Évènement

Didier Faustino

Jeudi 19 octobre 2006 à 19h

Didier Faustino mène une double activité d’artiste et d’architecte. Sa démarche prend des formes variées : de la recherche expérimentale à l’aménagement d’espaces publics, de l’installation à la construction de maisons individuelles, comme celle de l’artiste Fabrice Hybert en Vendée.

Le milieu de l’art n’a pas oublié son installation monumentale au Couvent des Cordeliers en 2001 et celui des architectes reconnaît en lui l’un des meilleurs espoirs de la nouvelle génération.

Architecte insoumis, Didier Faustino n’envisage pas son métier sans lutte ni combat. S’élevant contre la ville lisse d’aujourd’hui, où la norme est reine, il prône une architecture de la transgression qui s’inscrit dans les interstices ou les lieux laissés vacants : une architecture qu’il qualifie de « vicieuse » parce qu’elle est destinée à rendre sa liberté à l’individu.

 

Catherine Francblin (CF) : L’entretien d’aujourd’hui est consacré à Didier Faustino qui a une double activité d’artiste et d’architecte. Sa démarche prend des formes variées : de la recherche expérimentale à l’aménagement d’espaces publics, de l’installation à la construction de maisons individuelles, comme celle de l’artiste Fabrice Hyber  en Vendée. Le milieu de l’art n’a pas oublié l’installation monumentale, intitulée Révolution ! au Couvent des Cordeliers en 2001, tandis que celui des architectes salue l’inventivité et l’audace de ses propositions.
Didier, vous avez fondé en 2001 le bureau des « Mésarchitectures ». Vous avez participé à la biennale d’art de Venise et remporté plusieurs prix d’architecture. Vous revenez de la biennale d’art contemporain de São Paulo, où vous avez exposé une œuvre commandée par l’État. Vous avez de nombreux projets, notamment un espace pour la collection Gensollen, à Marseille et une œuvre qui sera installée sur le parcours du tramway à la porte d’Ivry. Avant de vous laisser le soin de nous présenter, en images, votre travail, Voici un texte envoyé par Francis Rambert, directeur de l’institut français d’architecture, qui malheureusement n’a pu se joindre à nous comme prévu.
Un pied dans l’art, l’autre dans l’architecture, Faustino est un équilibriste qui travaille sans filet, toujours à la limite, toujours en risques. A l’instar des skieurs ou surfeurs de l’extrême, il va chercher plus loin l’espace de l’expression, la mise en danger du corps est son thème favori. En donnant à son agence le nom de « Bureau des Mésarchitectures », il annonce la couleur, une couleur singulière. Cette attitude hybride et transversale place l’auteur, car nous sommes dans le cas type d’une architecture d’auteur, dans une position particulière. Or Faustino sait bien qu’il ne jouit pas de la même liberté selon qu’il opère dans l’art ou dans l’architecture. D’un côté la liberté absolue, de l’autre, la contrainte totale. L’architecte, lui, doit rendre des comptes, mais Faustino sait parfaitement, jouer de l’entre-deux qui sépare ces deux univers. L’interstice est son territoire. Invité dans les biennales d’art, comme dans les biennales d’architecture, à Venise comme à Pékin ou São Paulo, il prend toujours position, s’engage et nous engage à le suivre, dans ses explorations tant spatiales que sociales. En réponse à l’appel de Maximiliano Fuxas « moins d’esthétique que d’éthique » lancé lors de la biennale d’architecture de Venise en 2000, Faustino livre Body in transit qui est une réponse à l’urgence et à la précarité. Autre exemple : la maison d’un m², présentée à la Biennale d’art de Venise en 2003, qui est une installation comme une tour, concept de building des plus contraints. À une plus grande échelle, Faustino surprend tout le monde, avec le théâtre flottant de l’exposition suisse 02, une architecture combinant mobilité et flexibilité. Le bâtiment, au sens maritime du terme, se prête ainsi à toutes les utilisations et dans ce jeu il n’est pas rare que le spectateur devienne acteur. Dans le cadre d’une commande des plus personnelles, la maison de Fabrice Hyber, l’architecte va s’ingénier à pousser l’artiste dans ses retranchements. Autre limite repoussée, à Pékin, où l’architecte, invité à penser un appartement dans une tour de promotion immobilière des plus banales, conçoit un lieu monacal et ouvert à toutes les interprétations avec ce grand espace central fait de lanières. Du design souple s’il en est. Pour un espace public au Portugal, Faustino imagine Stairway to heaven, projet relevant de l’oxymore, seul dans le collectif, en fait une cage de basket, pour joueur solitaire. Et puis, il y a tous ces projets de concours, opportunités pour Faustino de se distinguer dans l’approche car la forme, soyons clair, n’est que le résultat d’une démarche. Une médiathèque de proximité prête à l’installation quelque part en France, un équipement culturel à Saint-Étienne, un hôtel porcelaine à Lyon Confluences, dans tous les cas, l’articulation des volumes, comme le choix des matières, nous prouve que Faustino est dans la recherche de sensations nouvelles. On attend maintenant sa réalisation d’une cabine d’écluse sur un canal de Bourgogne, objet singulier qui sait bien gardé de faire table rase d’une cabine existante. Faustino s’est appuyé dessus pour dresser la tête d’une architecture contemporaine. D’aucun dirait futuriste. Auteur, architecte, il n’en est pas moins artisan, il sait construire de ses mains. Conceptuel et manuel, c’est ça Faustino, il serait vain alors d’essayer de lui coller une quelconque étiquette, tant son front bouillonnant s’empresserait de la faire tomber.

Didier Faustino (DF) : Je remercie Francis Rambert. J’ai volontairement mélangé les projets sans suivre un ordre chronologique. Le fil conducteur est la remise en cause systématique de la demande ou d’une situation donnée. Les projets sont liés les uns aux autres.
Le film réalisé en 1999, projeté en introduction, est un scan 3D d’une personne allongée, repliée sur elle-même, réalisé dans le cadre d’un travail préparatoire à la biennale de Venise qui abordait la question des transports d’immigrés clandestins.
J’ai monté mon premier studio avec Ludovic Germain, ingénieur son et designer sonore. On nom : Laboratoire d’Architecture Performance et de Sabotage, LAPS. Il n’a duré que six mois. En tant que jeune architecte, n’ayant pas de client, nous travaillions plus sur une question performative, car le meilleur moyen d’appréhender l’espace est d’interroger le corps. L’actuel bureau des « Mésarchitectures » est né de quiproquos et de rencontres. Ce bureau a été monté avec Pascal Mazoyer en 2001, suite à un concours. Nous nous sommes retrouvés autour de quelques images : les jolies jambes de Rosanna Arquette dans Crash, le film de Kronenberg tiré du livre de James Graham Ballard, avec cette ambiguïté du casque de gardien de but de hockey sur glace qui est un objet de protection qui en même temps simule l’agression de plantes carnivores.
Mésarchitectures est ma réponse à la question des titres donnés à mes projets. J’avais répondu : «  tous mes projets s’appellent mes architectures ». Cette contraction qui fait entendre « mauvaises architectures » ou « mésaventures architecturales » est un hommage à Gordon Matta Clark. Il est pour moi le plus grand architecte du XX ième siècle qui a créé un schisme total dans la production architecturale. Il nous a mené à une relecture de l’architecture contemporaine, qui ne serait plus une architecture comme élément unique et total, mais quelque chose qui peut être détruit et mis à mal.
Ce bureau repose sur le postulat qu’il faut prendre les situations à l’endroit et à l’envers et éprouver le même plaisir quand un sujet nous est proposé ou qu’une rencontre se produit. Même si rien ne se crée, ne s’invente, nous pensons que les choses peuvent être vues d’une façon neuve, qu’il existe un moyen de les transformer. Nous avons revendiqué cette idée de fragilité. Notre travail tourne autour de l’idée que nous ne sommes pas là pour très longtemps et que tout se joue en très peu de temps. Il repose sur un principe de non assurance, que nous essayons de mettre en place au travers de projets, de pièces, d’installations ou d’expériences. Nous cherchons à expérimenter la fragilité et à faire prendre conscience de la réalité qui nous environne.
Dans un article sur Miss china artificial paru dans le Financial Times sur la re-conscientisation, la reconnexion corps et esprits, j’ai compris que nous sommes dans une société « post-dichotomie corps esprit », dans laquelle on accepte que le corps soit transformé et manipulé et que seul l’esprit compte.
L’architecture, l’espace, les relations entre individus sont comme ce tatouage « users & abusers » qu’une jeune personne avait accepté que je lui tatoue sur le bras. Je pense qu’il faut user et abuser, même dans le sens le plus négatif du terme, ne pas avoir peur de se confronter à l’espace qu’il soit social, politique, corporel, mental pour le manipuler et générer d’autres situations, d’autres possibles.
Je vous présente tout d’abord deux projets réalisés. On nous reproche souvent de ne pas avoir construit, on considère qu’un architecte se doit de construire, alors que le postulat de l’architecture est qu’elle est cosa mentale avant tout.
Home Palace est un appartement que nous avons réalisé pour une société de promotion immobilière de luxe. Nous l’avons construit sur un malentendu à partir d’un  texte d’Hervé Guibert intitulé Règlement dans lequel il parle d’espaces proprement luxueux en raison de la perte de temps qu’ils occasionneraient. Nous sommes partis de la surface de l’appartement de 140 m², que nous avons divisée en deux. Nous avons donc introduit un espace de 70 m² au centre, une sorte de trou noir qui occasionnerait des pertes de temps très luxueuses. Comme notre client chinois ne nous comprenait pas, nous l’avons nommé Home-Palace car aujourd’hui tout devient home et parce que l’endroit le plus luxueux est le palace. Nous proposons donc tous les services d’un hôtel chez soi. Nous avons réussi à construire ce projet grâce à ce titre.
Nous avons séduit notre client par l’association de ces deux idéogrammes, le chez soi et le Palace. Notre contrainte était de réaliser le projet le moins cher de tous ceux proposés par les architectes invités, car nous étions les plus jeunes et les moins connus. La périphérie de cet espace est un jeu avec le mobilier le plus ordinaire, le plus neutre possible. Nous l’avons fait copier par des menuisiers chinois, comme une espèce de domesticité basique. Dans l’une des chambres remplies de ces tabourets démultipliés, nous retrouvons le trou noir doré dans lequel on entre. On est dans un lieu surexposé où rien n’est possible. Cet espace invalide l’usage d’un canapé. On ne peut pas poser une chaise sinon elle s’enfonce dans le caillebotis. C’est aussi un jeu de miroirs à la Dan Graham, car nous souhaitons rendre hommage à ceux que nous admirons. Le seul mobilier accepté était des coussins en soie brodés de fil d’or et des sangles pour s’accrocher dans l’espace.

Stairway to Heaven est une proposition pour l’espace public : un espace individuel à usage collectif. Il se situe sur une place d’armes, en articulation avec le Parc dans un quartier populaire de la ville de Castelo Branco au Portugal. Avec cette réponse, nous avons remporté le Prix d’art contemporain au Portugal. Nous avons proposé de ne surtout pas toucher à l’espace public mais de rendre hommage à la cité qui se trouve sur la droite. Nous effectuons un rééquilibrage entre le centre historique et la partie sociale avec des constructions des années 1980. Cet objet, sorte d’extract ambigu, crée un lien et associe le collectif et le privé. L’escalier constitue également un espace d’ambiguïté car on n’y est ni chez soi ni dans l’espace public. L’escalier est le lieu de tous les conflits dans les logements sociaux. Nous l’avons mis sur la place publique pour en faire un lieu de revendication. Nous avons poussé notre proposition en ajoutant un panneau de basket. Le projet est construit mais pas encore inauguré, il le sera au printemps. Sa fonction permet d’aller jouer au basket, seul, face à la ville, et de devenir un instant la personne la plus importante du terrain.

Voici « une maison verte qui courrait dans l’herbe ». Le vert est une couleur qu’affectionne l’artiste français Fabrice Hyber. Celui-ci m’a proposé de lui dessiner sa maison dans le cadre d’une carte blanche. Nous avons mis en place un protocole lié à ce qu’est l’architecture et ce qu’est un projet en architecture, c’est-à-dire un équilibre précaire entre l’architecte et le client. Nous produisons quelque chose d’unique comme l’est le client. Voici le projet que nous avons dessiné après quelques rendez-vous. Fabrice a été étonné par le type de plan que nous lui avons présenté. Nous avons mis en place un leurre face au personnage public et à sa représentation. Le client fonctionne sur un mode mimétique par rapport au contexte dans lequel il se situe. J’avais affaire à l’artiste Fabrice Hyber, au personnage public et non pas à Fabrice Hyber. La seule possibilité qui nous est apparue a été de produire l’illustration la plus simple possible de ce qu’il demandait. Nous avons réalisé un plan de maison standard, avec des antichambres, une grande cuisine, un beau salon, un salon pour la musique, des chambres d’amis avec chacune sa salle de bain. Fabrice s’est aperçu que sa maison devait être un lieu réservé à son intimité, à ses proches qui sont les seuls à pouvoir partager cette intimité. Plus question de l’artiste Fabrice Hyber. Parlons maintenant de l’homme qui veut une maison dans laquelle il se sentira à l’aise avec ses invités et ses  proches. Nous avons donc repris ce dessin et décidé de tout repenser en fonction du fait que, l’artiste Fabrice Hyber n’étant plus, la maison devait être la maison d’un autre, peut-être du petit Fabrice – puisque cette maison est implantée en Vendée, sur un terrain familial, à côté de la ferme de ses parents, et qu’elle sera un lieu intime à usage collectif.
On y implante ensuite les éléments du programme qu’il nous avait demandés, la piscine, et nous modélisons cet espace de vie. Les chambres deviennent une espèce d’enchaînement de lits, de salles de bains, nous réorganisons les stockages. Nous étendons le plan et le posons sur une trame en équilibre au niveau du démarrage de la vallée et nous obtenons un territoire intérieur, le « landscape » qui est celui de l’abandon corporel : la piscine, les jeux d’eau ; l’entre-deux qui est le « no man’s land », et la « ville », le lieu où le corps est entretenu et réalimenté, régénéré comme une voiture qui entre dans un « car wash ». C’est une espèce de bunker, un lieu qui protège l’intimité. Ce bunker s’ouvre : les limites de la maison ne seront pas définies par la membrane qu’est le mur ou la fenêtre, mais par un système de glissières. Cet espace intime à usage collectif deviendra, dans un sens, le lieu de la réclusion et, dans un autre, le lieu de l’extension du domaine public, du paysage environnant. L’écorce du bâtiment pourra s’ouvrir et ce dernier devenir poreux. Les zones techniques sont les modules les plus rigoureux et réguliers, posés sur une trame. Le projet rejoint un diktat : celui de l’invention de nouveaux usages. Nous prenons le client au mot en lui disant que sa maison nécessitera l’invention de nouveaux usages.
Après avoir travaillé avec un artiste comme client, nous avons travaillé pour un directeur de musée au Japon. Il nous a commandé une maison dans un site sublime, la dernière île de l’archipel japonais, une île tropicale au niveau de Taïwan avec une végétation luxuriante. Il a acheté un terrain (deux lots ceinturés de petites routes) au milieu d’une urbanisation qui date de 1946-47, au moment de l’occupation américaine. Il nous demande de réfléchir à sa résidence d’été pour recevoir ses amis artistes, commissaires et autres directeurs. Il nous demande de réaliser une maison dans laquelle deux couples pourraient cohabiter tout en restant indépendants et en gardant une intimité. Il nous demande de réfléchir sur quelque chose qui soit un entre-deux public/privé et d’essayer de produire une maison qui puisse être occupée par des gens qui viennent et partent, qui ont un espace de vie commun mais qui peuvent être totalement indépendants et coupés les uns des autres.
Nous lui avons proposé cette maison qui est une sorte de trombone, constituée d’un mur continu, scindé par les espaces privés et l’espace collectif. Le client a rejeté le projet parce qu’une demande est le fait d’une appartenance à un groupe et de la volonté d’être le plus proche de ce groupe. Il a rejeté la maison non pas parce que la maison ne lui plaisait pas mais parce qu’il avait peur du qu’en dira t-on. Comme la maison se situait au milieu d’une communauté d’artistes, de gens pointus, il ne voulait pas qu’elle dénote. Déstabilisé par sa réponse, nous lui avons proposé une urbanisation permettant à ses amis de vivre avec lui. Ce n’est plus une maison mais quatre maisons dans ce que l’on appelle les « gated communities ». Nous lui avons recommandé de vendre son terrain et d’acheter un énorme terrain avec des amis afin de n’avoir aucun problème avec sa maison. Le projet est un système de tiroirs avec des limites privé-public. Le mur commence avec deux chambres indépendantes avec leurs salles de bain, qui donnent sur un micro-patio généré par la courbe du mur. De l’autre côté vous avez la salle de bain commune et au milieu la salle commune. La cuisine est conçue avec des vues transversales sur les autres espaces.

Je vous présente maintenant le Central nervous system pour les collectionneurs Marc et Josée Gensollen qui m’ont demandé de réfléchir à leur patio de 25m². La proposition était de travailler sur leur particularité : ils sont un couple à la ville et au travail et sont collectionneurs. J’ai cherché à identifier un manque dans leur domicile. Je leur ai proposé de travailler sur une mutation des deux chaises Eames qui représente leur position sociale de psychiatres. J’ai cherché à muter le siège en une chambre qui serait comme une métastase, un objet perturbant dans le lieu. Nous avons cherché à créer la pièce qui n’existe pas dans la maison ou dans leur collection. L’idée était de faire de ce lieu un lieu de conversation impossible. Nous avons réalisé une pièce qui n’existe pas à l’extérieur et avons recréé une intériorité. Nous avons opéré une mutation de cette icône du design en habitation. J’aime beaucoup le principe de la mécanique des fluides et du coefficient de rugosité et cette pièce est un élément de résistance au lieu, un contre-temps. A l’intérieur, vous êtes coupé du monde, dans la pénombre. Les bruits sont atténués. La question que pose cette pièce est : deux personnes qui vivent et travaillent ensemble s’entendent-elles encore ? Nous n’avons laissé à ce lieu que la possibilité de l’abandon du corps et de l’écoute de l’autre.

Notre réponse à la question des transits de populations, pour la biennale de Venise de 2000 repose sur l’hypocrisie politique contemporaine qui conduit à ne pas traiter ce problème. Nous nous sommes demandés comment tirer un signal d’alarme, pousser un cri de colère et, avec nos faibles moyens, nous avons assumé de produire l’inacceptable. C’est pourquoi nous avons produit cette valise qui sert à transporter les clandestins dans les avions. C’est un projet indéfendable et inacceptable en tant que modèle. Mais je tenais à le faire, même s’il s’agit d’un contre-exemple. La valise était juste posée sur le sol dans le pavillon italien. Les gens se cognaient à l’objet sur lequel figurait seulement la mention « valeur de la marchandise : une vie. Corps en transit à manipuler avec délicatesse ».

Nous croyons qu’aujourd’hui nous pouvons penser l’urbanisme différemment, c’est pourquoi, nous avons défendu le projet d’une maison modèle d’un m² pour immigrés venus du Nouveau Mexique en Arizona. Nous réalisons d’ailleurs cette maison à la porte d’Ivry, à Paris, dans le XIIIème, Ce projet est une ré-évocation, une réactivation d’hypothèses sur l’industrialisation de l’architecture, son compactage, sujets sur lesquels beaucoup ont travaillé il y a une trentaine d’années. Notre bureau n’a pas peur de retravailler des modèles et de les actualiser pour leur conférer un autre sens, une vision plus claire du monde dans lequel on vit. Le projet vertical de la maison d’un m² est une critique de l’individualisme forcené de notre société et de son refus du collectif.

CF : D’un côté, vous posez des questions à la société, au pouvoir, au collectif et de l’autre vous réalisez des maisons individuelles. Peut-on remettre en cause une situation de la même manière dans le cadre du projet d’une maison privée et dans l’espace public ?

DF : En architecture nous manipulons un alphabet, composé pour une maison par exemple du lit, de la salle de bain et devons résoudre des problémes de résistance du sol, de non dangerosité des matériaux, etc. C’est en ré-agençant cet alphabet que nous créons de nouvelles situations qui interrogent. Nous faisons des hypothèses, générons des possibles et produisons du nouveau, de l’improbable. Ce qui m’intéresse dans la réalisation de ce prototype d’architecture verticale, c’est son ambiguïté, ses aspects positifs et négatifs. Par la critique de l’individualisme, en réalisant une maison où son occupant ne pourrait recevoir personne, nous invitons à réinvestir l’espace public auquel nous n’avons plus droit. Comme aujourd’hui, dans la production contemporaine, tout est possible, le rôle de l’artiste et de l’architecte est d’éveiller la conscience.

Je présente maintenant un projet réalisé dans l’espace public, pour l’atrium du musée d’art contemporain de Serralves à Porto. C’est une  boutade à l’attention d’Álvaro Siza, l’architecte du lieu, qui n’a pas été très sympathique pour les artistes. Lui-même avoue  que sa connaissance de l’art contemporain s’est arrêtée aux années 1950. J’ai réalisé le Asswall, un mur Potemkine de cimaises grâce auxquelles les visiteurs peuvent s’évader et se retrouver face au nom « museum » inscrit à l’entrée des collections.

La pièce Sympathy for the devil dont nous avons réalisé le prototype à l’occasion de la biennale de São Paulo, matérialise l’idée d’un salon portatif ou d’une salle de réunion portable qui se range dans deux sacs de vingt kilos, contenant dix pièces en fil de carbone qui se démontent et se réinstallent n’importe où, en une demi-heure.

Pour l’Arc-Musée d’art moderne de la Ville de Paris, en 2001, nous avons proposé Users and abusers, un sol des plus fragiles et sensuels, conçu en polyuréthane de trois millimètres avec cinq centimètres d’eau à l’intérieur. Nous travaillons sur les éléments les plus simples : le sol, les murs…

CF : L’utilisation de matériaux originaux vous permet aussi de produire de nouvelles sensations.

DF : En effet, pour l’installation au Couvent des Cordeliers, nous avons travaillé avec du capton, un matériau utilisé pour recouvrir les satellites et qui a une haute résistance thermique. Il ressemble, en apparence, au matériau employé pour faire les couvertures de survie. Pour ce projet, nous avons imaginé un plafond qui devient mur, avec un mouvement d’air, une double révolution, d’où son titre.

Le CCA au Japon nous a demandé de réfléchir au laboratoire comme bâtiment, pour expérimenter la relation triangulaire qui qualifie les relations dans l’Art contemporain: artistes, commissaires et producteurs. Nous avons alors conçu un bâtiment où les gens ne peuvent sortir par où ils veulent et où ils sont obligés de croiser les occupants des autres bureaux. Il n’y a ni rupture, ni hiérarchisation entre les bureaux et toutes les façades du bâtiment sont identiques. C’est un bâtiment double : été / hiver, qui se décapote, comme une lampe Noguchi, car la problématique actuelle des musées est de faire des objets singuliers. Le bâtiment proposé y répond car il constitue un signal, un lampion.

Je vous montre maintenant ce Bunker de porcelaine, le projet non réalisé d’une maison que nous avons dessinée il y a quelques mois pour un couple d’amoureux. Ils nous avaient demandé de dessiner la maison de leur rencontre amoureuse pour sceller leur histoire d’amour et célébrer leurs unions épisodiques en dehors des conventions. La rigueur du travail de Palazzo sur la trame, le carré, nous a inspiré dans ce projet, mais a produit une mutation vers quelque chose de très instable. Nous avons conçu une structure en métal qui tient une membrane, dans laquelle les corps s’unissent et se désunissent, structure juste protégée par une peau de porcelaine. Quand leurs ébats deviendront trop chaotiques, peut-être que la maison se cassera.

Enfin, je termine en vous présentant notre proposition pour le Prix de la jeune architecture qui demandait à réfléchir sur une médiathèque de proximité. Avec Pascal Mazoyer, nous nous sommes demandés comment on pouvait parler de proximité dans un contexte où l’emploi de ce qualificatif est associé à une forme de contrôle. Nous avons évacué ce terme de proximité et avons posé la question de la fonction d’une médiathèque aujourd’hui. Est-ce la continuité des maisons du peuple, des MJC ? Qu’existe t-il aujourd’hui dans ces banlieues, ces franges de villes où tout le monde est laissé pour compte. Nous avons plutôt réfléchi à une autre forme de prêt que celle proposée par une médiathèque. Auparavant, l’État offrait un libre accès à la culture. Aujourd’hui, vous y accédez directement sur Internet ou à la FNAC. Mais comme la question du coût de l’usage public de la culture se pose, celle-ci n’est plus à usage public mais privé.  Or l’intérêt de la culture réside dans son partage. Je trouve donc idiot le prêt des biens de consommation culturels alors que l’enjeu est plutôt de trouver des lieux pour les partager. Nous avons intitulé ce projet La Casa Nostra. Il se composait de vieux containers, récupérés dans les ports, puis dorés à l’or fin, équipés à l’intérieur comme des salons à l’opéra avec du beau velours rouge, des chaises dorées à l’or fin et tout le matériel nécessaire à une projection pour une quinzaine de personnes. Nous avons proposé à l’État français cette machine, sorte de virus à poser dans toutes les entrées de zones périurbaines, là où se trouvent les supermarchés. Ce serait juste, comme l’escalier à l’opéra, un immense lieu de rencontre où les containers seraient « plugués » et formeraient la maison du libre partage des biens culturels. Évidemment, nous n’avons pas gagné ce concours. Le jury n’a pas compris que c’est en étant généreux qu’on résout les problèmes, notamment celui des dégradations des lieux publics, ce qui d’ailleurs menaçait selon eux notre projet. La Casa Nostra est vraiment l’un des projets que j’aimerais réaliser.

CF : J’invite maintenant Ami Barak à venir nous parler de La maison d’un m² qui sera installée à la porte d’Ivry sur le parcours du tramway parisien. Pourquoi Didier Faustino a t-il été choisi pour participer à ce parcours ?

Ami Barak  (AB) : Tout d’abord, le titre du projet a été maquillé et la Maison d’un m² est devenue une œuvre intitulée 1 SQMH (pour One SQuare Meter House) car les élus étaient assez effrayés par la fonction symbolique de cette pièce qui implique une superficie à minima. Le choix s’est imposé naturellement car l’idée était de présenter un résumé de l’histoire de l’architecture et le projet de Didier Faustino s’inscrit bien dans le parcours à côté de la cité Universitaire de Le Corbusier.

CF : Mais cette installation garde l’idée de building puisque vous conservez une grande hauteur de bâtiment.

DF : La hauteur est de 17 mètres, ce qui correspond à la moitié des 34mètres de l’architecture haussmannienne traditionnelle.

CF : Quels sont les matériaux de cette construction ?

DF : La structure est en acier et la peau qui la recouvre est du nid d’abeille translucide avec de la résine fibre de verre.

CF : Pour revenir à la question de la trame, vous utilisez du grillage dans de nombreuses œuvres alors que c’est un matériau rarement utilisé en architecture, est-ce une référence au travail des artistes post-minimalistes comme Bruce Nauman ou Robert Morris dans les années 70 ?

DF : Ce qui m’intéresse dans l’utilisation de ce matériau, comme dans le travail de Superstudio, c’est  la neutralité de l’espace à l’infini. Mais souvent, ce n’est pas l’usage d’un matériau qui fait le projet. C’est bien plutôt le projet lui-même qui appelle l’utilisation d’un matériau particulier.

 

pb301672-faustino-colrec-800.jpg
pb301672-faustino-colrec-800.jpg
Intervenants

Didier Faustino

Date
Horaire
19h00
Adresse
Fondation Pernod Ricard
1 cours Paul Ricard
75008 Paris
Entrée libre