S'inspirer, respirer Le dégoût du vrai : requiem pour la science et la vérité ?
Évènement à retrouver également en direct sur le Youtube de la Fondation
Entrée libre
Crise sanitaire, mouvements anti-vaccins, anti-masques, Raoult-mania, pratique du « Bullshiting », mais aussi Brexit, montée des populismes, succès des théories du complot, omniprésence des fake news… Une lecture d’ensemble de ces événements dispersés, dont on devine instinctivement qu’ils sont liés, permet de mettre en lumière un brouillage des catégories du vrai et du faux. Nous serions entrés dans une ère de la post-vérité, dans laquelle les faits deviennent affaire d’opinion, dans laquelle la possibilité de bâtir un monde commun se trouve menacée.
« L’air du temps, en accusant la science de n’être qu’un récit parmi d’autres, l’invite à davantage de modestie. On la prie de bien vouloir gentiment « rentrer dans le rang » en acceptant de se mettre sous la coupe de l’opinion », écrivait le philosophe des sciences Étienne Klein dans son Tract (Gallimard) Le goût du vrai paru en plein confinement. Or, depuis le siècle des Lumières, domine l’idée que la souveraineté d’un peuple libre se heurte à une limite : celle de la vérité, sur laquelle elle ne saurait avoir de prise. La crise sanitaire a montré que nous n’avons guère retenu la leçon des Lumières. Nous mesurons l’ambivalence de notre rapport à la science et le peu de crédit que nous accordons désormais à la rationalité, et même à la vérité, comme l’illustrent les débats récurrents sur la post-vérité et le complotisme depuis cinq ans. Les « vérités scientifiques » ne vont plus de soi. Comme si l’époque n’autorisait plus la croyance objectivée dans les formes de la rationalité.
Avec le sociologue des sciences Arnaud Saint-Martin, auteur d’un essai récent Science (anamosa), on se demandera comment on peut, dans ce contexte vaguement obscurantiste, redéployer une longue tradition rationaliste qui, dès les années 1930 en France, a fait actualiser l’idéal d’une science émancipatrice et désintéressée et l’a converti en institution (le CNRS). Comment comprendre que la connaissance scientifique ne soit plus envisagée comme une fin en elle-même, l’expansion d’un corpus de savoirs accumulés selon des méthodes reconnues par une communauté savante, mais comme l’instrument d’un capitalisme technologique qui se cherche de nouvelles sources de profits ?
Avec le philosophe Manuel Cervera-Marzal, auteur d’un essai remarqué Post-vérité. Pourquoi il faut s’en réjouir (Le bord de l’eau), on envisagera aussi l’idée, contre-intuitive, qu’oublier la vérité permettrait, dans le même temps, de repenser la démocratie. Une démocratie envisagée autrement qu’en termes de vérité, mais en termes d’accès élargi à la prise de parole, sachant que le regroupement d’une multitude d’ignorants produit des résultats plus fiables que la parole d’un seul expert.
C’est dans cette articulation entre science et vérité, soumises à des tensions et des confusions de tous côtés, que voudrait se situer cette discussion, animée par le goût du vrai et du juste, par le souci de revitaliser la démocratie à partir d’impératifs éthiques et politiques qui renversent ce que le philosophe américain appellait « l’art de dire des conneries » (On bullshit).
Arnaud Saint-Martin est sociologue, chargé de recherche au CNRS. Ses recherches alternent entre l’histoire des sciences et techniques, et l’étude des transformations de l’astronautique, de la guerre froide à l’avènement du « New Space ».
Manuel Cervera-Marzal est politiste, intéressé par les modes d’articulation entre sociologie, philosophie politique, histoire des idées et science politique. Il est spécialiste de la désobéissance civile et de la gauche radicale (Podemos, France Insoumise). Il a publié Pour un suicide des intellectuels (Textuel, 2016), Les nouveaux désobéissants : citoyens ou hors-la-loi , (Le Bord de l’eau, 2016), Post-vérité. Pourquoi il faut s’en réjouir (Le Bord de l’eau, 2019)