Entretiens sur l'art Armando Andrade Tudela
Né en 1975 à Lima, Armando Andrade Tudela étudie tout d’abord l’art à l’école des beaux-arts de Lima (1993-2000), où il enseigne également (2001-2003). Puis, il quitte le Pérou pour l’Europe, étudie au Royal College à Londres, à la Jan Van Eyck Academie à Maastricht, il vit ensuite quelques années à Berlin, avant de s’installer en France, à Lyon où il enseigne à l’École nationale supérieure des beaux-arts.
Armando s’est frotté et confronté à plusieurs enseignements artistiques, correspondant à autant de conceptions esthétiques et de méthodologies différentes. Son parcours international est représentatif des artistes de sa génération, de même que sa réflexion sur une modernité plurielle, nourrie de son expérience de contextes divers, le rattachent, dans les années 2000, à une tendance internationale alors prépondérante, qui répondait à une urgence : penser une histoire de la modernité et du modernisme dans une perspective post-coloniale et non plus strictement occidentale. Tudela participe à l’une des expositions de référence sur le sujet : Modernologies (MACBA, Barcelone, 2009) reflétant plusieurs décennies de recherche sur le sens et la portée d’un « projet moderne », indissociable des situations culturelles et politiques dans lesquels il s’incarne. Depuis dix ans, Tudela continue d’explorer un héritage moderne hybride, fouillant les soubassements inconscients et souvent traumatiques d’une histoire des formes, en rapport avec l’histoire de son pays et du continent latino-américain. Comme en témoignent ses récentes expositions personnelles au Crac Alsace et au CA2M à Madrid, l’artiste développe de façon toujours plus libre et expérimentale un corpus formel et conceptuel varié, qui prend les formes aussi bien de la sculpture, de l’installation, du film, du dessin ou du collage.
L’artiste revient aujourd’hui sur sa formation initiale, menant un projet qui, comme toujours chez lui, allie recherche et production d’œuvres. La pédagogie des beaux-arts à Lima, combinaison (qui semble a priori étrange) de modernisme et de catholicisme, s’imposa comme un dogme esthétique durant plus quarante ans, « dépassant les cadres de l’université pour devenir une idéologie de la production et de la réception de l’art contemporain dans la société péruvienne ». Tudela confronte cette pédagogie « avec d’autres systèmes éducatifs et doctrinaires de l’histoire du Pérou », ceux en particulier de l’Inquisition au XVIe siècle.
Cette recherche touche des questions qui habitent l’artiste depuis ses débuts : quelle idéologie « soutient » telle conception esthétique ou telle méthodologie artistique, aux vertus a priori émancipatrices ? Quels fantômes, oubliés, impensés, hantent nos corpus et corps esthétiques ? Sans chercher, bien sûr, à répondre pleinement à ces questions, ni à produire d’explications, l’artiste sonde une histoire, une mémoire et un imaginaire de la violence et de la contrainte, avec en ligne de mire, toujours, la forme – une forme, perçue à travers le prisme concret quoiqu’infiniment variable de ses régimes de production.
Les recherches en cours de l’artiste fourniront la trame de notre entretien, dans lequel nous reviendrons sur un vaste corpus d’œuvres. Ce faisant, Armando Andrade Tudela nous fera également découvrir des généalogies artistiques surprenantes et des artistes peu ou pas du tout connu.e.s en France.
