Brésilianisation du monde ?
Effondrement de toutes les valeurs. Américanisation galopante ? Faut-il céder à la peur ?
Voilà, parmi d’autres, le genre de questions auxquelles le conformisme ambiant répond par l’affirmative.
Mais, si avec lucidité et empiriquement on sait regarder ce qui est, on doit reconnaître que la réalité et alors bien plus complexe.
Le métissage galopant, l’esthétisation de la vie sociale, le culte du corps, l’harmonie conflictuelle de valeurs opposées, voilà ce qui peut faire penser à une « bresilianisation » de nos sociétés.
La brésilianisation du monde c’est le thème de ce rendez-vous de l’imaginaire qui réunit autour de Michel Maffesoli, Giuliano da Empoli, journaliste rédacteur de la revue Zero et auteur du livre « La peste et l’orgie », Stéphane Hugon, chercheur au CeaQ et Andrei Netto, journaliste brésilien.
Une occasion celle-ci pour nous plonger dans cet univers magique et fascinant du Brésil. Un pays définit par Michel Maffesoli comme le laboratoire de la postmodernité en opposition à l’Europe qui était le laboratoire de la modernité.
Ce Brésil vu par Giuliano da Empoli comme « un miroir allégorique de notre culture », dans lequel s’instaure une forte liaison entre l’hédonisme et l’orgie comme expression de l’intensité du présent et du tragique, éléments bien présents dans ce peuple païen comme dit Maffesoli. Pour ce dernier, si la modernité avait à son temps purgé l’animal, aujourd’hui nous assistons à un retour en force de l’animalité et la citation d’une belle phrase de Gilberto Freyre, (considéré comme un des grands noms de l’histoire du Brésil), « tout brésilien aussi blanc soit-il port dans l’âme la marque de l’ombre » montre justement qu’aujourd’hui on fait avec cette animalité, on fait avec le destin.
L’avènement de la brésilianisation contamine donc notre culture et la mondialisation contribue à en divulguer l’image du Brésil. Un pays célèbre, en vouge, pop comme l’indique Andrei Netto qui, dans son analyse, fait ressortir deux grands imaginaires. D’un côté l’imaginaire des media préoccupés par les grandes thématiques comme la politique, le marché, l’efficacité de l’Etat, la construction du futur. Un Brésil qui a été toujours considéré comme le pays du futur et pas du présent, qui donc se modernise dans sa structure éco-politique, qui est bien apprécie dans les divers magazines qui montrent la beauté des femmes, l’admiration pour les talents sportifs, le carnaval, les plages, la gaîté du peuple, la jubilation de l’être ensemble. Un payse admiré par son esprit fondé sur sa pluralité, sa sensualité, son paganisme, les diverses religions et races. Un Brésil connu pour être le pays de la complexité comme l’avait définit Edgar Morin, donc un Brésil qui se laisse réenchanter. C’est cela la construction d’un imaginaire plus réel, populaire, marqué par la pluralité et la tolérance qui, selon A. Netto, fait que ce pays se postmodernise, se brésilianise.
Il y a ainsi une vision mythique vis-à-vis du Brésil qui d’une certaine manière permet aussi de mieux connaître l’Europe, la France, comme le souligne Stéphane Hugon. À travers une lecture croisée entre le livre de Juremir Machado da Silva (Le Brésil pays du présent) et de Giuliano da Empoli, S. Hugon considère qu’en regardant et en étudiant le Brésil on voit bien ce qui se passe en Europe : une vague de «brésilianité». Sa pénétration et de ses valeurs et caractéristiques nous donne envie du Brésil !
Le rapport à la nature, à la foule évidence bien les différences de la conception européenne, et leur saturation permet de mieux connaître la France à travers ce mythe du Brésil.
L’idée de la mixité, le syncrétisme que l’on peut observer au Brésil, renvoie par exemple à l’échec français en matière d’intégration. Ou encore le rapport à la foule que dans notre imaginaire est marqué par le fait qu’elle soit brutale, animale et qu’au contraire au Brésil est observé comme une fascination exercée par la fête, une production dionysiaque dans lequel la subjectivité se dilue, à l’instar de Maffesoli, dans un ensemble plus vaste.
L’enjeux de la « brésilianité » nous réconcilie, selon S.Hugon, avec ce qui nous méduse et nous fascine. On reste donc fulguré par le Brésil comme le dit Giuliano da Empoli qui, dans son livre très personnel, fait ressortir certaines trait distinctifs de cette « brésilianité » comme l’hédonisme, le culte du corps, la théâtralité. Un pôle carnevalesque auquel s’ajoute l’élément du danger épidermique, la violence, la séparation des espaces entre riches et pauvres dans le model urbain qui tend à se généraliser. La peste et l’orgie donc. Deux pôles qui se renforcent dans la vision de ce pays dans lequel tout n’est pas maîtrisable, tout n’est pas sous contrôle.
Si au cours des époques nous avons souvent mis l’accent sur l’occidentalisation du monde, l’américanisation du monde, il est temps maintenant, dans la postmodernité, de poser notre regard, notre attention sur cette « brésilianisation du monde ».
Fabio La Rocca
CeaQ – Sorbonne