Évènement

Eloge de la banalité

Mercredi 21 mars 2001 à 19h

Les thèmes récurrents de son oeuvre: le «miroir», la «pierre milliaire», qui borne l’espace et les «objets en moins», manifestent tout l’intérêt artistique du présent.

La banalité, dans le mouvement de balancier entre l’archétype (fil conducteur des «Rendez-vous» pour l’année 2001) et le stéréotype, prend ici toute sa valeur: celle de l’anamnèse qui, dans l’oeuvre créatrice comme dans la vie quotidienne, permet de restituer un concentré du passé, de lutter contre la fuite du temps, de valoriser l’événement comme un avènement.

En présence de Michelangelo Pistoletto, Artiste-Peintre, Paul Ardenne, Maître de conférences à l’Université de Picardie, Commissaire d’exposition et Michel Maffesoli, Professeur de sociologie à Paris V / Sorbonne et Directeur du CEAQ (Centre d’Etude de l’Actuel et du Quotidien).

L’homme ordinaire autour des miroirs, celui qui a fait son propre auto-portrait « banalisé », ainsi pourrait se définir Michelangelo Pistoletto.

Faire l’Eloge de la banalité, c’est faire l’éloge du non avènement ; l’apologie de la vie quotidienne, au sens où la vraie vie se situe au coeur même du quotidien. Illustration de la banalité qu’illustre l’Art, à la fin du 20° siècle à travers des collections d’images banales, de gestes inutiles… l’Art du presque rien des années 1990… retour à la réalité, dans ce qu’il y a de plus élémentaire ; d’où la stratégie de réévaluation, que l’on va essayer de transfigurer.
Au-delà d’une situation à considérer, c’est plus l’expression de la sensation qui se vérifie et qui serait plus du domaine de l’extraordinaire, en quelque sorte débanalisé. Autrement dit, les instants se suivent mais ne font pas événement. Pour qu’un événement fasse avènement, il faut que quelque chose advienne, sorte de la banalité, pour reprendre une expression de Michel Maffesoli.

De fait, tant que l’extraordinaire n’a pas surgi, il n’existe pas d’avènement, ce qui n’est pas sans renvoyer au doute dans la valeur dionysiaque, où les corps se débrident de toutes parts, avec un désir incontrôlé. Cela n’est pas sans rappeler l’étymologie du mot banal, le jour où le seigneur rétrocédait le four aux manants. C’est donc un jour particulier où les festivités sont permises, une capture de l’instant présent en opposition au temps historique, en congruence avec l’esprit du temps. L’intérêt d’à présent, que l’on retrouve chez Walter Benjamin au sens intere se : être dans, participer à la création du monde dans toute sa touffeur et sa legèreté : fondement même de la banalité. Ainsi le miroir capturant l’instant renverrait à une forme de désituationisme ; au « Présent qui est déjà fait, qui était là et qui était toujours présent » comme l’énonce Pistoletto.

Dans cette présence toujours immuable, Michel Maffesoli distingue quatre thématiques dans l’oeuvre de M.Pistoletto : l’effet-miroir, la pierre meulière, le mètre cube et les objets en manque.
L’effet miroir est bien ce lieu du présent et de l’image : anamnèse qui se montre, qui se vit dans son entier. L’instant va attraper, saisir, il va servir de piège en quelque sorte. Il est le signe du temps qui se concentre en espace, en durée intérieure comme le signifie Bergson.

Le monde est une source de connaissance concrète où la banalité aurait sa place en tant que vraie connaissance, dans le sens de naître avec : cum nacere. Autrement dit, l’effet miroir chez Pistoletto va inventer le monde, c’est-à-dire invenire :faire venir au jour. On retrouve ici ce propos cité aussi bien par Nietzsche, Simmel ou Weber : « la profondeur se cache bien à la surface des choses » pour reprendre les propos de
Si l’histoire est anamnèse, elle est aussi une concentration et une cristallisation de l’histoire, quelque chose fait date, qui n’est pas sans rappeler le temps einsteinisé. La figure logique de la détermination, de la contrainte et de la provenance, qui s’apparente à la pierre meulière qui n’est autre que la borne (kilométrique, élément de mesure), qui marque une limite et l’appréciation du monde, en tant « qu’échantillon de la totalité », comme aime à le formuler M. Pistoletto.
Dans les différentes thématiques de M. Pistoletto, le mètre cube rappelle l’association, l’expression contemporaine alchimiste de la quaternité ou la quadrature du cercle. A l’instar de Gilles Deleuze, l’anamnèse que l’on retrouve dans la figure du pli, fait écho aux idées symboliques, qui sont aussi bien des voies et des voix qui se répondent les unes les autres, comme le suggérait M.Weber. Ces choses qui ne s’expliquent pas mais se répondent sous forme de pli.

Cette figure intérieure qui se révèle parcimonieusement est le fondement archétypal de toute chose où s’inscrit une idée de manque. Cette forme quelque peu inachevée ou en attente de complémentarité n’est pas sans faire écho au régime nocturne, préconisée par Gilbert Durand, dont le symbole est la coupe, la matrice ou le creux, c’est-à-dire le monde où on est jeté et où quelque chose est en congruence avec l’esprit du temps, avec une idée d’intensité de l’existence. Ce qui nécessite une intégration d’un moins être vers un plus être, une transformation à partir de ce qui existe déjà et qui ne vient pas de l’extérieur ou de la déité.
Or, la perspective de la renaissance qui regardait devant, comme le seul chemin de possibilité, celui du progrès est arrivé à un mur du fond. Comment montrer que l’Art avait une possibilité vers une nouvelle perspective, comme dans le passé ?
C’est à travers l’autoportrait que je suis arrivé au miroir, en transformant le fond, le faux plat, le fond noir… tout était là ! dit M.Pistoletto.
Autrement dit, de faux plat dans un fond noir dans lequel j’ai commencé à me reproduire, à faire mon autoportrait, non pas en me regardant de côté mais directement dans la toile et c’est là que j’ai découvert cette banalité : immense rien rempli de tout ce qui bougeait, tout ce qui était là. Etrange vérité, rien n’était là comme une loi figée, définitive. Cet espace entre virtuel et réel est une perspective ouverte de nouveau dans le miroir. Plus qu’une perspective qui indiquait le futur en chemin qui s’offrait à nos yeux, c’est davantage tout se passait derrière le monde qui s’offrait à nous.
Ainsi le miroir nous renvoie la direction opposée de celle qui était unique, seule direction possible.
La directionnelle devient double : dans l’espace et dans le temps, le passé en donnant toute l’importance fondamentale à ce qui est derrière nous. Ainsi, le travail sur le temps n’est jamais pareil, mais change sans cesse. Le temps est le protagoniste.
La figure est fixée, elle est un lieu de mémoire, un absolu qui se vit dans l’espace d’une mutabilité constante. Ainsi, la mémoire est déjà dans le miroir du futur, mémoire à deux faces, dans la photo et dans le miroir, deux formes qui se croisent tout le temps, qui ne sont jamais figées, l’une l’autre.

« Dans le tableau mémoire, nous dit M.Pistoletto, j’ai trouvé la rencontre de tous les extrêmes, les pôles opposés, statique et dynamique, mémoire, présent et futur… C’est cela la banalité que je n’aurais pas pu découvrir si j’avais continué à imposer mon acte sur la toile. Ce rien du miroir a changé et a donné une autre histoire. Ma recherche vers d’autres étapes différentes, fondation à travers le miroir dans lequel on se retrouve, on se cherche des perspectives. L’idée de banal absorbe l’exceptionnel et nous renvoie dans une autre énergie.
Le banal, c’est le piège de l’exceptionnel, fracture de l’exceptionnel.. »

Isabelle Tiret sociologue et chercheur au CEAQ

Intervenants

Michelangelo Pistoletto

Date
Horaire
19h00
Adresse
Fondation Pernod Ricard
1 cours Paul Ricard
75008 Paris
Entrée libre
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