Claire Dehove Laurent Malone
Catherine Francblin propose une discussion sur le thème:
«Autres utopies -l’activité artistique comme projet collectif»
Catherine Francblin sera entourée de Claire Dehove et Laurent Malone, artistes de l’ère des réseaux, à l’origine de LMX étape et Eric Mangion, directeur du Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur qui a organisé LMX étape 2 en 2001. Ils s’interrogeront sur la dimension utopique d’un projet qui oppose à l’oeuvre d’art faite par un seul un dispositif collectif censé se développer dans l’espace et dans le temps.
Claire Dehove vit à Paris et s’intéresse notamment à la scénographie. Elle a réalisé des films vidéo, créé du mobilier urbain (en collaboration avec Nadia Lauro), interpellé le public par voie d’affiches publicitaires. Laurent Malone habite Marseille, réalise des « marches » qu’il documente par la photographie. Mais ces deux artistes ont également, depuis 1999, une activité commune sous le nom de LMX étape. Défini comme un « dispositif mobile et évolutif », LMX étape associe sans hiérarchie, le temps d’une exposition (d’une étape), des événements et des individus, variables selon les lieux, dans une scénographie à chaque fois différente. Toutes sortes de personnalités -artistes, graphistes, chorégraphes, danseurs, critiques d’art, psychanalystes, musicologues, etc- ont ainsi coopéré aux récentes étapes de LMX, chacune d’elle devenant un espace de réflexivité et d’échange.
Catherine Francblin :
Claire Dehove et Laurent Malone sont deux artistes de l’ère des reseaux. Claire vit à Paris et se définit comme plasticienne et scénographe. Elle a réalisé des films, créé du mobilier urbain, réalisé des affiches publicitaires en reprenant des messages parus dans Libération.
Laurent vit à Marseille et réalise des marches qu’il documente par la photo. Il a créé une société qui s’appelle LMX . Mais Claire et Laurent ont aussi une activité commune sous le nom de LMX étape. Il s’agit d’un dispositif qui se déploie dans des espaces différents, donc évolue sous la forme d’étapes différentes. La première intervention de LMX étape a eu lieu en 1999 dans l’espace de La caisse des dépôts et consignations à Paris. LMX étape 2 a eu lieu au Frac Paca, et enfin aux Beaux-Arts du Mans.
LMX étape se définit comme un dispositif mobile et évolutif . Son activité consiste à associer, le temps d’une exposition, des évènements et des individus qui varient selon les lieux et sont à chaque fois présentés sous une forme différente : toutes sortes d’individus sont invités à participer à ce projet : artistes, chorégraphes, philosophes…Chaque étape devient un espace de dialogue et d’échange.
Claire et Laurent vous êtes d’abord des artistes qui avez travaillé seuls, puis vous avez été conduits à produire un travail en commun et un dispositif collectif. Non seulement, d’ailleurs, vous avez décidé de travailler à deux, mais très vite vous avez voulu travailler avec d’autres artistes. Pourquoi avez-vous choisi cette forme d’association ?
Laurent Malone :
Depuis les années 80, il y a toujours, dans mon travail, une rencontre avec quelqu’un d’autre. Deuxièmement, il y a le contexte de la ville de Marseille dans les années 90 où la politique culturelle a favorisé l’éclosion de ce type de projet . Il y a eu une vraie demande pour que les artistes s’organisent en cellules de production.
Claire Dehove :
Pour ma part, je travaillais dans le spectacle qui est déjà une pratique collective. Je réalisais également des oeuvres dans l’espace public, ce qui implique la collaboration avec des architectes. La décision de s’engager dans un projet comme LMX étape correspond au désir d’agir dans un système d’activité artistique et de ne pas créer des objets finis, mais plutôt des éléments en évolution et des processus. D’autre part, il y a la volonté d’être en marge du système marchand de l’art. En montant un tel projet, se crée au fur et à mesure une dynamique collective et de nouveaux liens. La plupart des artistes se retrouvent obligés d’être des entrepreneurs d’eux-mêmes. Le fait de s’associer permet de viser une plus grande autonomie et de créer des liens plus démocratiques avec les partenaires.
CF
Vous avez un projet à deux qui devient collectif. Comment vous associez-vous à d’autres personnes, comment choisissez-vous vos partenaires ? Ces gens ont-ils la même réflexion que vous au départ ? Est-ce vous qui allez les chercher ou eux qui viennent à vous ?
CD
Les rôles se définissent peu à peu. Le fait d’être deux au départ ne suppose pas d’avoir une position surplombante sur le reste : nous ne sommes là que pour donner une impulsion. L’opportunité de se déporter sur Nantes, par exemple, n’est pas venue de nous.
LM
Les choses se font au fur et à mesure : autour de nous, il y a beaucoup de monde qui nous aident à réfléchir, aussi bien en ce qui concerne la structure que le projet lui-même. Nous ne sommes pas un collectif, mais une constellation en mouvement. Il y a aussi des gens qui sont plus proches de nous avec lesquels on peut aller plus loin.
LM
Dans les années 90, à Marseille la pratique du collectif était une chose courante.
CF
Eric Mangion, tu diriges le Frac Paca, à Marseille. Est-ce que tu ressens ce désir des artistes de travailler en collectif ?
Eric Mangion
Laurent a raison de rappeler que Marseille connaît le phénomène des collectifs depuis 20 ans. Il y a quelques années, le contexte économique de la création contemporaine à Marseille était très difficile : il y avait très peu de galeries ou d’aides publiques, d’où la création d’un tissu associatif très actif. Mais la rencontre du Frac et de LMX ne s’est pas construite sur la notion de collectif . Tout est parti de la politique du Frac qui consiste à ne pas collectionner, mais plutôt à développer un travail sur l’oeuvre-projet, l’oeuvre- programme. Comment insuffler au Frac une ligne directrice sans qu’elle soit exclusive ? Je voulais prendre le temps de réfléchir : au lieu d’acquérir des oeuvres et avoir une grande collection, je voulais prendre le temps de réfléchir avec des artistes sur leur projet : comment intervenir en production ou diffusion (ce qui est la principale vocation d’un Frac) ? comment intervenir régulièrement sur des projets ? Ces projets sont souvent des oeuvres évolutives dans le temps et l’espace.
Puis il y a eu la rencontre avec LMX étape à Paris, lors de l’expo à la Caisse des dépôts. Elle était accompagnée par des médiateurs ce qui était particulièrement important. J’ai eu un coup de coeur; il me semblait que LMX étape concrétisait les questionnements mêmes du Frac puisqu’ils proposaient une réflexion faite d’une somme de petits projets, — une sorte de méta-projet, fonctionnant comme un atelier de réflexion sur l’art en train de se faire, sur le chantier, sur les méthodes de travail. Le moment difficile pour moi a été de convaincre mes collègues de travailler avec LMX et d’exposer une étape de LMX au Frac. Finalement le Frac a pu acquérir un moment de LMX, une de ces étapes.
LM
Avant de regarder les diapos, je dois préciser qu’il est difficile de montrer des images d’une exposition LMX, car il y a beaucoup de documentation et la consultation doit être une expérience individuelle, qui n’a rien de spectaculaire.
CF
Est-ce que vous rassemblez plusieurs projets sur un thème au départ ou est-ce que c’est vous qui mettez tout en scène ? Quel est le lien d’un projet à un autre ? Est-ce que les choses se répondent ?
LM
Il n’y a pas forcément de leitmotiv évident, mais plutôt plusieurs problématiques qui se croisent : sur l’architecture, le système urbain… Petit à petit les choses entrent en relation.
CF
Vous ne dites donc pas : étape 1, c’est un travail sur l’architecture, étape 2, l’urbain, etc…Vous ne rassemblez pas chaque projet autour d’un axe particulier ?
CD
C’est là que notre travail se différencie de celui d’un curator . Celui-ci décide d’un thème, puis choisit les artistes et travaux correspondants. Pour nous, ce sont les formes artistiques des uns et des autres qui s’associent et collent à même l’actualité socio-politique.
CF
Quel type d’artiste rassemblez-vous ? Comment vous choisissez les gens avec qui vous travaillez ?
CD
C’est un système d’affinités et de rencontres fortuites, mais on va aussi chercher les gens qui sont actifs dans la ville d’accueil. La qualité de la rencontre avec un autre créateur se pose à tout moment du projet et elle est cruciale; la qualité du dialogue est fondamentale.
CF
J’allais vous demander pourquoi vous n’aviez pas créé d’emblée un collectif ? Mais vous venez de me donner la réponse : vous souhaitez que chaque projet se constitue avec des gens qui sont sur place et qui répondent aux questions que vous posez à une certaine étape du projet.
Eric, est-ce que cela pose un problème particulier pour une institution de s’associer à un projet tel que LMX ?
EM
Le problème avec le travail de LMX était celui de son acquisition puisqu’il s’agit d’une oeuvre impalpable. Mais l’exposition en elle-même n’a pas posé de problème. Elle s’est organisée avec beaucoup d’intuition en amont. En revanche, à partir du vernissage, LMX nous a demandé beaucoup d’investissement. Du samedi 20 janvier jusqu’au 31 mars il y a eu une série d’évènements : c’est là que c’est devenu très intéressant pour le Frac : cette notion de programme d’activité. Le Frac a été très marqué par cette expérience. LMX nous a donné l’idée d’exposer nos archives dans un espace. Autre idée : transformer un certain nombre d’activités en programme d’activités. Auparavant, on le faisait au coup par coup.
CF
Comment a répondu le public? Cette exposition demandait de sa part beaucoup d’attention; il devait se poser des questions.
EM
Assez étrangement le public a bien répondu car il était lui-même impliqué : les associations, les psychanalystes, les architectes etc.. eux-mêmes apportaient leur propre public.
Parmi les pièces que LMX a utilisées pendant l’exposition, il y a eu le Juke Box, créé par Jérôme Joy et Ludovic Vignon : à chaque fois que nous prêtons cette oeuvre pour une exposition, Joy et Vignon demandent à d’autres artistes de prêter des oeuvres sonores qui sont gravées sur CD et mises dans le Juke Box : le Frac est simplement propriétaire de la machine et du principe de diffusion, mais pas des oeuvres sonores puisque celles-ci sont rendues aux prêteurs après l’exposition.
CF
L’étape 3 à l’école des Beaux-Arts du Mans et le Frac Pays de la Loire n’a pas donné lieu à une acquisition contrairement au Frac Paca ?
LM
Une partie des éléments constitutifs des expositions a été prêtée pour les expos du Mans et de Nantes par le Frac Paca, qui a même payé le transport.
CF
Etant donné ce qu’est un Frac, c’est-à-dire une collection d’oeuvres, n’est-il pas difficile pour un Frac d’acquérir une oeuvre en perpétuelle évolution telle que LMX ?
EM
C’est effectivement compliqué et nous ne le faisons que 3 ou 4 fois par an. Cependant le principe d’acquisition est simple. On achète des éléments génériques de l’oeuvre (les tables, les bouquins, les vidéos). Ce sont des éléments essentiels qu’on retrouvera dans toutes les expositions. Nous sommes garants à un moment donné d’un certain nombre d’éléments fondamentaux pour LMX. Je ne suis pas un passionné du statut de l’oeuvre d’art dans les collections du Frac. Il y a un phénomène d’accumulation. Nous allons bientôt déborder d’oeuvres: il y a aujourd’hui 12 000 oeuvres dans les Frac.. Moi , ce qui m’intéresse c’est la question de la diffusion; l’acquisition était un prétexte pour travailler avec LMX. Le Frac travaille uniquement avec les artistes de sa collection. Notre rôle principal est un rôle de diffusion du travail de ces artistes. C’est la différence avec les centres d’art.
CD
Chaque étape pose la question de la relation de production. Cette question de la production a été un des axes majeurs de notre travail avec Eric Mangion .
EM
Nous n’avons pas encore résolu statutairement la question de la production. Ce sont des choses qui se résolvent au fur et à mesure et à chaque étape de nouvelles questions se poseront.
CF
Vous ne produisez pas des objets mais des rencontres, du sens, du dialogue. A qui appartiennent ces « oeuvres » ? Comment rémunérez-vous les artistes ?
CD
Nous nous battons afin que les artistes soient payés sur des honoraires et non pas sur des objets produits.
LM
On n’a pas vraiment réglé la question du copyright, ni celle d’être payé….
EM
LMX pose beaucoup de questions : la production, les honoraires, le statut d’artiste. Est-ce qu’on doit créer des fiches de salaires, par exemple ? Un Frac s’évertue à acheter des objets, à les mettre en caisse, les diffuser et là on n’a plus de rapport à la création. Or LMX amène précisément à repenser le rapport à la création, à l’artiste, à la production, etc….Leurs propositions nous font évoluer sociologiquement et politiquement.