Rhapsodies nucléaires
Une interrogation artistique du nucléaire est-elle possible et selon quelles modalités?»
Francoise Paviot reçoit les artistes Rudolf Bonvie et Jürgen Nefzger ainsi que Bénédicte Ramade, critique d’art.
A la suite de l’exposition Rhapsodies nucléaires présentée à la Galerie Françoise Paviot en décembre 2011, les artistes Rudolf Bonvie et Jürgen Nefzger et Bénédicte Ramade, critique d’art, invités à débattre sur la possibilité et l’efficacité d’une interrogation artistique du nucléaire. Françoise Paviot animera ce débat.
La soirée débutera par la projection de l’œuvre de Jürgen Nefzger, Valdecaballeiros, montage d’images fixes sur une centrale nucléaire construite sous Franco, abandonnée et pillée sans avoir jamais fonctionné.
Trois photographes, deux allemands et un américain font porter, depuis de nombreuses années, leurs réflexions et leurs regards sur les centrales et l’énergie nucléaire. Les premières Rhapsodies nucléaires de Rudolf Bonvie (c’est à lui que le titre de l’exposition a été emprunté) ont été présentées en 1988 à la Galerie Wilma Tolksdorf à Hambourg, puis en 1989 au Musée Folkwang à Essen. Mark Ruwedel, dont trois nouvelles séries ont été exposées cet été à Arles par le Directeur du Département Photo de la Tate Gallery, Simon Baker, a initié son travail sur L’« Italian navigator » (nom de code donné aux premiers essais nucléaires) au début des années 90. Jürgen Nefzger a quant à lui commencé sa série Fluffy Clouds en 2003. Les images ont été présentées au Jeu de Paume en 2008. Il a également mis en place un travail sur une centrale construite en Espagne sous Franco, qui n’a jamais fonctionné et a été progressivement désossée et pillée.
Il s’agira dans un premier temps de passer en revue les projets de ces trois photographes : le choix des sites, les enjeux, le traitement esthétique qui nourrit leur recherche dans le champ de la photographie. De voir ensuite comment un artiste peut exprimer un contenu politique dans son travail, si la photographie en est un outil privilégié, mesurer le pouvoir des images dans notre société contemporaine.
« Le 22 octobre 1492, Christophe Colomb arriva à Ghanahani aux Bahamas, mettant l’Europe en contact avec les Amériques. Mondo Novo : le Nouveau Monde. Quatre cent cinquante ans plus tard, le 2 décembre 1942, Enrico Fermi créait avec succès la première réaction en chaîne à l’Université de Chicago.
La phrase « Le navigateur italien est arrivé en toute sécurité dans le Nouveau Monde » a été utilisée à titre de message improvisé transmis de Chicago à Washington confirmant le succès de Fermi. L’expérience de Fermi, faisant partie du Manhattan Project, a donné lieu au développement de la bombe atomique à Los Alamos au Nouveau-Mexique. »
Mark Ruwedel
« La centrale nucléaire figurant souvent à l´arrière plan n´est peut-être pas perçue et reconnue du premier coup d´œil. Pourtant une fois repérée, elle devient le véritable point d´ancrage de l´image, le point focal autour duquel la composition évolue et prend tout son sens. La vision du paysage sublimée par une esthétique volontairement boulimique bascule vers une compréhension plus troublante du sujet. L´ image fonctionne par l´antinomie entre la vue pittoresque et le contenu symbolique véhiculé par la centrale nucléaire : emblème du progrès pour les uns et sujet d´inquiétude pour les autres. En brouillant les pistes par ce double jeu de signification, il appartiendra au spectateur de constituer ses propres clefs de lecture. »
Jürgen Nefzger
« Rhapsodie nucléaire, de Rudolf Bonvie, traite d’une thématique qui se soustrait doublement à la représentation : il y a d’une part la fonctionnalité cachée, inaccessible aux sens, de la centrale nucléaire, et d’autre part, une puissance de destruction dépassant toute imagination. Les processus nucléaires ne sont connus que d’un petit nombre de spécialistes, les radiations ne peuvent être perçues – chez nous, leurs effets n’ont été vécus que par le plus petit nombre, mais n’en sont pas moins une menace pour chacun au moins depuis Tchernobyl – et les dimensions et rayon d’action de leur puissance de destruction dans l’espace et le temps surpassent toute faculté de conception humaine. Là où nos sens et notre imagination sont mis en échec, la force de l’image consiste uniquement à rallier l’impuissance des sens et à faire éprouver leur échec même face à l’objet ».
Erich Franz