La techno et ses effervescences
En introduction le professeur Maffesoli dit que la techno renvoie à une idée de dépense de soi telle que la développe Bataille. Il s’agirait ici d’une de ses modulations modernes. L’aspect festif, c’est ce désir de se perdre dans l’autre, de fusionner avec lui.
Cela est vrai pour le corps individuel comme pour le corps collectif. Il rappelle que pour lui l’exacerbation du corps propre conforte le corps social.
Puis, le journaliste de Technikart, Philippe Nassif fit part de ses réflexions et de sa rencontre avec l’expérience techno au sein des discothèques. Pour lui, la génération techno se construit après celle de 68, après celle du rock. Elle s’en différencie fortement. Il ne s’agit plus de vouloir dominer le monde mais de vouloir l’habiter. Il n’y a pas de star, pas de figure susceptible de focaliser l’engouement des spectateurs. Il raconte ensuite comme sa première rave fut quelque chose de fort, un déclenchement brutal suivi d’une nuit de partage et de fusion émotionnelle avec ceux qui l’avaient accompagné. L’ecstasy qui peut accompagner ces moments est selon lui une drogue matricielle, une drogue qui accompagne, pas une drogue dure.
L’intervention de la sociologue Anne Petiau montra la présence d’une logique récurrente dans les pratiques artistiques techno, logique qu’on peut également repérer dans d’autres arts contemporains, et qui semble en cela être caractéristique d’une attitude face au monde propre à notre époque. Cette logique fut mise à jour sous ses diverses déclinaisons dans les différents aspects du phénomène techno, c’est-à-dire les pratiques festives, musicales et, plus largement, créatives, avec la création vidéo et graphique notamment.
Pour ce qui concerne le niveau musical, les musiciens techno ont recours à trois pratiques créatives distinctes mais néanmoins similaires quant aux logiques qu’elles mettent en jeu: le mixage, l’échantillonnage et le remixage. On peut décomposer ces pratiques en deux gestes:
– Le geste du recyclage: l’utilisation d’un matériel musical préexistant dans la création, la récupération, l’appropriation.
– Le geste de l’assemblage: composer en assemblant des éléments préexistants, re-combiner des matériaux musicaux sélectionnés dans un fonds sonore (un bac à disque, une discothèque, une banque d’échantillons).
Le DJ qui sélectionne des disques pour les mixer ensemble, le compositeur qui échantillonne diverses sources musicales (cela peut aller d’un disque à un dialogue ou un fragment d’une musique de film, voire même un bruit extrait de l’environnement naturel ou urbain), le remixeur qui élabore une nouvelle création musicale à partir des différentes pistes sonores du morceau initial, tous ces musiciens mettent bien en jeu ces deux gestes, que l’on retrouve donc aux différents niveaux de la création musicale techno. La réutilisation, le recyclage peuvent ainsi être lus comme des pratiques de réappropriation, c’est-à-dire comme des « tactiques » développées par les usagers de la culture pour contourner l’usage imposé par le système économique et culturel.
Habiter. C’est aussi sur ce terme qu’Anne Petiau a voulu finalement insister, car il résume tout ce que porte en elle la logique du recyclage qui se décline dans les multiples pratiques techno. Habiter, c’est s’approprier, faire sien un univers qui nous est souvent imposé, déjouer l’usage et les comportements que le système économique et culturel nous impose. Enfin, habiter c’est aussi jouir des formes qui nous entoure, profiter intensément des objets et des espaces qui sont à notre disposition.
Le débat se porta ensuite sur les raves dites « free party » qui en Octobre 2001 venait d’être interdite par la loi de sécurité quotidienne. Si certains ont pu avancer des liens entre l’organisation des raves-parties et le trafic de stupéfiants, ils sont en fait assez peu logiques puisque les organisateurs sont les premières personnes sur lesquelles la police enquête ou qu’elle arrête après les soirées. Les raveurs avaient bénéficié de l’intérêt des médias qui voyaient en eux une « anti-jeunesse loft story ». Certains hommes politiques allèrent même jusqu’à les soutenir. On parla d’un « lobby1 » des raveurs. Ce qui est clairement une erreur. Le mouvement Techno est anarchiste. Et l’organisation de l’anarchie est forcément limitée. Parce qu’ils cherchent à fuir la Société, ils n’ont pas su ou voulu utiliser les bons moyens pour se faire entendre de l’Etat. De plus, selon Michel Maffesoli, à tort ou raison, les raveurs ne se sentent pas concernés par les lois d’un monde qui ne les regarde pas.
Lionel POURTAU (CEAQ, Université Paris-V Sorbonne)
A lire sur le sujet:
« Pulsation techno, pulsation sociale », Sociétés n°72, 2001/2, De Boeck Université.
FONTAINE A. et FONTANA C., Raver, Anthropos, Paris, 1996
RACINE E., Le phénomène techno, Imago, Paris, 2001