La Barbarie intérieure
Lorsque les sciences humaines choisissent de parler de la barbarie, il faut peut-être attendre à ce qu’elles nous livrent, comme par évitement, ou par défaut, ce qui pourrait être une approche de l’humain.
Devant la difficulté à aborder notre monde par ce qu’il est, il semble parfois plus aisé d’en parler par ce qu’il n’est pas. Et lorsque les sciences humaines choisissent de parler de la barbarie, il faut peut-être attendre à ce qu’elles nous livrent, comme par évitement, ou par défaut, ce qui pourrait être une approche de l’humain.
Et c’est probablement dans cet esprit que Michel Maffesoli, Jean-François Mattéi et Ariel Wizman ont engagé une discussion, mercredi 12 janvier dernier, à l’Espace Paul Ricard, sur le thème, précisément, du retour du barbare.
Ce besoin de procéder par éviction, de contourner et de détourer une limite, serait de ce point de vue un trait culturel de notre civilisation ; tracer une frontière entre le civilisé et l’inhumain, entre le vrai et le faux, le correct et l’irrecevable.
Cette notion de limite est abordée par Jean François Mattéi, dans son ouvrage intitulé La Barbarie intérieure. Essai sur l’immonde moderne, publié aux Presses Universitaires de France en 1999. L’auteur propose dans cette enquête philosophique et historique, ce que pourrait être une généalogie de la barbarie qui, prenant pied sur la séparation grecque entre civilisation et chaos, dessine un territoire symbolique du logos et de la conscience politique, maintenant ainsi le barbare aux confins de la civilisation.
S’il l’on pensait que la menace extérieure fût vaincue, l’auteur nous rappelle que notre société contemporaine a aussi ses barbares ; à travers ses impératifs de déconstruction de l’autorité, se serait ainsi bâti une aliénation moderne, celle de l’indifférence à tout ce qui ne ressort pas du Moi. Un déni, qui au nom du respect et de l’ouverture, fait de l’éducation et de la culture un éloge de la subjectivité à l’état brut et un refus de l’altérité et de l’élévation vers l’excellence. Refuser d’arracher l’enfant à son autisme naturel, faire de l’école un banal espace de vie sociale renvoit, selon Mattéi, à une indifférence à tout ce qui n’est pas soi, et conduit à construire un sujet, seul et homogène dans la foule.
Si le barbare est celui que l’on tentera d’éliminer ou de sociabiliser, au sens performatif du terme, à travers notre culture de la rationalité et du contrat social, il semble pour Michel Maffesoli que cet intrus pourrait incarner également la figure d’une altérité, qui viendrait réinsuffler une forme de vitalité au coeur du social. Ainsi, une société exsangue peut espérer ce retour du barbare, comme une forme de régénération. Ce cycle, cette circulation de l’instituant et de l’institué participerait de ce que Michel Maffesoli a nommé ailleurs l’articulation du pouvoir et de la puissance. (M. Maffesoli, La Violence totalitaire, Desclée de Brouwer, rééd. 1999).
Enfin, cette barbarie pourrait être également celle qu’Ariel Wizman voit dans le nivellement discret et général d’une société qui refuse le pli et le rugueux, produisant ainsi, dans une forme de passivité active, un écrêtement des idées et des formes de vie.