma première rencontre avec son travail remonte à 2013, lorsque j’ai vu l’une de ses premières œuvres au Salon de Montrouge. Elle avait alors loué son espace d’exposition à une taverne afin de financer un « Prix Jung », destiné à être redistribué équitablement entre tous les artistes du Salon. Il n’y avait absolument rien à contempler sur son stand, hormis une serveuse travaillant au milieu de ses salades bio et – texte à l’entrée mis à part – rien n’indiquait non plus qu’il s’agissait d’une œuvre. Ce qui aurait pu être perçu comme une tentative de déjouer les conventions du monde de l’art servait également, avec ironie, à mettre en lumière la perversité des mécanismes de compétition qui le régissent.
Déjà à cette époque, son approche centrée non pas sur le visuel ou l’objet, mais sur le narratif, l’éphémère et l’immatériel avait suscité ma curiosité. En suivant l’évolution de son parcours artistique, la spécificité de sa démarche m’est apparue de plus en plus manifeste. La capacité de Florence Jung à créer des scénarios qui s’insinuent dans la réalité, brouillant les frontières entre l’art, la vie et le paysage social, marque la singularité de sa pratique. Ses pièces ne sont pas confinées aux limites traditionnelles de l’espace et du temps d’exposition ; elles s’étendent par-delà l’environnement immédiat, intégrant autant l’architecture que les individus.
Cette exposition marque ainsi un moment important tant pour Florence Jung que pour la Fondation, alors que nous cherchons à questionner et à repousser les limites des formats d’exposition traditionnels, tout en réfléchissant au rôle des institutions au sein de l’écosystème artistique.
Antonia Scintilla
Directrice de la Fondation Pernod Ricard
Au vu et au su de tous·tes
Florence Jung est une poète qui se double d’être artiste – son œuvre rend l’absent opérationnel et s’appuie sur la force du vide. Elle le fait via la création de scénarios, conçus comme autant de constellations d’éléments et de dispositifs qui, bien que de nature apparemment secrète, se distinguent par leur orchestration silencieuse du commun et de la routine. De la même manière, Florence Jung détourne l’attention d’elle-même – bien qu’elle ait, par le passé, laissé des étranger·es entrer chez elle pour l’une de ses œuvres éponymes numérotées. À l’exception de son nom, Florence Jung ne dévoile délibérément aucune information sur sa personne. À la place, elle met en exergue les structures sociétales dans lesquelles nous nous trouvons collectivement (et souvent passivement) intégré·es.
Depuis l’intérieur des grandes baies vitrées de la Fondation Pernod Ricard se dégage une vue singulière sur les quais de la gare Saint-Lazare, la première à avoir été construite en Île-de-France en 1837. On peut y voir en contrebas les flux de personnes venues de banlieue qui se dirigent vers leur bureau le matin, ou rentrent vers leur domicile le soir aux heures de pointe. À l’inverse, ces travailleur·ses en mouvement ne peuvent pas aussi aisément regarder en hauteur vers l’espace d’exposition. Le contenant tout de vitres de la Fondation Pernod Ricard reste largement impénétrable de l’extérieur, tout en offrant à ses visiteur·ses une vue privilégiée sur des éléments urbains proches – l’agitation de la gare, le spectacle de la rue, les toits voisins –, le domaine public, au sens littéral.
Florence Jung utilise souvent l’espace architectural de ses expositions en tant que dispositif d’observation, non pas tant de ses propres œuvres que de nous-mêmes et de notre environnement immédiat. La Fondation Pernod Ricard ne fait pas exception. Comme pour l’ensemble de son œuvre, il peut sembler difficile de savoir précisément où commencent et où finissent les insertions de Jung dans la ville, même lorsque celles-ci se situent au vu et au su de tous·tes. Ce serait pourtant une erreur de considérer cette subtile nuance comme autre chose qu’un appel à la concentration : un cadrage clair qui, pareil à la poésie, utilise le silence comme emphase et l’histoire comme guide.
Ana María Gómez López