Le virtuel et l'événementiel
L’objet du débat: montrer, à partir d’un événement choc, comme celui du 11 septembre 2001, qui frappe les esprits et bouleverse profondément la vie mondiale, l’importance déterminante du virtuel, le rôle envahissant des images et des représentations, leur prégnance et leur pourvoir.
En guise d’introduction, Michel Maffesoli précise que le prétexte de cette conférence est la publication du dernier texte de Jean Baudrillard, à savoir l’ouvrage Power Inferno, chez Galilée. Il présente ensuite brièvement Jean Baudrillard, en rappelant qu’il s’agit d’un auteur aigu, qui a toujours su cultiver aux marges de l’institution universitaire et de l’ambiance intellectuelle générale son originalité, sa scintillante singularité.
Selon Michel Maffesoli, ce texte qui exprime la volonté de penser l’événementialité et notamment l’événement paradigmatique du 11 septembre, est particulièrement pertinent. Il est pertinent dans la mesure ou il contribue à nous aider à penser l’époque. Cette époque qui est la nôtre, celle où la logique historiciste et vaguement théologique
de la modernité laisse apparaître une autre logique, une logique plus stochastique et plus ouverte, la logique événementielle de la postmodernité.
Jean Baudrillard commence par évoquer l’actualité la plus immédiate, c’est-à-dire cette chronique médiatique d’une guerre annoncée en Irak. La possibilité chaque jour plus pesante de l’actualisation de cette guerre en un événement non plus annoncé mais accompli est, pour l’auteur, l’occasion de développer sa théorie paradoxale de l’événement. Jean Baudrillard n’hésite pas à affirmer que la guerre est impossible à ce jour. Précisons qu’il ne s’agit pas ici d’une impossibilité morale, économique ou politique, mais qu’il s’agit, selon lui, d’une impossibilité logique. En fait, l’auteur nous invite à nous défaire de la logique classique, pour mieux saisir à quel point la
possibilité d’un événement n’est qu’une construction rétrospective. En fait, ce n’est que dans l’après-coup de son accomplissement que l’on peut véritablement affirmer d’un événement qu’il était bel et bien possible.
Nous nous trouvons actuellement suspendus à l’annonce perpétuelle de cette guerre à la fois imminente et impossible, et ce suspens insoutenable a pour effet de suspendre notre capacité à soutenir l’événementialité de l’événement. Il s’agit de considérer à quel point
nous sommes d’ores et déjà sidérés par la possibilité même de l’événement, si l’on veux saisir les raisons de notre incapacité à l’accueillir, aussi bien existentiellement qu’intellectuellement.
Or l’avènement de l’événement reste entièrement à penser. Il reste à penser à travers une pensée qui ne se substituerait pas à l’événement mais s’y confronterait. Ce qui suppose de renoncer à la primauté (chrono)-logique du possible sur l’événement, pour accorder enfin toute sa puissance à l’événementialité de l’événement. Ou pour le dire autrement, vouloir se donner les moyens intellectuels de penser l’événement, implique de renoncer à notre conception classique du possible, avatars de notre crédulité au vieux principe de causalité. Effectivement, le principe de causalité nous interdit de penser l’événement, dans la mesure où l’événement est précisément ce qui, par nature, vient briser par son surgissement même toute causalité.
L’illusion entretenue par le principe de causalité est le piège logique dans lequel s’enlise la plupart des discours contemporains voulant chercher à prévoir l’imprévisible, voulant absolument gérer l’ingérable. L’ensemble de ces discours ne parvient finalement à penser l’événement qu’en le supprimant.
Les ultimes conséquences de notre incapacité à non seulement penser mais aussi admettre l’événement, nous condamne à (sur)-vivre au final, non pas dans la terreur de l’événement, celui-ci ayant été dénié, mais dans une non-moins terrible et illusoire non-événementialité.
Stéphane Hampartzoumian, (CeaQ)