Évènement

Prostitution et socialité

Jeudi 15 février 2007 à 19h

Le point de départ de cet échange s’appuiera sur les interrogations formulées par Michel Maffesoli : « au-delà du regard moralisateur, voire méprisant, qui est porté sur la prostitution, est-ce que vendre des services sexuels n’est pas de la même nature que vendre sa force de travail pour produire des biens ou des services de tous ordres? Quand cette activité est exercée librement ne ressort-elle pas du droit de la vie privée? »

Le débat portera ainsi sur le fait que ce « service », à côté de son aspect strictement sexuel, a de tout temps eu une fonction sociale: celle de créer du lien, de permettre, par la « parlerie » qu’il induit, de créer un ordre symbolique où passions et émotions ont leur part.

Après une introduction de Michel Maffesoli rappelant l’historique du sexe dans la sphère publique et sociale, Gérard Laniez commence par l’évocation d’un livre sur une figure de la prostitution, Grizelini Real. Le livre s’appelle Grisélidis Réal, la nuit écarlate ou le repas des fauves (Edition Himeros, 2006). Il y raconte sa collaboration avec cette prostituée, morte en 2005, pour la défense des droits des péripatéticiennes.

Puis Sonia Verstappen explique son métier. Elle se perçoit comme l’aboutissement du féminisme, c’est-à-dire qu’elle fait ce qu’elle veut de son corps. Elle s’oppose donc en cela à d’autres féministes qu’elle qualifie de « talibanes » de par leur intolérance par rapport à ses choix. Elle n’a aucune problème, ni physique, ni psychique, ni moraux à recevoir tous les jours des hommes qui touchent son corps. Elle n’a pas de problème à les toucher, à leur parler. Son métier est un échange d’amour. Elle refuse la vision de la prostituée victime et du client bourreau. Cela ne se passe pas comme cela. Elle est une prostituée de vitrine. Elle peut refuser le prix, les pratiques proposées par le client.

Le sexe est peut-être le moins important dans son métier. La prostitution est un acte révolutionnaire car on a formaté les hommes et les femmes pour avoir une sexualité rassurante pour la société, c’est-à-dire avec vocation de fonder une famille (avec ou sans enfant). Elle cite Lacan : « Quand le désir ne se vit pas, il se venge cruellement ». Les hommes viennent voir les prostituées parce qu’ils sont malheureux, souffrant de leur solitude, de leur fatigue de domination dans le reste de leur vie. Elle a beaucoup de clients qui peuvent parfois vivre leur stigmatisation sociale sur le mode de l’agressivité, et il faut la travailler pour la calmer. Elle ne voit pas pourquoi son métier ne serait pas digne. Elle permet à des hommes énervés par leur vie, par la vie, de décharger leur colère sur elle plutôt que sur leur épouse. Et elle sait transformer cette colère en désir. En vidant ses « couilles », il a vidé sa colère. Elle est « une assistance sociale avec le sperme en plus ». Elle aime ses clients et, à 55 ans, elle les aime de plus en plus. Les hommes confient aux prostituées une part d’eux que nul autres ne voient ou n’entendent.

Elle fait beaucoup d’interventions devant les élèves de collèges, devant les associations d’immigrés. Elle essaie d’éduquer à ce que c’est de faire partie d’une minorité. Elle est heureuse, gagne bien sa vie, a une vie amoureuse et sexuelle merveilleuses et un fils qui l’aime.

Marie-Elizabeth Handman intervient ensuite pour remarquer que dans nos sociétés, le sens commun dissocie sentiments et sexualité pour les hommes mais pas pour les femmes. Leur sexualité ne serait sauvée pour celles-ci que par l’amour alors que pour les hommes, il doit y avoir beaucoup de sexualité sans amour avant d’arriver à une alliance pérenne entre les deux. Dans les études, 60% des femmes disent qu’elles ne peuvent pas dissocier amour et rapports sexuels alors que seulement 33% des hommes disent la même chose. Tant qu’on aura ce différentiel dans l’éducation, on aura cette haine des femmes contre la prostitution, à la libre disposition du corps. Dans le courant abolitionniste qui veut interdire la prostitution, il y a un mélange entre sauver les femmes de l’exploitation et sauver les femmes d’elles-mêmes. Pourtant, même dans les maisons closes, on trouvait autant l’exploitation type « usine » que la bonne ambiance type « entreprise familiale ». En assimilant maison close et esclavage et qu’on les a fermé, les prostituées se sont retrouvées dans la rue, dans des conditions pires. Faut-il réfléchir à un statut légal ? La définition du proxénétisme est effarante car trop large. Un fils dont la mère est prostituée peut être poursuivi comme proxénète. Deux prostituées travaillant dans le même appartement peuvent être condamnées comme proxénètes l’une de l’autre. En France le système est hypocrite puisque la prostitution n’est pas interdite mais tous les systèmes pour la pratiquer le sont. Depuis les années 70, la prostitution en « libéral » est le cas le plus fréquent. Certes il existe une prostitution contrainte, de traite. Mais c’est minoritaire. Et les lois contre la prostitution renforcent la traite plutôt qu’elles ne l’affaiblissent. Même dans la traite, en particulier est-européenne, il peut s’agir d’un choix.

A cela il faut rajouter les escort girls, la prostitution sur Internet, qui compliquent encore la situation. Les bien-pensants avec des lois comme la loi de sécurité intérieure affaiblissent la position des prostituées libérales et renforcent la prostitution de traite. Les entrepreneurs de morale ont, selon elle, rencontré peu de prostituées ou des prostituées ayant pratiqué ce métier sans en avoir les qualités ou la force que demande cette difficile profession.

Patrick Watier s’appuie sur Simmel. Cet auteur écrit à la fin du XIXème siècle qu’il faut donner un statut à ce métier pour sortir de l’hypocrisie. Simmel compare la vente de la force de travail et la vente du corps. Etre mineur ou prostitué, c’est la même chose. La société, pour sa survie a besoin des sacrifices des ouvriers ou des prostitués. Elle est plus sévère envers les victimes qu’envers ceux qui en profitent. Pour Simmel, la société socialiste libérera l’ouvrier comme la prostituée, en particulier en « cassant le mariage légal ». Puis Patrick Watier se pose la question des compétences professionnelles de la prostituée, sur le secret et donc sur la déontologie du métier.

Lionel Pourtau, CEAQ

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Intervenants

Marie-Elizabeth Handman
Sonia Verstappen
Gérard Laniez

Date
Horaire
19h00
Adresse
Fondation Pernod Ricard
1 cours Paul Ricard
75008 Paris
Entrée libre