La Nature imaginale
De manière plus ou moins affirmée, il faut noter actuellement dans nos sociétés une certaine récurrence du thème de la nature.
A travers les pratiques (jardinage, aération, tourisme campagnard), les préoccupations (écologisme, nettoyage des espaces verts…), les produits nouveaux (aliments issus de culture biologique, produits non nocifs pour l’environnement…), les argumentaires politiques ou idéologiques (méfiance à l’égard du tout-industriel, thème de la qualité de vie, vitupération de la pollution…), apparaît de manière assez claire cette revendication d’un rapprochement vers la nature.
De ces présences de la nature, il faut d’abord remarquer qu’elle s’expriment souvent d’une manière excessive, parfois caricaturale ou incohérente. Le mode de légitimation de ces argumentations sont en effet souvent le fait de manifestation intuitive, de justifications et d’évocations scientifistes parfois maladroites ; et il apparaît donc que cette nature que l’on invoque est souvent une nature construite, voire reconstruite, à travers le filtre des perceptions et de l’imaginaire collectif. L’exposition Nature en tête en offre d’ailleurs ici une illustration des plus éclairantes.
Et c’est bien en cela que ce thème du naturalisme contemporain revêt une signification plus profonde, car il semble constituer un indice d’un changement important de notre rapport aux autres et de notre rapport au monde, et serait ainsi le signe d’un passage d’une trame sociale à une autre.
Peut-être faudrait-il voir ainsi dans ces divers phénomènes l’illustration d’un passage d’une société de la maîtrise de la nature, celle de l’arraisonnement et de l’optimisation, à une forme sociale plus en phase – voire en retrait – par rapport à son environnement. Par environnement, nous entendons bien sûr un rapport physique (exploitation industrielle), mais aussi symbolique (économie de l’altérité, économie de soi), et social (formes de relations humaines autour du terroir, de l’original, de la friche…).
Michel Maffesoli remarque à ce propos que la nature n’est plus considérée, dans notre société contemporaine, simplement comme un objet à exploiter, mais qu’elle pourrait s’inscrire de plus en plus dans un processus partenarial. Elle ne serait plus ainsi cet objet inerte que l’on peut utiliser à merci ; et détiendrait une puissance intrinsèque qui s’investit dans la culture, et qui ne manque pas de faire société. Autour de cette nature libre se formerait alors une modulation spécifique de l’hédonisme contemporain : jouir ici et maintenant des plaisirs que nous offre la terre.
Cet amour de la terre, et la socialisation de la nature, reposeraient essentiellement sur le réinvestissement de l’immanentisme , consécutifs à une forme de saturation des divers transcendantalismes religieux, politique et moraux. Il s’agirait alors bien d’une modification sociale très profonde qui permettrait le dépassement de la classique dichotomie nature-culture, objectif-subjectif héritée de notre culture moderne finissante. Saturée du fantasme de la séparation et de la distinction, notre culture occidentale véhiculerait, dans la diffraction du naturalisme contemporain, une vision plus globale de l’univers.
Et c’est ainsi que les formes sociales prônant la coïncidence des gens et des choses, dans une rhétorique de communion avec la nature et avec les autres, tendrait à contaminer de manière signifiante l’ensemble du corps social.
Stéphane Hugon / CEAQ